Le PS et la France insoumise accordent une place importante à la transition environnementale dans leur programme. Avec Benoit Hamon, 3,5 milliards d’euros par an y seront consacrés, ainsi qu’un plan de 100 milliards dans la rénovation urbaine et thermique. Tandis que Jean-Luc Mélenchon centre son programme sur une relance de l’économie par un emprunt de 100 milliards d’euros, dont 50 seront consacrés à l’urgence écologique. Dans un contexte où les émissions de CO2 françaises proviennent principalement des secteurs du bâtiment, du transport et de l’agriculture, il convient d’examiner leurs propositions.
Une politique fiscale ambitieuse sur le carbone
Les déclarations des deux candidats indiquent qu’ils sont favorables à la fiscalité carbone (ici pour Hamon, là pour Mélenchon)La progression de la Contribution Climat Energie vers 100€/Tco2 en 2030 ne devrait donc pas être remise en cause par la gauche, à l’instar de tous les autres candidats sauf de Marine Le Pen et de Nicolas Dupont-Aignan.Ils s’engagent également à supprimer l’avantage fiscal du diesel, comme Emmanuel Macron, mais vont plus loin en fixant un objectif clair : sortir du diesel.
La gauche est la seule à déclarer s’opposer aux niches fiscales environnementales. Le traitement favorable en termes de TICPE et TVA, dont bénéficie l’aviation et les énergies sales pour plus de 10,8 Mds d’€ par an, pourrait disparaitre avec les Socialistes ou la France Insoumise. Benoit Hamon propose d’ailleurs de moduler la TVA en fonction de l’empreinte environnementale du produit.
Système énergétique
Les deux candidats se sont engagés, comme tous les autres, à interdire l’exploitation du gaz de schiste, à l’exception de François Fillon qui ne s’est pas exprimé sur le sujet. Ils sont par contre les seuls à proposer une sortie du nucléaire. Benoit Hamon veut l’effectuer en 25 ans pour 2042, tandis que Jean-Luc Mélenchon s’engage à ne pas prolonger l’exploitation des centrales au-delà de 40 ans, ce qui revient à 2042 pour le dernier réacteur. Hamon vise par contre un objectif de 50% de nucléaire en 2025 qui implique de fermer plusieurs réacteurs avant leurs 40 ans. La France insoumise veut aussi abandonner le projet d’EPR de Flamanville tandis que le PS ne s’est pas exprimé sur le sujet.
Les candidats s’accordent également sur un objectif de 100% d’ENR en 2050. La question de la faisabilité technique d’un tel objectif se pose, mais elle apparait comme un défi que les technologies actuelles, sinon futures, peuvent résoudre. Un consortium de recherche européen a par exemple récemment annoncé une percée dans les matériaux supraconducteurs qui pourrait « révolutionner les renouvelables », permettant de doubler la puissance d’une éolienne. Des études comme celle de l’ADEME, de Negawatt ou de l’université de Standford ont montré qu’un mix 100% ENR est théoriquement réalisable et de nombreuses technologies innovantes permettent de gérer l’intermittence des ENR. Des solutions de stockage sont par exemple déjà disponibles (station de pompage, batteries) et de nouvelles émergent, comme le stockage écologique en mer porté par la start-up française « MGH-energy ». Les outils de prévisions de production d’énergie solaire et éolienne sont fiables, tout comme les solutions d’effacement de consommation électrique.
Au-delà des difficultés techniques, l’enjeu de ce type de proposition se situe donc plutôt sur son financement, et c’est là que les candidats se distinguent. Benoit Hamon prévoit 3,5Mds/an pour l’ensemble de son programme de transition environnementale tandis que Jean Luc Mélenchon veut consacrer 25 milliards exclusivement aux ENR, soit 5 Mds/an. Le parti socialiste propose donc d’atteindre le même objectif que la France insoumise avec beaucoup moins de moyens. A titre de comparaison, Emmanuel Macron prévoit 15 Mds d’investissement publiques dans la transition environnementale, soit 3 Mds/an, la fermeture de Fessenheim à ses 40 ans et souhaite attendre l’avis de l’ASN pour décider de la prolongation des centrales. La droite dans son ensemble souhaite quant à elle soutenir le nucléaire et ne vise en aucune façon sa réduction.
