Techniques de l’Ingénieur : Matthieu Schuler, la direction de l’IRSN a récemment été auditionnée par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) concernant l’appui que vous lui avez apporté en 2011. Que retenir de cette audition ?
Matthieu Schuler : C’est un rendez-vous régulier qui ponctue l’interaction entre l’ASN et l’IRSN, et dresse le bilan de l’appui technique que l’IRSN apporte, dans le cadre d’une convention pluriannuelle, à l’ASN. En 2011, cet appui a été largement marqué par le contexte de Fukushima, qui a mobilisé beaucoup de notre temps et de nos ressources.
Techniques de l’Ingénieur : Quelles ont été les missions de l’IRSN dans ce contexte ?
Matthieu Schuler : Nos trois principales missions dans le contexte qui a suivi l’accident de Fukushima furent de procéder à l’examen des évaluations complémentaires de sûreté des installations nucléaires de France réalisées par les exploitants, de réfléchir et identifier des premières idées sur les recherches complémentaires à mener après Fukushima, qui se sont traduites par un appel à projets lancé par l’Agence nationale de la recherche (ANR) lancé début 2012, et de participer aux réflexions sur l’évolution du dispositif gouvernemental de gestion de crise nucléaire, notamment pour le rapprocher des dispositions de gestion des autres familles de crises. Au total, c’est près de 10% des ressources consacrées par l’IRSN à ses actions auprès de l’ASN qui ont été engagées dans l’après Fukushima.
Techniques de l’Ingénieur : L’IRSN a donc pris part dans l’évaluation des installations françaises menée par l’ASN sur leur sûreté, quelles en sont les principaux enseignements ? Quel va être le rôle de l’IRSN pour les prochaines années à ce sujet ?
Matthieu Schuler : Le bilan tiré par l’IRSN est globalement satisfaisant, mais il y a une marge de progrès, un noyau dur d’équipements dont l’objectif est d’assurer, en cas d’accident majeur, la pérennité des fonctions vitales des installations, à mettre en œuvre et qui nécessite du temps. La première étape va consister pour les exploitants de ces installations à présenter leurs propositions pour remédier aux faiblesses identifiées, aux vues des nouvelles exigences qu’impose l’accident de Fukushima. La seconde phase va consister pour l’IRSN à étudier si ces propositions sont suffisantes ou non. Viendra ensuite le temps de leur mise en place.
Le rôle de l’IRSN ne se limite donc pas aux évaluations menées en 2011, mais se prolonge dans les années à venir, notamment pour étudier l’impact de ses modifications sur la démonstration de sûreté des installations.
Techniques de l’Ingénieur : Quand peut-on donc espérer que la sûreté des installations françaises sera optimale ?
Matthieu Schuler : J’ai envie de répondre « jamais », car en matière de sûreté, le progrès doit être constant et permanent. L’évaluation est continue et l’amélioration doit l’être aussi, qu’il s’agisse du matériel ou des procédures. C’est l’un des principaux enseignements de Fukushima : si l’on ne progresse pas, on augmente les risques.
Techniques de l’Ingénieur : Concrètement, quelles seront les principales occupations de l’IRSN dans les années à venir concernant l’après Fukushima ?
Matthieu Schuler : En 2012, examiner les évaluations de sûreté d’un second lot d’installations moins prioritaires que celles abordées en 2011, et entamer les discussions techniques avec les exploitants des installations du premier lot, afin d’évaluer leurs propositions de sûreté renforcée. Sur la base de ces évaluations, l’ASN décidera si ces propositions sont satisfaisantes. Si celles-ci sont jugées acceptables, les exploitants devront dès 2013 proposer les modifications des installations en découlant, dont l’IRSN analysera alors la pertinence, la complétude et les modalités de mise en œuvre.
Au-delà de ce travail sur les installations françaises, l’IRSN s’investit sur d’autres fronts, qui vont de l’évolution de son organisation interne de gestion de crise jusqu’à des initiatives menées au Japon pour apporter des capacités d’analyse, de réflexion et se confronter aux contraintes de terrains rencontrées par nos collègues sur place.
Propos recueillis par Bruno Decottignies
Cet article se trouve dans le dossier :
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