Suite à la présentation des trois avions ZEROe par Airbus il y a quelques semaines, Jean-Brice Dumont, directeur exécutif de l’ingénierie de l’avionneur européen et président du comité directeur du CORAC, confiait au journal économique La Tribune : « Quand nous avons présenté l’avion à hydrogène, cela a fait l’effet d’un électrochoc, mais nous a exposé à la critique de “vous ne faites que ça”. La réponse est claire, il va se passer des choses d’ici 2035 et la date fixée pour arriver à cet avion propre. Nous travaillons sur l’empreinte industrielle de notre secteur, autrement dit sur la conception écologique, la réparation, la maintenance et jusqu’à la fin de vie, c’est-à-dire la déconstruction et le recyclage. Si nous ne parlons qu’en émissions carbone, cela représente 5% des émissions de la filière, le reste est émis par l’exploitation ».
La baisse des émissions du secteur aérien se fera au prix d’une réflexion globale sur l’ensemble de l’activité du secteur. Une donnée, nouvelle en 2020, change légèrement la donne : la crise sanitaire liée à la pandémie de coronavirus. Selon les prévisions de l’ATAG (Air Transport Action Group), la période que le secteur aérien traverse depuis le mois de mars dernier impactera le trafic sur le long terme. Ainsi, la croissance du trafic prévue pour 2050 a été revue à la baisse. Les prévisions varient, mais le chiffre d’une baisse de 16% par rapport aux prévisions de trafic pour 2050 est souvent cité. La croissance du trafic aérien, qui devrait retrouver un rythme d’avant pandémie vers 2024, serait alors autour de 3 à 3,5%.
L’hydrogène, tête de gondole
Derrière l’effet d’annonce qui a suivi la présentation des avions ZEROe d’Airbus, quelles sont donc les pistes technologiques permettant au secteur aérien de réduire drastiquement son bilan carbone ?
D’abord, les trois ZEROe présentés par Airbus ne misent pas que sur la propulsion hydrogène pour réduire les émissions des appareils. Le développement de cette nouvelle génération d’avion, qui va durer 15 ans, s’accompagnera d’évolutions technologiques nombreuses, de ruptures, qui doivent permettre – c’est l’objectif annoncé – de faire baisser la consommation des appareils de 30%. D’une génération à l’autre, un avion gagne en général 15% en efficience. La marche est donc élevée.
Des pistes technologiques existent pour améliorer l’efficacité énergétique des moteurs. Ainsi, Stéphane Cueille, directeur RetT et innovation chez Safran, acteur majeur de la filière aéronautique et partie prenante du projet ZEROe d’Airbus, affirme qu’ « au niveau des moteurs, nous allons viser des architectures innovantes qui tireront parti notamment des acquis de notre démonstrateur d’Open Rotor, c’est-à-dire de moteur sans carénage. Mais il faudra aussi miser sur la substitution du kérosène par de nouveaux carburants. »
C’est une autre piste d’importance : les carburants. La montée en puissance de l’usage d’agrocarburants apparaît aujourd’hui comme une solution qu’il faut absolument implémenter. Aujourd’hui les biocarburants représentent 0,1 % de la consommation de carburant dans le transport aérien. Ce chiffre pourrait atteindre 50%, et même beaucoup plus. La donnée limitante aujourd’hui est la quantité de biocarburant disponible.
Les carburants synthétiques peuvent également être une solution : produits à partir d’hydrogène, ils ont la même composition que les biocarburants. L’enjeu, ici, est d’être capable de produire ces carburants de manière écologique, et en quantités suffisamment importantes pour les besoins du secteur.
Parmi les autres améliorations de l’existant, le renouvellement des flottes par des appareils plus récents, l’incorporation progressive de carburants alternatifs sans modification des appareils en service, ou encore la mise en place de mesures économiques permettant de compenser les émissions de CO2 sont des solutions rapides à mettre en œuvre et qui seront mises en place progressivement dans les prochaines années.
Des ruptures indispensables
Pour autant cela ne suffira pas : le secteur aéronautique a besoin d’implémenter des innovations de rupture. L’hydrogène en est une, certainement la plus disruptive.
Mais parvenir à « décarboner le transport aérien implique des ruptures technologiques, différenciées selon les types d’appareils. Il n’y a pas de solution unique, la diversité des technologies à utiliser implique d’associer très largement toute la filière aéronautique française », selon le conseil pour la recherche aéronautique civile.
Pour les petits appareils, la rupture pourrait consister à développer un avion hybride/électrique. C’est la seule classe d’appareils pour laquelle l’utilisation de batteries est envisageable, au regard du poids de ces dernières.
Les moteurs des avions nouvelle génération, évoqués en début d’article, constituent également une rupture technologique par rapport à l’existant.
Si les choix en termes de ruptures technologiques, afin de décarboner le transport aérien, hormis l’annonce sur l’hydrogène, restent relativement mystérieux, c’est aussi parce que d’ici 2035, des choix stratégiques vont s’opérer. Certains validant des ruptures technologiques, d’autres en écartant. C’est toute une filière qui se met aujourd’hui à l’œuvre pour trouver la bonne recette entre améliorations et ruptures technologiques, pour concrétiser les objectifs très ambitieux que s’est donné le secteur aérien.
Par P.T
Cet article se trouve dans le dossier :
Le plan français pour décarboner le secteur aérien
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