L’Institut Montaigne a évalué à 217 milliards le coût de sortie du nucléaire d’Hamon, dont 10 Mds/an sur le quinquennat. On y trouve 179 milliards pour le développement des ENR (montant financé par les charges de CSPE, une taxe payée par le consommateur d’électricité) et 25 milliards d’indemnités à EDF pour la sortie anticipée de l’atome. Néanmoins, l’institut a surestimé le montant car il a considéré une sortie en 18 ans au lieu des 25 proposés par Hamon. Il a aussi compté les charges de CSPE liées aux parcs ENR déjà existants, qui seront payées indépendamment de toute stratégie de sortie du nucléaire. Cela pourrait représenter une surestimation d’au moins 40 Mds, sans oublier que la prolongation d’exploitation des centrales est estimée à 100 Mds d’ici 2030 par la cour des comptes. Un calcul plus optimiste donnerait donc 77 milliards sur 25 ans soit 3 Mds de dépense supplémentaire par an.
L’étude de l’Institut Montaigne montre surtout que l’on peut réduire la dépense en choisissant une sortie plus souple de l’atome. Cela permettrait de mieux profiter des futures réductions de coûts dans les ENR et de diminuer les indemnités dues à EDF.
Lors du prochain quinquennat, 19 des 58 réacteurs auront 40 ans. Cela signifie que la gauche propose de remplacer en 5 ans environ 20 % de l’électricité par les ENR, qui n’en représentent aujourd’hui que 17,5% : une tâche ambitieuse. En s’engageant auprès des électeurs à ne prolonger l’exploitation d’aucune centrale, les candidats se coupent d’une importante marge de manœuvre et de négociation. En effet, accepter des prolongations de quelques années sur un petit nombre de réacteurs n’empêche en théorie ni de sortir du nucléaire d’ici 2042 ni d’atteindre 100% d’ENR en 2050.
La rénovation énergétique des bâtiments
Hamon prévoit un plan d’efficacité et de sobriété énergétique portant entre autres sur l’isolation et un budget de 100 milliards sur 5 ans dans la rénovation urbaine et thermique. Le candidat n’a pas donné plus de précisions sur la forme que prendrait la mise en œuvre de ce chantier. Lors d’une conférence organisée le 17 mars, le parti socialiste a indiqué que la transition environnementale représentera 3,5 Milliards de nouvelles dépenses par an et les investissements dans les infrastructures et le logement 5,3 Milliards. Cela ne semble pas correspondre au plan de 100 milliards sur 5 ans inscrit dans son programme.
La France Insoumise prévoit un plan d’investissement de 4 Mds/an dans l’isolation thermique des bâtiments. Le parti compte augmenter notablement les moyens de l’Agence Nationale de l’Habitat (ANAH) en lui confiant la coordination de ce plan d’isolation et souhaite la mise en place de « guichets uniques » qui accompagneront de manière complète les ménages dans leurs travaux.
Le bilan de la rénovation énergétique sous le quinquennat Hollande est nuancé. En 2014, près de 400 000 rénovations ont été efficaces sur un objectif de 500 0000 mais sur les 3,5 millions de travaux de rénovations, 3,1 peuvent être qualifiés de faibles ou moyens. L’isolation des murs est l’un des postes qui fut des moins fréquents malgré son efficacité. Parallèlement, le programme « Habiter Mieux » de l’ANAH a concerné 70% de ménages précaires et a réalisé un gain d’énergie d’en moyenne 40%. Ces résultats excellents en font une référence reconnue, avec une offre d’accompagnement complète en guichet unique.
La gauche fait donc preuve de pertinence en se concentrant sur l’isolation. Le FN le propose aussi, mais contrairement à ce dernier la France insoumise propose des mesures concrètes et chiffrées tirées des enseignements passés.
Les propositions en matière de mobilité électrique
Les candidats de la gauche préfèrent tous deux se concentrer sur les alternatives à la voiture individuelle (ferroviaire, transport en commun) plutôt que sur la voiture électrique. Benoit Hamon mentionne un effort de déploiement de bornes de recharges et de recherche dans l’autonomie des batteries, son plan d’efficacité énergétique évoque les véhicules propres, mais le candidat dit vouloir donner la priorité au ferroviaire. Ces ambitions sont positives mais ne sont pas accompagnées d’objectifs concrets ou de plan d’investissement chiffré. La France insoumise prévoit 1 milliard d’investissement par an dans le ferroutage avec comme objectif que tous les camions traversant la France entre la frontière belge et la frontière espagnole passent sur des trains. Les insoumis veulent aussi développer plus intensément le maillage ferroviaire, bloquer son ouverture à la concurrence, nationaliser les autoroutes et revenir sur la loi Macron qui a développé des liaisons par autocars privés.
