Plusieurs chercheurs venus du monde entier, parmi lesquels des membres du CNRS, ont réussi à créer un outil de reconnaissance des individus dans les groupes d'oiseaux grâce à l'intelligence artificielle. L'objectif de cet algorithme est d'identifier les rôles de chacun d'entre eux et leurs comportements. Pour Julien Renoult, chargé de recherche au CNRS ayant participé au projet, le véritable défi était d'avoir assez de données pour alimenter l'intelligence artificielle.
La machine peut-elle être aussi performante que l’œil humain pour reconnaître des individus ? Plusieurs chercheurs principalement venus du CNRS, de l’Université de Montpellier et de l’Université de Porto (Portugal) ont mis au point un algorithme rendant possible la reconnaissance d’individus au sein d’un groupe d’oiseaux grâce au recours à l’intelligence artificielle. Les travaux ont été menés sur trois types d’oiseaux : le républicain social, originaire du sud de l’Afrique, la mésange charbonnière venue d’Allemagne, et le diamant mandarin, observé en captivité. Leurs résultats ont donné lieu à la publication d’un article dans Methods in Ecology and Evolution, le 27 juillet dernier. Entretien avec Julien Renoult, chargé de recherche au CNRS et coauteur de la publication.
Techniques de l’Ingénieur : Pour quelle raison avez-vous mis au point cette intelligence artificielle ?
Julien Renoult : L’objectif de nos recherches est, entre autres, de voir comment les liens d’apparentement peuvent influencer les comportements des individus au sein d’un groupe. Nous avons observé les liens de coopération, mais aussi les liens d’agressions, et même les choix de partenaires pour la reproduction. Nous avons voulu savoir qui aidait à la construction du nid, et également identifier les nouveaux individus venus de l’extérieur.
Jusqu’à présent, comment étaient réalisées les reconnaissances des oiseaux ?
Historiquement, pour réaliser de la reconnaissance individuelle, nous utilisions le marquage avec des bagues de couleur sur les pattes. Cette technique était couplée à de l’observation visuelle, à l’aide de jumelles. Depuis quelques années, l’ordinateur est arrivé pour aider les observateurs à reconnaître les individus. Une lecture automatique des marques laissées par les humains, comme les bagues de couleur, est possible. Dans d’autres cas, la reconnaissance des oiseaux était effectuée grâce à des QR codes, posés sur leurs dos à l’aide de harnais.
Pourquoi est-il nécessaire de rechercher de nouvelles techniques de reconnaissance ?
La reconnaissance des individus n’était qu’une étape préliminaire pour recueillir d’autres informations, plus importantes pour nous. L’intérêt pour nous était donc d’automatiser le processus d’observation des comportements. Nous voulions savoir à la fois reconnaître l’individu, mais également savoir quel est son rôle au sein du groupe. Nous nous sommes demandé s’il n’était pas possible d’aboutir à un algorithme qui serait capable d’effectuer toutes ces tâches d’un coup.
Pourquoi le recours à l’intelligence artificielle est-il efficace pour réaliser ces travaux ?
Dans un premier temps, nous nous sommes demandé si l’intelligence artificielle serait capable de reconnaître les individus sans avoir recours au marquage. Nous voulions savoir s’il y avait assez de variations entre les individus pour rendre une telle démarche possible, et c’est le cas. De tels résultats sont rendus possibles par les réseaux de neurones profonds, qui ont permis aux intelligences artificielles d’atteindre de hauts niveaux de précision. Ce sont des empilements de fonctions mathématiques qui sont capables de se transmettre et de simplifier des informations complexes. Les réseaux de neurones profonds sont aujourd’hui permis par les grandes puissances de calcul, notamment le GPU qui utilise des cartes graphiques.
Le recours à l’intelligence artificielle a-t-il des limites ?
S’il y a des milliers de fonctions mathématiques dans les réseaux de neurones profonds, il faut en parallèle qu’il y ait plusieurs milliers de données pour entraîner cet algorithme. C’est le point faible de l’intelligence artificielle, et là où se situe, aujourd’hui encore, le gap avec l’intelligence humaine. L’intelligence artificielle a besoin d’énormément de données pour pouvoir apprendre.
Quels éléments peuvent entraver l’apprentissage de l’intelligence artificielle ?
Plusieurs éléments peuvent compliquer la reconnaissance d’un individu par l’intelligence artificielle. Ils peuvent être liés à sa position, à l’angle de vue, à l’éclairage, à l’ombre. L’occlusion, le fait qu’un autre oiseau cache partiellement l’individu observé, peut également être un problème. La limite principale, c’est la mue, le changement de plumage. Ainsi, il est nécessaire que l’intelligence artificielle prenne en compte toutes les variations possibles autour d’un même individu. Notre objectif est que l’intelligence artificielle soit capable de le reconnaître dans toutes les circonstances.
Comment avez-vous collecté les données nécessaires à la programmation de l’algorithme ?
Nous avons placé des puces RFID sur les oiseaux, que nous avons été obligés de capturer pour effectuer cette opération. À chaque fois qu’un individu se rendait à la mangeoire, une photo était automatiquement prise toutes les deux secondes. Ainsi, nous avons eu en quelques semaines plusieurs milliers de photos sur des dizaines d’individus différents. La machine doit apprendre à faire la différence entre la variation parasite, qui est du bruit, et la variation d’intérêt. C’est pourquoi il faut lui apprendre toutes les circonstances possibles : un oiseau peut, par exemple, avoir une aile ébouriffée, ouvrir le bec, ou encore cligner des yeux.
Les résultats obtenus grâce à l’intelligence artificielle sont-ils fiables ?
Nous avons constaté que les résultats de l’intelligence artificielle dépendaient grandement de la qualité de la caméra employée pour effectuer les observations. Lorsque la résolution de la caméra est moins bonne, le taux de succès des reconnaissances baisse, et passe de 90 % à 60 %. Cette dégradation de l’efficacité était liée au fait que nous avions utilisé des images de trop bonne qualité pour entraîner l’intelligence artificielle. De ce fait, nous avons ajouté des images de résolution moindre au jeu de données. Suite à cette opération, le taux de réussite des reconnaissances est de nouveau passé à 90 %.
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