L'augmentation des importations et la multiplication des installations destinées à l’importation de GNL est contradictoire avec l’ambition de baisser la demande, selon l'association Les Amis de la Terre, qui a publié un rapport sur le sujet.
Ce rapport, publié en avril 2024 par Les Amis de la Terre, revient sur la dépendance française au gaz. Une énergie fossile dont l’hexagone s’est engagé à réduire sa consommation. Hors, les événements géopolitiques actuels, entre autres, ont fait exploser les importations de GNL.
Anna-Lena Rebaud, chargée de campagne Climat et transition juste au sein de l’association Les Amis de la Terre, a expliqué aux Techniques de l’Ingénieur cette dépendance française au gaz et son impact sur les ambitions climatiques françaises.
Techniques de l’Ingénieur : Le rapport des Amis de la Terre évoque une dépendance française au gaz russe. La France a misé sur le GNL pour « se passer du gaz russe ». Quelle est la réalité derrière ce choix ?
Anna-Lena Rebaud : En cherchant à se passer du gaz russe importé par gazoduc via l’Allemagne, la France a augmenté de 80% ses importations de GNL pour « diversifier les sources d’approvisionnement ». Mais parmi les sources d’approvisionnement en GNL, il y a aussi… la Russie. En 2022, les importations de GNL russe ont augmenté de 45% par rapport à 2021. En 2023, ces importations sont restées élevées.
En parallèle, les importations depuis les Etats-Unis ont explosé, et celles depuis le Qatar ont augmenté. En somme, la France est passé d’une dépendance à d’autres.
L’ambition française de baisser sa consommation de gaz est-elle contradictoire avec la multiplication des installations destinées à l’importation de GNL ?
Les installations d’importation de GNL actuelles sont suffisantes pour satisfaire la demande en gaz fossile d’aujourd’hui, et celle-ci est vouée à baisser. Augmenter la capacité d’importation de GNL est donc non seulement inutile, mais aussi risqué : construire de nouvelles infrastructures (i.e., étendre les terminaux existants ou construire de nouveaux terminaux GNL) nécessite des investissements à rentabiliser. Si ils sont réalisés, les projets de GRT Gaz posent deux risques : soit ils ne seront pas utilisés en raison de la baisse de la demande, ne seront donc pas rentabilisés et deviendront des actifs échoués ; soit pour les rentabiliser, la demande en gaz sera encouragée à l’encontre de nos objectifs climatiques.
Multiplier les installations destinées à l’importation de GNL est donc contradictoire avec l’ambition de baisser la demande.
Quels sont les avantages pour la France de massifier ses approvisionnements en gaz via l’importation de GNL ?
On peut décomposer la question en trois : quels sont les avantages pour l’Etat français, pour les entreprises françaises et pour les ménages ? Il est également important de distinguer l’année 2022 et la réponse urgente à la nécessité de se passer de gaz russe, et aujourd’hui où la place du GNL ne peut pas être la même.
- Pour l’Etat, massifier les importations de GNL en 2022 était une manière de sécuriser un approvisionnement en gaz alternatif au gaz russe et répondre à la demande à court-terme, mais cette justification a été la source d’abus (mise en place du terminal du Havre dont l’inutilité n’a pas été prouvée, signature de contrats de très long terme). Au final, la France a importé plus de GNL que sa consommation et a réexporté du gaz vers ses voisins européens : cela positionne la France comme une plaque tournante du gaz et lui octroie un certain pouvoir géopolitique.
- Pour les entreprises gazières, il s’agit de maintenir leur modèle économique fondée sur cette énergie fossile du passé.
- Pour les ménages, un approvisionnement massif par GNL se traduit par une facture énergétique bien plus élevée, puisque le GNL est plus cher que le gaz importé par gazoduc.
Dans le rapport est évoqué l’hypocrisie de considérer le gaz comme une énergie de transition. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
Le gaz « naturel », que nous préférons appeler « gaz fossile », est souvent présenté comme une énergie moins dangereuse que le pétrole et le charbon. Ce prétendu moindre impact climatique du gaz permettrait de l’utiliser comme une énergie de transition en attendant de mettre en place un système énergétique soutenable.
Pourtant, le gaz fossile a un impact considérable sur le climat à cause des fuites de méthane qui occurrent au moment de l’extraction, du transport, de la compression… Par ailleurs, développer le gaz n’a rien de transitoire : remplacer des usages du pétrole ou du charbon par du gaz aujourd’hui revient à construire des infrastructures qui seront utilisées pendant des décennies. On s’enferme alors dans la consommation de gaz au lieu de l’utiliser temporairement.
Rappelons également que le gaz fossile a d’importants impacts sur la santé des communautés riveraines des exploitations mais également des usagers (cuisson), et son extraction s’accompagne d’inquiétantes violations de droits humains.
Quel est votre point de vue sur le développement du bio-GNL et de l’e-GNL ? Peuvent-ils avoir leur place dans la transition énergétique ?
La place du « biogaz » ou des « e-gaz » dans le futur système énergétique est encore très discutée. Les moyens de fabrication de gaz alternatifs au gaz fossile (méthanisation, méthanation, pyrogazéification…) sont limités, c’est-à-dire qu’on ne pourra produire qu’une quantité limitée de gaz alternatifs avec les ressources et technologies à disposition.
Cela signifie que même avec une demande en gaz très basse, la satisfaire avec une production sur le territoire national sera compliqué vu les limites de ressources : envisager un modèle économique d’exportation de « bio-GNL » ou « e-GNL » est donc irréaliste.
Faut-il à l’inverse parier sur des importations de gaz alternatifs par GNL pour satisfaire la demande française ? Ce serait extrêmement risqué. Nous n’avons aucune visibilité sur les sources d’approvisionnement en gaz alternatifs. Si on parie sur des importations de « bio-GNL » ou « e-GNL » pour satisfaire une demande en gaz relativement aisé, on court le risque de ne pas trouver d’approvisionnement et d’avoir recours à du gaz fossile. Par ailleurs, on ne maîtriserait pas les conditions de fabrication de ces gaz qui connaissent aussi de nombreuses dérives (surexploitation de ressources organiques comme le bois, impacts sur le modèle agricole, pollution des sols…).
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