Guilhem Belda est ingénieur en informatique, diplômé de l’Université d’Avignon et passionné par l’aéronautique depuis son enfance. Il s’est demandé de quelle manière il était possible de concevoir des systèmes pour améliorer l’assistance à des personnes travaillant dans des milieux fortement contraints, comme c’est le cas des pilotes d’avion. En 2018, il a créé sa start-up pour développer une technologie capable de suivre l’état physiologique et cognitif de personnes évoluant dans ce type d’environnement. Après plusieurs années de recherche et développement, il est sur le point de commercialiser son système. Entretien avec le président et fondateur de Semaxone.
Techniques de l’Ingénieur : Pourquoi est-il important de surveiller la manière dont des personnes se comportent dans un environnement contraint ?
Guilhem Belda : En cas d’incident, les pilotes d’avion par exemple doivent être capables de mobiliser leurs compétences et leurs ressources cognitives pour faire face à cette situation, et ce malgré un fort niveau de stress. En plus de cet aspect cognitif, des contraintes venant de l’environnement peuvent intervenir, comme un changement de température, du taux d’oxygène, de fortes accélérations… Elles vont venir perturber le corps du pilote et impacter son confort et sa santé. Malgré tout, il doit être capable de s’adapter et de mobiliser rapidement et correctement toutes ses ressources, car cela va conditionner la sécurité de l’avion. Face à ces contraintes, nous développons des technologies de monitoring pour récupérer des données sur la physiologie d’une personne afin d’interpréter son état opérationnel et cognitif.
Quels types de mesures réalisez-vous ?
Nous recueillons des données cérébrales, au niveau du cortex préfrontal, une zone qui joue en quelque sorte le rôle de chef d’orchestre du cerveau. Pour cela, un bandeau est placé au niveau du front de la personne et équipé d’un capteur. Nous utilisons la spectroscopie, une technologie qui exploite les sources lumineuses, pour évaluer le niveau d’oxygénation du cortex et de manière continue afin de suivre son évolution. Cette technologie est déjà utilisée pour observer les zones cérébrales, mais pas dans un environnement contraint, comme nous le faisons. Cette méthode est développée en partenariat avec EuroMov DHM, un laboratoire de recherche spécialisé dans l’analyse de mesure physiologique en mouvement.
Ensuite, nous recueillons des données vocales. La voix est porteuse de sens autant sur le plan linguistique que para-linguistique. Nous recherchons toutes les informations autres que la langue, pour nous permettre de caractériser l’état d’une personne. Par exemple, quand un avion monte en altitude, la respiration du pilote devient différente, ses syllabes sont plus longues. À partir de ces petits indices, nous effectuons des corrélations avec son état physiologique. C’est un champ de recherche qui existe depuis de nombreuses années, mais là encore pas dans un univers contraint. Dans ce domaine, nous travaillons en partenariat avec le Laboratoire Informatique d’Avignon (LIA), spécialisé dans l’analyse de la voix.
Comment interprétez-vous ces données ?
Nous avons d’abord réalisé de nombreuses expérimentations pour acquérir de la donnée, que ce soit en laboratoire et en caisson pour simuler par exemple de hautes altitudes, mais aussi en conditions réelles. Au total, nous avons plus de 200 heures de vols analysés, entre autres avec des pilotes qui font de la voltige aérienne.
Ensuite, nous traitons ces données à l’aide d’un algorithme d’IA de type « machine learning » afin d’entraîner notre modèle numérique. Il va analyser les boucles d’interaction entre le domaine de la vascularisation du cerveau et celui de la production de parole et de la respiration. Nous avons à présent une bibliothèque nous permettant de savoir comment se comportent les différents signaux cognitifs d’un pilote en fonction de différentes situations, notamment sa charge mentale et cognitive, ou sa mémoire de travail… Au niveau des phénomènes physiologiques, on s’intéresse beaucoup à la manière dont se comporte le corps d’un pilote lorsqu’il est soumis à de fortes altitudes ou des accélérations, comme c’est le cas dans un avion de chasse. Lors de ces importantes accélérations, pouvant aller jusqu’à 5g (gravité – unité d’accélération, NDLR) voire 10g, la force gravitationnelle qui s’applique à un pilote va influencer le niveau sanguin dans le cerveau. Nous sommes capables d’observer ce phénomène et de déterminer si le pilote parvient à maintenir un niveau de réflexion et de performance malgré cette contrainte.
Quelles sont les applications potentielles de votre technologie ?
Elles sont principalement de deux ordres. Tout d’abord, dans le domaine de la formation des pilotes. L’idée est de recueillir des données lors de leur entraînement, puis d’analyser la manière dont ils réagissent à différentes situations extrêmes. Lorsque nous observons qu’il a encore de la marge, l’intensité de l’entraînement peut être augmentée, en fonction de ses capacités. Nos mesures sont personnalisées et l’objectif est d’être plus efficace et plus confortable pour le pilote en formation. Grâce à notre système, nous pouvons observer, sur la zone préfrontale du cerveau, la différence de charge entre des pilotes expérimentés ayant atteint un bon niveau de maîtrise de la situation, par rapport à de jeunes pilotes qui la découvrent.
La deuxième application se situe au niveau de l’intégration de notre système à bord des avions, sur les pilotes, dans le but de transmettre des informations aux constructeurs pour qu’ils prennent des contre-mesures. Par exemple, si un pilote se trouve surchargé mentalement, il est possible de lui mettre en avant les informations vraiment prioritaires. Autre cas : lorsqu’un pilote se trouve en haute altitude ou à la suite d’accélérations, son cerveau peut être dans un état d’hypoxie, c’est-à-dire manquer d’oxygène. La contre-mesure peut consister à l’en informer, pour qu’il redescende en altitude, car il ne s’en aperçoit pas toujours. Le constructeur peut aussi décider de mettre en place un système de secours automatique en oxygène.
À quel stade de votre projet en êtes-vous ?
Nous sommes dans une phase de développement et nous cherchons des partenaires et des clients. Des discussions sont en cours avec de grands industriels afin d’envisager d’équiper des avions de ligne. Nous avons aussi des échanges avec des opérateurs du nucléaire qui sont intéressés pour équiper leur personnel avec notre technologie. Le secteur médical est aussi une cible potentielle, notamment le domaine de la chirurgie. Il peut être intéressant d’équiper la personne qui fait l’acte chirurgical, mais aussi le patient. Il existe déjà des instruments pour mesurer l’oxygénation cérébrale, mais ils sont utilisés de manière ponctuelle au cours d’un examen. Grâce à notre système, nous pouvons observer ce phénomène en continu.
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