Je voudrais illustrer ici que la maîtrise des émissions de CO2 dans le monde passera par la réduction de l’intensité de ces émissions rapportées aux consommations d’énergie. C’est sur cet indicateur essentiel que devraient en priorité être fixés aux nations des objectifs de progrès.
Dans une publication du mois de Mai 2014, le Docteur Goulu a bien voulu nous rappeler l’équation toute simple de Kaya qui présente la particularité de ramener les émissions de CO2 d’un pays ou d’une région du monde, au produit de 4 termes :
- L’intensité des émissions de CO2 par unité d’énergie produite ou consommée: CO2/TEP qui peut être exprimée en MT de CO2 générées par MTEP produite ou consommée. C’est un indicateur du caractère polluant de la production locale d’énergie qui dépend des ressources disponibles ou importées d’énergies primaires et des choix préalables technologiques et politiques réalisés. Par exemple, l’équipement de la France en centrales électronucléaire a été un choix politique et technologique majeur. Celui de la Chine de brûler sans compter du charbon est un choix politique d’une impérieuse volonté de compétitivité énergétique, aux dépens du cadre de vie. Celui de l’Allemagne de se désengager du nucléaire, sans consulter ses voisins, fut un choix éminemment politique de recherche de cohésion nationale. Les conséquences économiques négatives pour l’Europe de ce choix allemand devront être évaluées.
- L’intensité énergétique du PIB : TEP/PIB dont l’unité courante est le MTEP par milliards de dollars de PIB. Ce paramètre, avec le mouvement général de tertiarisation de l’économie mondiale, est appelé à décroitre. Il intègre tous les progrès dans l’efficacité énergétique des processus d’extraction, de transformation et de transport des matières mais aussi ceux réalisés dans le transport des hommes, acteurs de la vie économique.
- Le PIB par habitant : PIB/POP qui est l’indicateur global de développement économique et de productivité d’une nation ou d’une région du monde. Il va dépendre du niveau global de connaissance des acteurs et des investissements déjà réalisés dans les outils de production et les infrastructures. Il dépend des gains de productivité globaux associés aux activités générales de production et de logistique.
- Et enfin le terme POP qui quantifie la population, active ou non, de ce pays ou de cette région. C’est une donnée qui varie avec le temps et les politiques migratoires et familiales.
Cette décomposition en quatre termes permet de segmenter l’équation globale en concepts un peu moins complexes à appréhender…bien que ceci ne soit pas toujours évident.
A titres d’exemples, je vous propose d’examiner deux termes du produit: le premier CO2/TEP et le dernier POP.
La publication récente par le pétrolier BP de sa « Statistical Review of World Energy 2014 » permet simplement, à partir du dossier Excel, sur plusieurs années et par pays d’accéder aux valeurs des intensités des émissions de CO2 rapportées aux consommations d’énergies (Figure 1).
Figure 1 :
En examinant sur plusieurs années ce premier terme de l’équation de Kaya il apparaît qu’il peut être très différent d’une nation à l’autre. D’après les données de BP 2014, il était en 2013 pour la Chine de 3,34 MT de CO2 par MTEP consommés (dernier point, courbe rouge). Et il affichait une valeur de 1,55 MT de CO2 par MTEP pour la France (dernier point, courbe bleue). Rapport de plus du simple au double. L’Allemagne (courbe verte) et les Etats-Unis non représentés ici, mais très proches de l’Allemagne sur ce critère, présentent des valeurs intermédiaires et voisines de celles du monde qui affiche en 2013 un rapport moyen égal à 2,76 MT de CO2 par MTEP.
Par contre les évolutions de ces valeurs au cours du temps sont très lentes (-9% pour la France en 13 ans, -4% pour l’Allemagne, +1,4% pour la moyenne mondiale), ce qui illustre la viscosité des choix énergétiques des nations, phénomène en totale opposition avec certains propos parlant de « virages » ou de « transition » qui nous sont, tous les jours, assénés par les propagandes étatiques . Une fois de plus, répétons que la France malgré son addiction aux carburants importés issus du pétrole, affiche une excellente performance sur ce critère, grâce à son modèle énergétique électrique basé sur l’hydroélectricité et l’électronucléaire.
Pour lutter efficacement contre les émissions mondiales de CO2, il faut demander poliment à la Chine de bâtir un plan énergétique se rapprochant de celui de la France, abandonnant le charbon, avec pour objectif de réduire en une décennie le flux unitaire de ses émissions de CO2 de 30% pour passer au-dessous des 2 MTCO2/MTEP, en adoptant un mix électrique composé presque exclusivement de centrales électronucléaires et d’hydroélectricité.
L’Inde qui affiche un coefficient de 3,25 MTCO2/MTEP en 2013, l’Indonésie à 3,11 et bien d’autres pays d’Asie devraient également adopter des mesures de restriction d’utilisation du charbon.
Sur la base de cet ambitieux, hypothétique, objectif chinois et compte tenu d’une croissance moyenne de consommation énergétique de 4% par an (ou 50% en une décennie), les émissions de CO2 de la Chine seraient alors globalement stabilisées autour des 11 milliards de tonnes par an. Sinon, en l’absence de mesures chinoises radicales, elles vont poursuivre leur croissance, tout simplement.
Quant au terme POP, la population mondiale qui est, d’après les prévisions médianes des Nations Unies, appelé à croitre pour atteindre vers 2050 les 9,5 milliards d’humains. Je vous invite à prendre cette donnée prospective avec beaucoup de philosophie et de consulter la récente présentation au Collège de France de l’excellent Hervé Le Bras de l’Ined sur la faible fiabilité des prévisions dans le domaine démographique et sur les biais politiques et idéologiques attachés aux publications des Nations Unies. La croissance de la population mondiale prévue est liée dans ces projections à celle de l’Afrique et plus précisément à celle des pays du Sahel et du Nigéria, dans un contexte de bilan migratoire supposé nul. Allez-savoir ce qu’il pourra se passer dans ces pays politiquement et religieusement agités d’ici là ?
En conclusion, il apparaît sur la base de données historiques récentes que les flux unitaires d’émissions de CO2 ramenés aux consommations d’énergies (premier terme de l’équation de Kaya) sont très dépendants des choix énergétiques des Nations et qu’ils sont très différents d’une nation à l’autre. Faire le choix du charbon ou du nucléaire pour produire son électricité n’a pas les mêmes effets en termes d’émissions de gaz carbonique. Une approche quantitative pour chacune des nations sur ce terme est indispensable pour préciser les objectifs.
Par Raymond Bonnaterre
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