Nuno Dos Reis est le directeur général de Deltamu depuis 2010. L'entreprise croit plus que tout à l'avénement de la « smart metrology ».
Aujourd’hui, la métrologie est avant tout affaire de normes. Deltamu, une entreprise du secteur de la métrologie créée en 1998, veut faire évoluer ce mantra. De la métrologie des normes, elle veut passer à la métrologie des usages. Nuno Dos Reis nous explique les origines et les ressorts actuels de cette transformation.
Techniques de l’Ingénieur : Comment est né Deltamu ?
Nuno Dos Reis : Deltamu est né d’un constat fait tout au long d’une première expérience de 10 ans de son fondateur, Jean-Michel Pou, dans un laboratoire d’étalonnage. On était alors au tout début des certifications ISO 9001. A cette époque (1990), les clients sollicitaient le laboratoire pour savoir si leurs instruments étaient « conformes », sujet toujours au cœur de l’activité des prestataires d’étalonnage. Or, cette conformité n’a de sens que si les clients sont en mesure d’exprimer leurs propres besoins ce qui était (très) rarement le cas. A la grande surprise de notre fondateur, ils se contentaient donc de faire confiance aux normes existantes sur les instruments alors que lesdites normes ne prétendent en aucun cas répondre à toutes les situations industrielles. De plus, la norme ISO 9001 impose des vérifications métrologiques périodiques et là encore, sans trop se poser de questions, les industriels suivaient les « préconisations » le plus souvent implicites du laboratoire.
Jean-Michel Pou a alors créé Deltamu en 1998, pour accompagner les industriels vers une approche plus technique : définir la conformité à partir du vrai besoin de chacun et définir des périodicités adaptées à chaque situation. Ainsi est né Optimu, le logiciel développé depuis plus de 20 ans par la société. Il s’agit de pouvoir calculer des périodicités et des incertitudes de mesure dans le cadre d’une gestion optimisée d’un parc d’instruments de mesure.
Comme ces démarches étaient innovantes, il était important de les faire reconnaître par la communauté et Deltamu s’inscrit donc depuis sa création dans toutes les actions qui permettent de faire évoluer le métier. Nous sommes notamment présents dans les comités de normalisation de l’AFNOR et à l’origine de nombreuses normes et documents techniques : FD X 07-014 (Optimisation des périodicités), FD X 07-041 (Comparaisons inter-instruments), modélisation des résultats d’étalonnage (Guide CFM)…
Comment définiriez vous la smart metrology ?
Notre Smart Metrology, est très différente de la métrologie « traditionnelle ». Dans cette dernière, un accord tacite entre auditeurs et audités a fini par faire admettre comme « conforme » une métrologie qui se contente de déclarer la conformité d’un instrument de mesure à une norme, sans tenir compte, le plus souvent, de son contexte d’utilisation et de le faire à des dates arbitraires. A l’inverse, Deltamu recherche l’efficience, c’est-à-dire à gérer le parc d’instruments « au juste nécessaire ». Il s’agit de s’intéresser aux incertitudes de mesure qui permettent de savoir si l’instrument est important ou non dans la qualité d’une mesure et de définir des stratégies qui permettent d’étalonner « si nécessaire ». En choisissant une date, arbitraire ou calculée suivant une méthode d’optimisation, pour la confirmation métrologique de l’instrument, les industriels ne sont pas protégés contre les accidents qui peuvent survenir à tout instant et impacter la capacité de l’instrument à produire des mesures de la qualité nécessaire. Dans la Smart Metrology, nous cherchons à maîtriser le quotidien de l’instrument, notamment en mettant en œuvre des méthodes de surveillance qui permettent d’entrer dans le monde des « périodicités conditionnelles ». Dans ce monde, les industriels n’étalonnent qu’en cas de doute, et nous nous donnons les moyens de douter.
Pour simplifier, dans la Smart Metrology, on ne subit pas une forme de diktat culturel imposé depuis 20 ans. On se pose les bonnes questions et on adapte les pratiques aux risques liés aux mesures
Comment la smart metrology s’implémente dans l’industrie/usine du futur ?
