Parmi ses services, l’Ineris, via la Casu (cellule d’appui aux situations d’urgence), a été sollicité le 26 septembre, dès 6 heures du matin. La mission de la Casu ? Déployer les compétences de l’Ineris afin d’évaluer le plus rapidement possible les risques explosifs et chimiques liés à l’incendie et aux substances stockées sur le site. Pour dans un premier temps garantir la sécurité des services déployés pour lutter contre l’incendie. Ensuite la Casu est intervenue sur la phase post-accident : évaluer les risques pour les populations alentours et enfin modéliser le panache de fumée (composition, température, dispersion) afin d’en mesurer les impacts potentiels sur les populations et l’environnement.
L’intervention de la Casu a donné lieu à un retour d’expérience, sous la forme d’une note transmise au Sénat et à l’Assemblée nationale, afin d’évaluer l’efficacité de la mission, et les points d’amélioration de ce dispositif exceptionnel de gestion de crise.
La note réalisée transmise à l’assemblée nationale porte principalement sur les délais de mise en œuvre de l’action de la Casu, sur les phases accident et post-accident. L’accent a également été mis sur l’apport de la Casu sur la phase post-accidentelle : en effet, depuis une dizaine d’années est développée une doctrine post-accidentelle, traduite notamment dans la circulaire de 2012. Elle a connu son baptême du feu à l’occasion de l’incendie de Lubrizol.
Le timing d’intervention de la Casu
Sollicitée dès le jeudi 26 à 6h30, la Casu a d’abord traité la phase d’urgence de l’accident, c’est sa mission première : protéger les populations des risques létaux et irréversibles.
Dès lors, la Casu s’est mobilisée sur la réponse post-accident, très rapidement : « l’Ineris a recommandé dès le jour de l’incendie d’engager cette seconde phase post-accidentelle et de suivre les préconisations fournies par la circulaire du 20 février 2012 ».
Si cette seconde phase post-accidentelle a été activée très rapidement, « l’Ineris s’est mobilisé au-delà des missions de la Casu », constate la note. Cette mobilisation, pilote sur certains points, a également fait émerger des fragilités sur les capacités actuelles de l’Ineris en situation de crise. En particulier en ce qui concerne les prélèvements.
Améliorer les process de prélèvements
Lubrizol constitue pour l’Ineris une première, dans le sens où c’est la première fois dans le cas d’un incendie, en France, que des « prélèvements quasi-immédiats destinés à la préparation de la phase post-accidentelle sont réalisés ». Ce qui explique certaines difficultés quant aux méthodes de prélèvements employées par les intervenants locaux sur place, les matériels utilisés, qui ont compliqué le travail d’analyse de l’Ineris.
Pour y remédier, l’Ineris entrevoit plusieurs possibilités : « équiper les acteurs locaux (RIPA, industriels, DREAL, SDIS…) de moyens simples de prélèvement conservatoires permettant d’obtenir des échantillons rapidement pour analyses en laboratoire et proposer des outils d’autoformation à leur mise en œuvre ; mettre en place un réseau de camions/containers de mesures en temps réel projetable rapidement sur site. L’Ineris pourrait à la fois coordonner ce réseau et s’équiper pour être en mesure de couvrir une zone prédéfinie du territoire. »
Un besoin d’informations difficile à satisfaire, dans l’état actuel des connaissances
Sur la question des données, l’Ineris constate que sur un site comme celui de Lubrizol, qui stocke de nombreux produits en faible quantité, la complexité des phénomènes en jeu lors de l’incendie ne permet pas, même avec tous les prélèvements effectués, d’avoir une connaissance complète des risques à l’œuvre.
L’étude des FDS, entre autres, a par contre permis, comme prévu, d’identifier rapidement les pollutions mises en œuvre par l’incendie, et leur toxicité pour les populations.
Des axes d’amélioration existent cependant, comme le précise la note de l’Ineris : « S’il ne semble pas envisageable à court terme de lever toutes les inconnues dans ce type d’incendie, certaines améliorations sont envisageables, qui supposeraient une évolution de la réglementation française pour rendre disponible :
– un suivi « fin » du stock : quantité, risque associé et surtout formule chimique (…) ;
– une évaluation de la composition des fumées dégagées lors de la combustion des produits stockés (…) ;
– une évaluation de la quantité des éléments constitutifs des contenants (…) mais aussi constituants des bâtiments (…) et de tout matériau susceptible de produire des composés toxiques en cas d’agression thermique. »
La difficulté actuelle pour lever toutes les zones d’ombre sur un incident spécifique comme celui de Lubrizol a été un objet de frustration pour les populations. S’y ajoute nombre d’incompréhensions, à plusieurs niveaux. C’est le cas par exemple en ce qui concerne les « valeurs seuils » : « La nécessaire focalisation dans les premières heures de l’accident sur la limitation de la mortalité ou de la morbidité sévère conduit à des incompréhensions : les « valeurs seuils » de toxicologie ont souvent été surinterprétées comme une frontière absolue entre l’innocuité et le danger. De nature parfois règlementaire, et souvent normative, ces valeurs ont été prises pour des seuils « zéro risque » ou « zéro effet ». »
Autre exemple, les effets cocktails : l’Ineris rappelle dans sa note qu’il existe encore beaucoup d’incertitudes sur les effets cocktails des substances présentes dans un panache de fumée, et que la recherche doit absolument se poursuivre sur ce sujet.
Pour revenir sur la thématique très importante de la récolte et du traitement des données, L’Ineris souligne que le volume très important d’informations échangées, les supports de diffusion utilisés ainsi que les formats de données, peuvent être optimisés : « Des architectures de portail d’échange de données en situation d’urgence pourraient être préconstruites ainsi que leurs protocoles de gestion afin qu’elles puissent être mises en ligne dès les premières phases de gestion d’un accident majeur. »
La note de l’Ineris transmise à l’Assemblée nationale et au Sénat est disponible ici dans son intégralité.
Par Pierre Thouverez
Cet article se trouve dans le dossier :
La prévention du risque sur les sites industriels, une affaire d'amélioration continue
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