Les méthodes historiques fondées sur le capital humain
Jusqu’aux années 1980, les valeurs de la vie humaine retenues par les pouvoirs publics s’appuyaient sur une mesure de la perte pour la société entraînée par la mort d’un individu, i.e. la perte d’un capital humain. Cette famille de méthodes repose fondamentalement sur la mesure de la contribution de l’individu au PIB : le capital humain est mesuré par la somme des salaires futurs perdus suite au décès. A cette somme actualisée des revenus futurs sont parfois ajoutés certains facteurs indirects (ex. coûts des dégâts lors d’un accident) et d’éléments non marchands (préjudices affectifs subis par les proches) .
Cette approche a le mérite de reposer fondamentalement sur une mesure monétaire et tangible : la somme de la production future de l’individu. Elle reste à la base de la détermination de la valeur de la vie dans le contexte judiciaire, comme le montre par exemple les indemnités accordées aux familles des victimes des attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis : les indemnités ont varié en fonction des salaires espérés, de 300.000$ pour un individu de 65 ans qui gagnait 10.000$/an, à 4,35 millions de dollars pour un trentenaire gagnant 175.000$/an .
Si la méthode du capital humain est simple à comprendre et se place résolument du point de vue de la société, elle souffre de :
- La réduction fondamentale de la valeur d’un individu à sa seule productivité professionnelle, ignorant les autres rôles productifs dans la société : parent, ami, bénévole, citoyen – les tentatives d’inclusion d’éléments non marchands (ex. douleurs de proches, valeur des travaux familiaux, etc.) ayant toujours été difficiles et discutables.
- De résultats très différents selon les individus, peu acceptables par les pouvoirs publics, avec notamment des valeurs de la vie nulles voire négatives pour les retraités, dont la production professionnelle future est par définition inexistante.
- L’absence de prise en compte de la préférence des individus pour la sécurité, i.e. de leurs choix réels entre richesse et sécurité.
Les méthodes actuelles fondées sur le consentement à payer
Dépassant les inconvénients du capital humain, les méthodes inspirées de l’économie comportementale vont devenir prépondérantes à partir des années 1990 pour évaluer le prix de la vie humaine. En observant que la sécurité est un bien achetable, les économistes ont cherché à mesurer le consentement à payer des individus pour améliorer leur propre sécurité, définissant ainsi un arbitrage sécurité/richesse qui peut être moyenné et étendu à l’ensemble de la société.
Concrètement, la valeur de la vie humaine est construite à partir de la mesure du consentement à payer pour la réduction d’un risque faible : si par exemple un équipement de sécurité coûte 300 euros et qu’il supprime un risque de mort de 1/10.000, alors on peut déduire de son achat que, pour le consommateur, la valeur de la vie est supérieure à 300×10.000 = 3 millions d’euros .
L’intérêt de ces méthodes fondée sur le consentement à payer est de traduire les arbitrages des individus quant aux moyens à allouer à la sécurité dans une vue, qui est d’une part a priori fidèle à leurs préférences réelles, et d’autre part globale c’est-à-dire incluant les éléments non marchands.
Préférences déclarées ou préférences révélées
Si l’emploi du consentement à payer fait aujourd’hui consensus comme fondement de la valeur de la vie humaine, la mesure de ce consentement fait l’objet d’une controverse entre la méthode des préférences déclarées et celle des préférences révélées :
- La mesure des préférences déclarées se fonde sur une enquête par questionnaire auprès d’un échantillon représentatif de population, afin de déterminer la valeur qu’ils accepteraient de payer pour éviter un risque.
- La mesure des préférences révélées se fonde essentiellement sur des analyses de salaires sur le marché de l’emploi. Il s’agit d’isoler le sursalaire que perçoivent les employés exposés aux risques (par rapport à des emplois identiques équivalents). Par exemple, au zoo de Philadelphie, les soigneurs s’occupant d’éléphants touchent tous 1000 $ de plus par an car il s’agit d’un travail dangereux .
Chaque méthode a ses avantages et inconvénients : le problème de l’enquête étant le caractère hypothétique des réponses des interviewés, alors que l’analyse des salaires se heurte à la difficulté d’isoler le coût du risque dans les choix d’emploi.
Globalement, les valeurs de la vie humaine retenues par les autorités publiques en Europe s’appuient sur les méthodes de préférences déclarées, alors qu’en Amérique du Nord les agences de régulation utilisent des valeurs issues d’études de préférences révélées , qui sont plus élevées :
- En se basant sur l’analyse de plus de 1000 études de préférences déclarées, l’OCDE a déterminé en 2012 une valeur de référence de la vie humaine pour l’Union européenne de 3,6 millions de dollars , chiffre repris par la suite par certains pays européens dans leurs régulations.
- Aux Etats-Unis, les données issues du marché de l’emploi concluent à un prix de la vie d’environ 9 millions de dollars : c’est à dire qu’un emploi donnant une chance sur 10 000 de mourir dans l’année donnera lieu à une compensation de 900$/an (par rapport à un emploi équivalent sans risque). Cet ordre de grandeur est globalement repris par les agences de régulation américaines.
Par Emmanuel Grand
Cet article se trouve dans le dossier :
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