Matthieu Deboeuf-Rouchon est un expert reconnu des sujets autour de l’innovation et de la transformation digitale. En 2008 il fonde son cabinet de conseil en Transformation Digitale et Innovation. En 2017 il rejoint les équipes de Capgemini Engineering. Il est co-auteur du « Guide de Survie du Consumer Electronics Show : comment organiser, vivre & optimiser sa visite du plus grand salon mondial de la Tech ! ». Il est aussi membre du jury du CES Innovation Awards 2024. Passionné par l’impact des technologies sur la société, les entreprises et les êtres humains, il co-anime le podcast Innovation & Prospective Talk.
Techniques de l’Ingénieur : Le CES a abandonné son image de vitrine bling-bling de la high-tech. Le salon se concentre beaucoup plus sur les innovations pouvant être intégrées par les industriels. Cette mutation est-elle renforcée cette année ?
Matthieu Deboeuf-Rouchon : Oui. Le CES a su évoluer pour devenir un salon plus B2B, institutionnalisé, et tracté par des acteurs industriels majeurs et très présents. C’est une caisse de résonance du dernier trimestre de l’année passée avec la volonté affichée de proposer une réelle valeur pour l’efficience des entreprises et de façon plus large, pour le bien de l’humanité. Pour tous les chercheurs et les ingénieurs qui se rendent à ce salon, il s’agit de découvrir des technologies profondes et plus uniquement de l’enceinte connectée qui fait « pouet pouet » ! Il y a une rationalisation des mètres carrés. La course à celui qui aura le plus gros stand est révolue. On se montre toujours, mais de façon plus rationnelle.
Bien que ce salon traite de technologies, c’est avant tout un carrefour favorisant les échanges et la mise en réseau.
Le CES est donc devenu le salon incontournable ?
Le CES reste en effet la référence mondiale en termes de maturité et d’intégration des technologies. En Europe, nous avons Vivatech (que l’on peut présenter comme le « CES européen ») et le Slush de Helsinki orienté sur la relation start-up / investisseurs. Dans une moindre mesure, il y a aussi l’IFA de Berlin. Mais ce salon reste encore focalisé sur l’Allemagne et il est considéré comme un rendez-vous à la fois professionnel, scolaire et familial comme la Foire de Paris. Il est important de souligner la volonté d’acteurs africains de développer un « CES local » sur ce continent, tout du moins un évènement qui aurait une résonance similaire.
Quelles sont les thématiques majeures de l’édition 2024 ?
Les thématiques centrales reposent principalement sur l’IA, la santé connectée et les modes de transport personnels ou communs. En préparant ma venue à Las Vegas, je me suis aperçu que la maison et l’individu connectés dominent cette édition avec 798 exposants référencés dans le domaine avec de l’intelligence artificielle, de la mobilité et de la santé. La première apparition de l’IA au CES remonte à 2016. Et depuis, ça n’a été qu’une course effrénée à l’excitation autour de cette technologie avec de nombreuses start-up. Aujourd’hui, on a remis l’IA à sa place : un algorithme capable de générer du contenu, mais qui doit être en lien avec la valeur attendue. On se concentre sur l’accessibilité à l’IA, l’usage et les bénéfices que l’on peut en tirer. Beaucoup de start-up présentes sont à des niveaux de maturité plus élevés de l’IA générative sans avoir fait elles-mêmes de la recherche. Elles bénéficient de tout le travail de science et d’engineering qui a été réalisé pour se focaliser sur des processus d’intégration de services déjà existants.
Les univers immersifs sont assez présents sur ce salon. C’est le cas de Phamton, avec son gant intégrant un retour de force et une analyse des muscles de l’avant-bras qui permettrait de prédire le mouvement, de les anticiper en quelque sorte. Ce projet est intéressant, car les matériaux utilisés sont très légers. Le gant pourrait, par exemple, être intégré par des industriels pour aider à distance un technicien intervenant sur une machine qu’il ne maîtrise pas encore assez bien.
Certaines thématiques vous laissent-elles dubitatif ?
J’ai quelques sujets d’interrogations, notamment à propos d’AWS for Automotive. Le géant Amazon ambitionne de vendre des véhicules comme il vend des livres ! J’attends de voir s’il présente des méthodes disruptives pour gérer le stock des constructeurs et comment il intègre l’IA. Mêmes interrogations concernant le Metavers qui est apparu au CES il y a 3 ou 4 ans. Tous les médias en parlaient. Et ceux qui étaient absents en parlaient pour évoquer des cas d’usage. Mais au CES, personne n’évoquait ce mot-valise ! On parlait de technologies immersives, mais pas de l’utilisation du métavers. Même constat avec la 5G qui est aujourd’hui considérée comme un prérequis et pas comme une technologie à part.
L’Europe est-elle très présente ?
Il y a une prédominance de l’Asie et en particulier de la Corée du Sud avec un focus sur la technologie au service de l’humanité.
Concernant l’Europe il y a une forte présence de pavillons régionaux qui intègrent des start-up vraiment très intéressantes. Il ne faut pas manquer le stand du CEA qui présente des projets de travaux pertinents, des intégrations poussées et des deeptech très intéressantes comme VXP pour des calculs ultra-rapides pour le cerveau et NEUROCORGI avec sa puce IA basse consommation inspirée du cerveau. Citons aussi la présence de Dassault qui parle du digital twin depuis quelques années avec une vraie vision sur la façon dont on peut modéliser le corps. Le groupe a un très beau stand, mais il a surtout des « corners » très précis qui abordent des cas d’usage très clairs. Le bling-bling appartient à une autre époque !
Crédit image de une : freepik – starline
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