Pour créer de nouveaux produits, les méthodes classiques proposent d’écouter les utilisateurs pour déterminer des besoins existants ou émergeants, de les agréger en grandes catégories et de produire en masse afin de réaliser des économies d’échelle. Cependant, ce procédé permet rarement de réaliser des innovations radicales, ni d’anticiper des besoins « en devenir » qui pourraient s’avérer une formidable source d’innovation.
Le problème provient du fait qu’il est extrêmement complexe et coûteux d’extraire de l’information sur les besoins d’utilisateur et de la transférer chez le producteur, d’autant plus que l’utilisateur est souvent bien incapable de formaliser ses besoins de manière explicite. Von Hippel a montré que ce problème est lié à la nature de l’information sur les besoins d’utilisateur : une information fortement rattachée au contexte de l’utilisateur (stickly information) et possédant une forte viscosité (stickiness).
La viscosité de l’information est définie comme la dépense progressive exigée pour la transférer dans un lieu donné sous une forme utilisable pour un chercheur d’information (Von Hippel, 1994). Pour les entreprises, le coût de récolte de cette information est élevé. Elles sont obligées de multiplier les études de marché pour s’intéresser à des segments de plus en plus petits afin de s’approcher au plus près du client et de saisir l’évolution rapide des marchés. L’information obtenue risque aussi d’être à cause d’un manque de capacité d’absorption de la part des organisations, dû essentiellement à des rigidités internes.
Dans ce contexte, impliquer l’utilisateur dans les procédés d’innovation est une façon de remédier à ce problème de stickly information. On n’essaye plus d’extraire l’information du contexte de l’utilisateur pour la placer dans le contexte de l’organisation. On donne un rôle de producteur à l’utilisateur et il va ainsi produire de l’information directement utilisable par l’entreprise : idée, concept, solution ou contenu. Pour Von Hippel, « pour résoudre un problème, on a besoin de réunir dans un même lieu, l’information et les capacités de résolution du problème » (Von Hippel & Katz, 2002).
Les Lead users
Une des méthodes pour résoudre ce problème consiste à intégrer les innovations des lead users dans le processus de conception (Von Hippel, 1999). Les lead users sont des utilisateurs à l’avant-garde d’un domaine, ayant un fort intérêt à innover pour eux-mêmes, imaginant et développant des solutions qui répondent à des attentes qui vont se généraliser par la suite à l’ensemble des utilisateurs du domaine. Von Hippel base sa theorie Lead user sur un utilisateur qui présenterait deux caractéristiques, à l’avant-garde d’une tendance (the ahead of trend) et possédant un fort intérêt à innover (the high expected benefit).
La composante de l’avant-gardisme d’une tendance est basée sur l’hypothèse que les besoins des utilisateurs du marché tendent à évoluer suivant une direction soutenue par une tendance générale. Les premiers utilisateurs se situant sur cette tendance font l’expérience de besoins qui n’ont pas encore été ressentis par la majorité des utilisateurs. Si ces utilisateurs innovent pour combler ces besoins, cette innovation peut devenir très attractive pour les autres pour résoudre un futur problème du marché de masse.
La composante du fort intérêt à innover est basée sur l’économie de l’innovation qui argumente qu’un haut niveau d’investissement dans une activité dépend du bénéfice escompté. Les innovateurs bénéficient directement du leur. Ils innovent parce que le marché ne répond pas à des besoins qu’ils considèrent comme importants. Ils peuvent alors investir un temps important pour chercher des solutions.
Ces deux premières composantes ont été validées empiriquement à l’aide d’échelle de mesure (Franke, von Hippel, & Schreier, 2006 ; Morrison, Roberts, & Midgley, 2004 ; Morrison, Roberts, & Von Hippel, 2000). La recherche confirme que les Lead Users ont tendance à plus innover que les autres utilisateurs et à créer des innovations plus attractives commercialement. La composante en avance sur le marché aurait même plus d’impact que la composante du fort intérêt à innover (Franke et al., 2006).
Cependant, ces études ne permettent pas d’expliquer pourquoi ces utilisateurs sont à l’avant-garde et pourquoi ils innovent. Des études récentes sont venues enrichir la théorie Lead user en proposant d’autres variables, à la fois liées à l’individu et au domaine dans laquelle se situe l’innovation.
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Par Guy Parmentier, TheInnovation.eu
Guy Parmentier
Chercheur en management de l’innovation, Guy Parmentier effectue des recherches sur la gestion de l’innovation avec les communautés d’utilisateurs et l’entreprise face aux mondes virtuels.
Passionné d’innovation, avant de passer à la recherche et au conseil à l’innovation, il a géré successivement des projets éditoriaux dans l’édition de beaux-livres, la production de jeu vidéo et une start-up sur la conception et la gestion des personnages virtuels.
Aujourd’hui, il apporte ces multiples compétences au service de la recherche sur le terrain, de l’enseignement et de l’accompagnement de projets d’innovation.
Ce blog lui permet aussi de contribuer au Web 2.0 en publiant réflexions et analyses sur le management de l’innovation.
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