Lors d’un accident industriel comme celui de Lubrizol (26 et 27 septembre 2019), les services de l’Etat compétents sont mobilisés pour améliorer la gestion de crise et optimiser la réponse sur le terrain, en temps réel. Il s’agit également de prévenir au mieux les risques pouvant résulter de l’accident : risque sécuritaire, dispersion de substances toxiques, pollution atmosphérique… L’Ineris (Institut national de l’environnement industriel et des risques) a ainsi été mobilisé, dès le 26 septembre vers 6 heures du matin, pour apporter son expertise, à plusieurs niveaux.
Lubrizol est un accident industriel de type chimique. En effet, le 26 septembre 2019, l’usine de produits chimiques appartenant à la société Lubrizol est victime d’un incendie, ravageant également l’entrepôt logistique appartenant à la société Normandie Logistique. L’Ineris a donc dû, très rapidement, fournir aux autorités une expertise technique pour gérer la crise sur le terrain, mais aussi une analyse à plus long terme sur les risques de pollution et de danger pour les populations et la biodiversité : c’est ce que l’on appelle la gestion post-accident.
La Casu immédiatement mobilisée
Concrètement, l’Ineris a mobilisé dès le 26 septembre au matin ses équipes, qui sont intervenues sur 4 thématiques :
- la dispersion des fumées
- l’analyse chimique des polluants contenus dans les dépôts de fumée
- la mise en sécurité du site
- l’évaluation des propriétés dangereuses des substances chimiques et l’évaluation des risques pour la santé.
Avec, comme on vient de le voir, une différence de temporalité entre la gestion de l’accident en lui-même et celle de ses conséquences potentielles.
La mise en action des compétences de l’Ineris s’est faite par le biais de la cellule d’appui aux situations d’urgence, la Casu, qui permet à l’Ineris de mettre à disposition ses capacités d’expertise 24h/24. Le 26 septembre, dès 6 heures, la Casu est sollicitée pour préciser les risques immédiats, thermiques, toxiques ou de suraccident. A ce moment-là les questions auxquelles doit répondre la Casu sont nombreuses : quels sont les risques immédiats les plus graves ? Quels effets irréversibles sur la santé ? Quels risques environnementaux ?
Thibaud Penelon, ingénieur d’astreinte au Casu, était en poste le 26 septembre au matin : « J’ai reçu vers six heures un appel d’un collègue qui m’a dit que la plateforme de Lubrizol était en feu. Une vingtaine de minutes plus tard, nous étions sollicités par la DREAL [Direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie, NDLR]. La première question à laquelle nous étions alors confrontés était celle du pentasulfure de phosphore présent sur le site. Si cette substance était prise dans l’incendie, quels seraient les risques, cela pourrait-il entraîner un risque explosif supplémentaire ? ».
Au-delà de cette question, la plus urgente, les problématiques à résoudre étaient nombreuses pour la Casu : « évaluation du risque toxique en mode aigu, chronique ou subchronique, taux de suies émises et retombées au sol et leur composition, distance de propagation du panache… Tout ceci afin d’évaluer les risques pour les personnes travaillant sur la circonscription de l’accident, mais aussi pour les populations avoisinantes, les écoles notamment. Dès la fin de la première journée, nous avons pu déterminer la quantité de polluants émise par unité de temps, à quelle température, de façon à servir de données d’entrée aux modélisations atmosphériques », précise Franck Prats, également ingénieur Casu.
Des résultats d’analyses obtenus très rapidement
L’Ineris a ainsi analysé, entre autres, plus de 120 lingettes et des canisters, qui sont des dispositifs sous vide, permettant d’aspirer l’air ambiant sur le site de l’incendie pour l’envoyer en analyse et ainsi évaluer les risques toxiques.
Les premiers résultats de ces analyses sont arrivés le vendredi midi, soit en moins de 24 heures, permettant une première modélisation des dangers. Le vendredi soir, la quasi totalité des résultats étaient connus. Avec l’ensemble de ces résultats, il a été possible d’effectuer une seconde modélisation, plus fine et permettant de visualiser plus précisément l’ensemble du panache de dispersion. Toujours dans le but de fournir aux autorités les informations les plus précises possible, pour une prise de décision optimisée.
La sécurité du site a également accaparé la Casu dans ces premières heures post explosion, car son évaluation constituait une information importante pour les équipes d’intervention sur place. Benjamin Truchot, responsable de l’unité DIEM (Dispersion incendie modélisation et expérimentation) à l’Ineris : « Tout s’est accéléré avec la prise de décision de se rendre sur site, pour comprendre comment avait pu se fracturer la toiture contenant de l’amiante, et quel était le risque d’effondrement et donc de dispersion d’amiante dans l’atmosphère. Je me suis rendu sur site le lundi matin et j’ai découvert une atmosphère un peu irréelle : des dizaines de milliers de mètres carrés noircis par les huiles, les suies, des barres d’acier tordues par la chaleur… J’ai pu me rendre compte de la quantité d’informations disponibles sur le terrain : j’ai pu ainsi confirmer que la rupture du toit était d’origine mécanique et pas thermique, constater la présence de traces d’amiante dans le panache de dispersion de l’incendie ». Ces informations complémentaires ont permis de produire une nouvelle modélisation du panache, sur une échelle faisant plusieurs centaines de kilomètres.
Enfin, l’Ineris a réalisé un travail important pour identifier les substances présentes à Lubrizol, afin d’identifier celles qui pourraient se révéler dangereuses, pour l’environnement ou la santé.
Au final, l’épisode de Lubrizol, pour la Casu et l’Ineris, aura été l’occasion de mettre en oeuvre les procédures d’urgence dont nous venons de parler. Et qui ont permis de fournir, dans un laps de temps très limité, les informations dont les autres services impliqués ce jour là et les autorités avaient besoin pour prendre des décisions. Une mission relevée avec succès, même si cet épisode est aussi l’occasion d’apprendre et de s’améliorer. Ainsi, Faustina Fuvel, technicienne à l’Ineris, regrette que l’Ineris n’ait pas pu prendre en charge les prélèvements : « Nous avons une frustration au niveau du laboratoire, par rapport aux préleveurs, parce que les prélèvements auraient pu être effectués par l’Ineris. Cela aurait permis d’avoir immédiatement des analyses plus efficaces et faciles à mettre en oeuvre ».
Retrouvez, sur le site de l’Ineris, une vidéo retraçant la mise en oeuvre de cette réponse de la Casu.
Par Pierre Thouverez
Cet article se trouve dans le dossier :
La prévention du risque sur les sites industriels, une affaire d'amélioration continue
- Lubrizol : retour sur la gestion de l'incendie et de ses conséquences
- Lubrizol : un retour d'expérience instructif
- Quelles évolutions réglementaires pour prévenir le risque sur les sites industriels ?
- « La maîtrise des risques passe par la connaissance des évènements et le partage des expériences »
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