Le plan de ferroutage de Mélenchon aurait un impact très positif sur la réduction des émissions de CO2 par les poids lourds, mais un budget d’un milliard par an est peut-être trop court si la France Insoumise compte également développer le réseau national. D’après la SNCF 4,9 Mds€ ont été investis dans la modernisation du réseau en 2015. Autre exemple, la future ligne Poitiers-Limoge est chiffrée par la SNCF à 1,62 milliards pour 112km de nouveaux rails.
Le parti veut remettre en cause l’utilisation de la voiture individuelle tout en se montrant hostile à l’égard de la concurrence dans les transports publics. Pourtant, en baissant les coûts la concurrence permet d’attirer plus de voyageurs et de réduire l’utilisation de la voiture. De même, le bilan concernant les autocars privés n’est pas mauvais : 1 350 emplois ont été créés, et sur 5,2 millions de passagers en 2015, 17 % n’auraient pas voyagé sans ce mode de transport, 19 % auraient utilisé la voiture et 2% l’avion, le reste se partageant entre train et covoiturage. Cela correspond à 1 million de trajets en voiture économisés et 100 000 passagers en avion soit 200 airbus A380 restés au sol.
26 millions de véhicules particuliers et utilitaires sont actuellement en circulation, la France insoumise laisse ce problème presque entier en ne centrant aucune proposition sur la voiture électrique. Le parti a cela dit indiqué vouloir mettre en place une politique nationale en faveur du vélo et du vélo à assistance électrique et n’a pas déclaré vouloir revenir sur les actuels dispositifs d’incitations à l’achat de véhicule électrique mis en place par le PS
Sur l’agro-ecologie
Benoit Hamon veut instaurer un minimum de 50 % de repas Bio ou issus des circuits courts dans la restauration collective, une proposition partagée avec Emmanuel Macron, mais il propose aussi de réduire la TVA sur ces produits. Le candidat partage également avec En Marche une volonté de s’opposer aux perturbateurs endocriniens.
Jean-Luc Mélenchon présente quant à lui un plan de transition écologique de l’agriculture qui vise à fortement restreindre l’utilisation des pesticides et des engrais. Il partage également l’idée de soutenir la restauration collective pour qu’elle distribue plus de produits biologiques locaux. Ce plan implique de s’extraire de la logique de libre-échange européenne en agriculture et de ré-instaurer un protectionnisme pour garantir un revenu aux agriculteurs.
Appui européen
L’approche de la question européenne est un point différenciant les deux candidats de la Gauche. Hamon souhaite faire une Europe de l’énergie, visant à adopter un plan d’investissement de 1 000 milliards d’euros pour la sobriété, l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables.
La France Insoumise souhaite proposer une renégociation radicale de plusieurs traités européens. En cas d’accord partiel, le résultat sera soumis à un referendum donnant le choix entre une sortie de la France ou son maintien au sein de l’UE. L’échec des négociations mènera par contre à la sortie, sans consultation par referendum.
Les insoumis souhaitent entre autres la fin du libre-échange, la fin de l’indépendance de la Banque Centrale Européenne, une annulation partielles des dettes souveraines, la fin de la libéralisation de plusieurs secteurs au sein de l’union européenne et l’abandon du marché carbone. L’ambition de ces demandes laisse croire qu’aucun accord ne sera obtenu et qu’une sortie de l’Union Européenne rime avec la France Melenchonienne.
Simultanément, les insoumis veulent organiser le passage de la France à une 6e république, en proposant un référendum pour engager la convocation d’une assemblée constituante citoyenne. En cas de résultat positif, le parti lui soumettra ses propositions afin d’aboutir à un projet de nouvelle constitution. Ce projet sera alors soumis à référendum. Cette réorganisation de la France doublée d’une probable sortie de l’Europe, conditionnées par plusieurs référendums, génère de l’incertitude.
Les deux candidats de la Gauche présentent des politiques énergétiques très similaires. Les objectifs qu’ils proposent d’atteindre dans ce seul domaine sont particulièrement ambitieux et donc difficiles à tenir. Hamon donne moins de propositions concrètes que son rival mais affiche l’ambition d’entrainer l’Europe dans son action, tandis que Jean-Luc Mélenchon adopte une position qui mènera probablement à la sortie de l’UE. Les problèmes environnementaux étant mondiaux, il semble contreproductif de vouloir faire de la France un élève modèle en matière de transition si elle l’effectue seule, comme l’illustre l’abandon du marché carbone.
Par Gabriel Brezet
Gabriel Brézet est ingénieur de formation. Il a suivi un double cursus avec un mastère spécialisé en économie de l’énergie. Il travaille aujourd’hui dans le secteur des énergies renouvelables.
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