La croissance reste soutenue, avec plus de 5 millions de cartes supplémentaires par an depuis un an selon l’Arcep¹. Les entreprises aussi utilisent de plus en plus la 5G pour la télémaintenance, l’utilisation d’outils connectés, les visioconférences en HD… Mais tous ces usages ont un coût qui ne cesse d’augmenter et ont des impacts sur l’environnement.
La Société informatique de France (SIF), une Association loi 1901, a entamé une série d’articles sur les enjeux de la 5G. Explications avec Joris Coudreau qui a participé au rapport du Shift Project sur les Mondes Virtuels et Marceau Coupechoux de Telecom Paris (ENST) qui a aussi participé au rapport du Shift Project sur les Réseaux.
Marceau Coupechoux est Professeur à Telecom Paris et Professeur chargé de cours à l’École Polytechnique. Il enseigne et effectue ses recherches dans le domaine de l’évaluation des performances, l’optimisation, l’algorithmie des réseaux sans fil et leurs impacts environnementaux. Il a participé au rapport du Shift Project sur les Réseaux. Il est membre du groupe de recherche CNRS EcoInfo qui cherche à réduire les impacts environnementaux et sociétaux négatifs des technologies du numérique.
Spécialisé en intelligence artificielle et décision au sortir de ses études, Joris Coudreau passe une quinzaine d’années au service de grandes DSI en recherche de rationalisation de l’architecture de leur système d’information. Il accompagne depuis trois ans les organisations et collectivités dans leur transition écologique. Animateur de la fresque du climat et de la fresque du numérique, il contribue également aux travaux du programme « LeanICT » du Shift project (évaluation des impacts énergétiques et climatiques du secteur numérique).
Techniques de l’Ingénieur : L’amélioration de l’efficacité énergétique est une condition nécessaire pour la viabilité économique de la 5G. Est-ce le seul point sur lequel il faut se focaliser ?
Marceau Coupechoux : L’efficacité énergétique et l’optimisation sont des problématiques qui ont toujours été traitées depuis l’apparition des réseaux. Il n’y a pas de rupture particulière avec la 5G, que ce soit au niveau du hardware, des composants électroniques ; il y a des améliorations continues. Au niveau du protocole 5G, lorsque pour la première fois l’Union internationale des télécommunications a fixé les exigences, elle a parlé d’efficacité énergétique et qu’il était nécessaire que tout soit optimisé lorsqu’il y a beaucoup de trafic. Il fallait que les protocoles puissent se mettre en mode veille assez facilement dès qu’il y a moins de connexions. Mais l’efficacité énergétique, c’est-à-dire le nombre de bits transmis par unité d’énergie, c’est seulement un élément de la problématique. Si le nombre de bits ne cesse d’augmenter, nous ne pouvons pas réduire la facture énergétique.
L’efficacité énergétique n’est pas suffisante. Elle doit être complétée par des mesures de sobriété, car pour l’instant la croissance des réseaux est tirée par la croissance du trafic et du nombre de terminaux, d’antennes… Collectivement, il faut fixer des limites en régulant notamment le trafic.
Le problème est l’augmentation du trafic et du volume de données ?
Marceau Coupechoux : Oui. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) a publié un rapport fin 2023 qui indiquait que les besoins énergétiques des datacenters pourraient devenir si élevés que leur besoin en électricité équivaudrait à celui de l’ensemble du Japon, soit plus de 1 000 TWh d’ici 2026. Cette augmentation s’explique notamment par le volume de données qui explose, mais les deux principales causes sont le recours massif à l’intelligence artificielle et le développement des cryptomonnaies. Il est essentiel de se focaliser sur les usages actuels et encore plus sur les futurs usages. Par exemple, les metavers sont-ils vraiment indispensables ou sont-ils une énième galerie commerciale virtuelle dans laquelle on incitera les usagers à acheter un t-shirt ?
Joris Coudreau : Nous ne voyons qu’un petit bout du problème. Nous manquons de recul. Il ne faut pas en effet se focaliser sur un seul élément (l’efficacité énergétique des infrastructures). Il faut tenir compte des coûts de fabrication (assemblage, transport, extraction…) de tous ces composants nécessaires pour répondre à la demande. Sans oublier la pénurie des minerais. L’IA peut être utile pour l’efficacité, mais sa mise en place coûte combien pour atteindre cet objectif ? La problématique est la même pour les capteurs industriels. Le sujet n’est pas tellement de savoir comment éco-concevoir. C’est plutôt comment s’en passer et comment arrêter d’en déployer dans des endroits où ils ne sont pas indispensables. Dans un second temps, nous pourrons nous focaliser sur leur fabrication.
Que ce soient les smartphones ou l’IoT, la priorité est de réfléchir aux besoins réels afin de ralentir cette dynamique du « toujours plus » ?
Marceau Coupechoux : Le marché des smartphones ralentit, même si nous restons à des niveaux élevés avec environ 1,4 milliard de téléphones fabriqués chaque année. Mais un rapport de l’équipementier américain Cisco note en effet que ce sont les terminaux IoT qui tirent la croissance du marché global des objets connectés. Le problème se situe bien au niveau de leur fabrication, pas au niveau de leur consommation. La phase d’utilisation est plus importante pour ceux qui nécessitent de gros débits, mais même dans ce cas, c’est la phase de fabrication qui domine largement.
Quelle est la position des opérateurs et des équipementiers concernant ces problématiques ?
Marceau Coupechoux : Ils essaient de faire leur possible dans un contexte de concurrence et de recherche de profits. Comme d’autres, ils sont pris dans une dynamique qui les dépasse. Les fournisseurs et les plateformes des services ont tendance à vouloir capter l’attention des usagers et transmettre des flux vidéo de meilleure qualité ; de leur côté, les opérateurs subissent cette dynamique, mais la provoquent aussi en augmentant la capacité des réseaux… Donc, ils vont tous dans la 5G et iront vers la 6G.
Joris Coudreau : Ils commencent néanmoins à comparer les surcoûts engendrés par le déploiement de toutes ces infrastructures. Ils constatent cette débauche de moyens. En termes de rentabilité, les telcos commencent à avoir du mal à suivre. L’idée d’arbitrer les usages et les types de flux commence à faire son chemin. Faire payer à l’usage pourrait être envisagé. Les abonnements illimités ne sont plus vraiment d’actualité, car les opérateurs ont conscience des limites de ressources et des risques de pénuries.
¹ Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse
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