Le marché de l’électricité européen n’est pas au bout des négociations qui l’animent depuis des mois. Même si un compromis a été annoncé le 17 octobre entre les différents ministres de l’Énergie de l’Union européenne, il reste encore à faire acter les décisions par le Parlement. Dans le meilleur des cas, l’issue sera actée avant la fin de l’année ; sinon la perspective des élections européennes de juin et de la mise en place d’une nouvelle Commission repoussera le calendrier à 2025.
Rappelons le contexte. Le marché européen de l’électricité fonctionne comme une plaque où les électrons s’échangent entre producteurs et acheteurs, y compris par l’intermédiaire de traders. Les prix sont fixés d’avance entre eux à plus ou moins long terme, selon des prévisions de disponibilité des centrales électriques et de consommations. Sur ce marché, les centrales ayant les coûts marginaux les plus bas sont sollicitées en premier (renouvelable, nucléaire), et le prix de tous les moyens de production est aligné sur celui de la dernière centrale appelée (souvent au gaz), donc sur le prix le plus élevé.
Pendant longtemps, ce mécanisme de marché n’a pas posé de souci particulier. Mais à la suite de la reprise post-Covid puis de la crise d’approvisionnement en gaz, le coût des dernières centrales appelées dans ce « merit-order » a flambé, laissant entreprises, collectivités et citoyens exsangues face à la hausse des prix. En moyenne hebdomadaire, un pic a été atteint en août 2022 avec plus de 600 €/MWh, alors que le précédent record datait de 2008, autour de 100 €… et que les prix de l’électricité en 2020 ont été de l’ordre de 15-40 €. Les États ont dû mettre en place des boucliers de protection coûtant très cher aux finances publiques. Tout le monde a alors appelé à une réforme permettant d’encourager des contrats de long terme pour les centrales les moins chères, afin de sécuriser un prix décent de l’électricité.
Désaccord sur la portée des CfD
La Commission européenne a fait une proposition de réforme en mars dernier, prévoyant que ces contrats s’appliqueraient aux nouvelles installations décarbonées, renouvelable comme nucléaire. Ils peuvent être privés (PPA – Power Purchase Agreement) ou publics (CfD – Contracts for Difference). Mais le gouvernement français souhaitait aller plus loin en demandant que son parc nucléaire existant puisse aussi profiter de CfD et d’avoir la liberté de redistribuer une part de la rente des électriciens aux consommateurs. En effet, ces derniers engrangent des profits importants quand les prix de marché sont élevés. Mais ces idées ne sont pas du goût de tout le monde en Europe, en particulier de l’Allemagne qui redoute un soutien au nucléaire « obsolète » selon les mots de l’eurodéputé écologiste Michael Bloss (cité par le média Contexte) et une aide déguisée aux industriels français, au risque de nuire à la compétitivité allemande.
À la tête des négociations, la présidence espagnole de l’Union a d’abord contenté l’Allemagne et ses alliés, en excluant les centrales nucléaires existantes des CfD. À la recherche d’un compromis, elle a évité d’ouvrir d’autres sujets d’affront. Elle n’a ainsi pas remis sur la table son idée d’étendre à d’autres producteurs le plafonnement de la rente infra-marginale à 180 €/MWh. Elle a aussi accepté que les pays souffrant le plus du manque d’accès au gaz russe, notamment la Pologne, puissent soutenir le fonctionnement de leurs centrales à charbon par des mécanismes de capacité.
Mais pour trouver un accord avec la France – qui à cette occasion a remis en avant son alliance sur le nucléaire avec des pays comme la Hongrie, la Roumanie, la République tchèque, la Croatie –, le texte prévoit finalement bien une possibilité pour les installations nucléaires existantes d’être soutenues par des aides d’État, sous conditions.
La DG Concurrence garde la main
À l’issue de ces va-et-vient, l’unanimité a été trouvée le 17 octobre sur le texte proposé par l’Espagne, à part du côté hongrois où on s’est abstenu, estimant qu’il n’y a pas assez de flexibilité pour fixer les prix en cas de crise. Des deux côtés du Rhin, on crie victoire. Le gouvernement français est persuadé que les anciennes centrales nucléaires pourront profiter des CfD : la volonté du ministère français de la transition énergétique est d’aligner le prix de référence sur les estimations de la CRE qui donne un coût de la production nucléaire à 60 €/MWh*. Les spécialistes sont plus dubitatifs : le texte ouvre certes une possibilité de soutien public au nucléaire existant, mais il est fortement conditionné au bon vouloir de la Direction générale de la Concurrence, fort peu encline à accepter des mécanismes qui faussent la concurrence. C’est pourquoi l’Allemagne estime au contraire qu’elle a gagné la partie, car elle voit dans le texte un garde-fou pour éviter tout abus de la France, même si elle aurait souhaité des contraintes plus fortes.
La partie est donc encore loin d’être finie au niveau européen pour être sûr de ce que pourra réellement utiliser la France dans le cadre de cette réforme du marché de l’électricité.
* Pendant longtemps, le coût moyen de production des centrales nucléaires existantes a été annoncé autour de 35 €/MWh par EDF. Il avait été réévalué à 42 €/MWh pour le mécanisme de l’Arenh. Une estimation de 2021 de la Cour des comptes le portait déjà à une moyenne de 60 €/MWh.
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