Face à leur multiplication, les retenues d'eau font l'objet de violentes manifestations en France. Les promoteurs de ces ouvrages considèrent qu'ils sont une solution pour aider les agriculteurs à s'adapter au changement climatique, tandis que les opposants affirment qu'ils accentuent la pression sur les ressources en eau et les nappes phréatiques.
Parmi les sujets qui font la une de l’actualité ces derniers mois, difficile d’échapper aux mégabassines, ces ouvrages agricoles à l’origine de violentes manifestations en France. Même s’il n’existe aucun décompte officiel, le nombre de ces réservoirs d’eau ne cesse de se multiplier en France. Apparus dans les années 1990, entre 1 000 et 2 000 seraient déjà construits ou en projet, selon un décompte de Christian Amblard, directeur honoraire de recherche au CNRS et spécialiste des écosystèmes aquatiques. Alors qu’ils sont principalement implantés en Nouvelle-Aquitaine et dans les Pays de la Loire, les promoteurs et les opposants de ces réserves de substitution -leur nom officiel- affûtent leurs arguments pour les défendre ou au contraire les contester.
Pour les premiers, ces installations sont une solution pour aider les agriculteurs à s’adapter aux nouvelles réalités climatiques, caractérisées notamment par des sécheresses plus longues et sévères. Contrairement aux retenues classiques dont le remplissage est réalisé en captant l’écoulement naturel de l’eau, ici elle est directement pompée dans les nappes phréatiques ou plus rarement dans des rivières. Cette eau est ensuite stockée dans ces retenues qui ont la particularité d’être imperméabilisées et plastifiées.
Les partisans de ces ouvrages affirment que l’eau est puisée dans des nappes en surface en hiver, lorsqu’elle s’y trouve en excès, et non pas dans des nappes profondes. Ces réservoirs permettent ainsi de remplacer les prélèvements directs dans le milieu en été, et donc de réduire la pression sur les nappes phréatiques lorsque celles-ci sont en tension. Ils s’appuient pour cela sur une étude du BRGM réalisée à la demande d’une Coopérative de l’eau des Deux-Sèvres, qui a pour projet de construire seize retenues dans le Marais poitevin. L’étude conclut à un impact négligeable sur les nappes phréatiques et les cours d’eau des prélèvements hivernaux réalisés pour remplir ces réservoirs.
Pour les agriculteurs, ces installations leur apportent une sécurité, puisqu’elles leur assurent un approvisionnement en eau constant pour l’irrigation en été, même en pleine période de sécheresse, et limitent le stress hydrique des cultures agricoles. En garantissant un accès à l’eau durant les périodes critiques, les mégabassines peuvent améliorer les rendements agricoles, ce qui est crucial pour la productivité et la rentabilité des exploitations agricoles.
Des pertes d’eau par évaporation estimées entre 20 et 60 %
Pour les opposants, ces mégabassines ne font qu’accentuer la pression sur les ressources en eau, alors que les nappes phréatiques peinent à se reconstituer, même en hiver. Face au gigantisme de ces ouvrages, dont la superficie dépasse plusieurs hectares, ils pointent également du doigt les pertes par évaporation des volumes captés, qui sont estimées entre 20 % et 60 %. En plus d’impacter le milieu naturel et la biodiversité, ces infrastructures posent également des problèmes du conflit d’usage de l’eau qui bénéficie principalement aux grandes exploitations agricoles intensives, au détriment des petits agriculteurs et des autres usagers de l’eau.
Dans son sixième rapport, le GIEC aborde brièvement la question des retenues d’eau dans le chapitre consacré aux enjeux climatiques en Europe. Les experts écrivent que : « les réservoirs sont coûteux, ont des impacts environnementaux négatifs et ne seront pas suffisants partout au-delà de certains niveaux de réchauffement climatique. »
Pour Vincent Bretagnolle, écologue et directeur de recherche CNRS, les réserves de substitution ne sont pas une réponse adéquate à la raréfaction de l’eau, car si le raisonnement paraît infaillible, le constat de départ est erroné. « La solution des mégabassines ne règle pas les causes profondes du problème auquel nous sommes confrontés, une accélération continue du cycle de l’eau depuis des décennies, et ne peut donc prétendre au rôle de solution unique, ni même prioritaire. »
Même constat pour l’hydroclimatologue et directrice de recherche au CNRS Florence Habets qui parle du cercle vicieux de la dépendance à l’eau dans le média The conversation. Elle explique qu’un déficit en eau, c’est-à-dire dans le cas où l’usage de l’eau devient supérieur à la ressource, conduit à la création de nouveaux stocks d’eau, mais que ces gains de réserves sont en fait compensés par une augmentation des usages, avec par exemple une augmentation des surfaces irriguées. Ces évolutions, combinées au changement climatique qui provoque de nouveaux déficits en eau, conduisent à un cycle sans fin.
Considéré comme le pays des bassines, l’Espagne dispose d’un historique suffisamment important pour mesurer l’impact de ces installations. Les premières ont en effet été construites dès les années 1950 et ont contribué au développement d’une agriculture intensive et surtout à l’irrigation de masse des cultures. Mais aujourd’hui, ce modèle agricole arrive à bout de souffle, car la surexploitation des sols et des nappes phréatiques, combinée au changement climatique, conduit à des difficultés à remplir ces réservoirs. Quelques-uns commencent même à être détruits.
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