Il est indéniable que les industriels ont contourné depuis longtemps la question de la qualité des mesures. Alors même qu’aucune mesure ne peut être juste, rares sont les industriels qui prennent en compte les incertitudes de mesure dans leur quotidien. Tout se passe comme si elles n’existaient pas. Force est de constater en effet que les productions donnent satisfaction. Cette question de l’inutilité apparente des incertitudes de mesure est au cœur de nos réflexions et nous avons fini par comprendre que pour s’en sortir, les industriels avaient empiriquement trouvé une solution : la sur-exigence. En demandant plus que nécessaire, on peut oublier les incertitudes de mesure, mais à quel prix ? Trop exigeant, c’est trop de matières premières, trop d’énergie, donc trop de coûts et trop d’impacts négatifs sur l’environnement.
Dans l’industrie du futur, les pratiques vont évoluer grâce aux technologies numériques. Avec des puissances d’acquisition d’informations, de calculs et de stockage toujours plus importantes, le traitement des données évolue, passant de l’inférence statistique (s’appuyant sur des plans d’expérience) à l’intelligence artificielle (s’appuyant, quant à elle, sur le Big Data). C’est un véritable bouleversement dans la façon de voir les choses car nous passons d’un monde d’opinions (opinion driven) à un monde des faits (fact driven). Dès lors, l’IA va permettre de sortir de la sur-exigence pour aller vers le « juste nécessaire », donc vers des gains de productivité et des impacts écologiques moins négatifs, une médaille à deux faces en quelque sorte.
Mais ce nouveau monde impose des mesures d’une qualité meilleure que celle dont nous avons pu nous contenter jusque-là. Cette question de l’amélioration de la qualité des mesures est un enjeu majeur pour Deltamu qui a lancé cette année le concept de B.M.R (Bayesian Measurement Refinement). Il s’agit d’exploiter l’incertitude de mesure, non pas pour resserrer les exigences mais pour améliorer la qualité de l’information. Avec le B.M.R, on utilise chaque mesure comme une information mais pas comme l’unique information. On peut en effet tenir compte, en plus, de la connaissance a priori du mesurande et de l’incertitude de mesure pour enrichir l’information initiale. Si les données, donc les mesures, sont le pétrole du XXIème siècle comme le pensent certains, il ne viendrait à l’idée de personne de le mettre directement dans le réservoir de sa voiture ! Il nous faut tout d’abord le raffiner et c’est exactement ce que nous proposons avec le B.M.R qui se présente comme le point d’orgue de la Smart Metrology …
Quelles sont les technologies innovantes qui vont accompagner le développement d’une nouvelle métrologie dans le futur (big data, domotique, 5G…)
La technologie des objets connectés fera évoluer les instruments de mesure. Certains imaginent qu’une connexion sans fil est une forme d’aboutissement mais nous pouvons, et devrons, aller beaucoup plus loin. Le B.M.R exige de nombreux calculs, parfois fastidieux mais les machines peuvent les faire sans problème. Nous travaillons depuis plusieurs années sur un projet collaboratif (S.T.A.M : Services and Tools for Advanced Metrology) soutenu par le FEDER. Il s’agit de développer toute la stratégie permettant d’automatiser les calculs du B.M.R, quelle que soit le type de mesure, grâce à la technologie de l’IoT. Mais il est encore un peu trop tôt pour dévoiler l’intégralité de ce projet et nous avons pris un peu de retard du fait du confinement.
Est-ce que le rôle de la métrologie dans l’industrie va évoluer dans les années à venir ?
L’IA est amenée à changer profondément les choses dans l’industrie, de la conception jusqu’à la certification de produits. Mais cette IA a besoin de données fiables pour donner le meilleur d’elle-même. A l’avenir, nous ne pourrons plus nous contenter de l’information donnée par l’instrument de mesure. Une mesure sera toujours sujette à de nombreuses causes de perturbation (le milieu, les opérateurs, l’instrument, le mesurande lui-même, …) et le post-traitement que nous développons (B.M.R) finira par s’imposer, il est indispensable. Le métrologue devra donc acquérir les compétences pour le comprendre et le mettre en œuvre, notamment via des instruments connectés qui pourront y accéder. On est alors très loin des étiquettes vertes et des périodicités calendaires de la métrologie « ISO 9001 » et ces pratiques finiront par céder le pas à la Smart Metrology, nous en sommes convaincus.
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