« L’analyse bénéfices-coût au niveau de la distribution ne peut à elle seule justifier économiquement le projet et, en l’état actuel des travaux, le système n’apportera pas les bénéfices annoncés en ce qui concerne la maîtrise de la demande d’énergie », estime la Cour des comptes. En effet, l’investissement total pour remplacer l’ensemble des compteurs électriques Linky par Enedis et quelques autres distributeurs est évalué à 5,67 milliards d’euros. La fourniture du compteur représente un tiers de ce coût et sa pose un autre tiers. Le dernier tiers correspond aux autres éléments du dispositif, notamment les systèmes d’information et les adaptations du réseau électrique. Avec l’ensemble des systèmes nécessaires, chaque compteur coûte donc 130 euros.
90 % du parc de compteurs Linky devrait être installé fin 2021 et 100 % fin 2024. En septembre 2017, l’avancement du déploiement était conforme aux prévisions, avec 6,3 millions de compteurs installés, soit 17,4 % du parc total. « Le coût prévisionnel de la phase de déploiement massif sera tenu », estime la Cour des comptes qui dénonce toutefois « un dispositif coûteux pour le consommateur mais avantageux pour Enedis ».
Des conditions avantageuses pour Enedis ?
Le rapport remet en cause le principe du différé tarifaire mis en place. Celui-ci fait en sorte que le distributeur avance les coûts de déploiement de Linky. L’objectif de ce dispositif est que le surcoût ne soit répercuté aux consommateurs que lorsque la majorité d’entre eux bénéficieront des bénéfices du compteur. Mais cette avance sera bien intégralement remboursée par les consommateurs à partir de 2021. « Le taux d’intérêt de cette avance est de 4,6 % et les intérêts s’élèvent à 785 millions d’euros au total sur la période 2015- 2030, soit en moyenne 49 millions d’euros par an », calcule la Cour des Comptes.
Concrètement, Enedis finance 3 millions de compteurs sur fonds propres et 31 millions de compteurs par un prêt intragroupe au taux de 0,77 % adossé à un financement de la Banque européenne d’investissement (BEI).« Enedis bénéficie donc d’un différentiel de rémunération de 3,83 %, pour la part financée par le prêt intragroupe », observe la Cour. Ainsi, le surcoût pour les usagers pourrait être de l’ordre de 506 millions d’euros. Des primes sont également prévues si Enedis respecte les coûts, les délais et les niveaux de performance. Au final, la rémunération d’Enedis pourrait s’élever entre 10 % et 11 %, avec une rémunération minimale prévue par contrat à 5,25 %. L’investissement, remboursé par les consommateurs, sera donc très rentable pour Enedis.
Un bilan économique presque nul payé par les consommateurs
Le contrôleur des comptes publics demande donc de faire évoluer le dispositif de différé tarifaire pour en réduire le coût pour le consommateur. Il souhaite aussi faire réduire les primes qui pourraient être accordées à Enedis, au regard de la forte rémunération prévue. Dans une lettre, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) rejette toutefois cette idée. « Une modification a posteriori du dispositif de différé tarifaire ou de la rémunération d’Enedis créerait un précédent en termes d’insécurité juridique quant à la portée des décisions du régulateur », prévient-elle.
Pour Enedis, les gains attendus au niveau de la production, de la commercialisation et de la consommation apportés par le déploiement de Linky sont à la hauteur des investissements. Au niveau de ce seul distributeur, le bilan économique devrait être nul, tout au plus légèrement négatif de 200 millions d’euros. Autrement dit, sur les 5,3 milliards d’euros payés par les consommateurs à Enedis, ils dépenseraient 200 millions d’euros en plus par rapport au statu quo. En revanche, les consommateurs pourraient bénéficier en contrepartie de gains largement supérieurs.
Des gains pour les consommateurs ?
Finalement, ce sont les gains potentiels pour les usagers qui seraient les plus importants. Ils pourraient atteindre 9,2 milliards d’euros, essentiellement grâce à l’amélioration de la concurrence, la valorisation de la télé-relève et des télé-opérations. Sans oublier la baisse de la consommation résultant de la maîtrise de la demande de l’énergie.
Toutefois, la Cour des comptes note que les moyens actuellement mis en place pour réellement atteindre ces gains potentiels sont largement insuffisants.Elle invite donc les pouvoirs publics, les distributeurs et les fournisseurs à développer les actions de maîtrise de la demande d’énergie et à contribuer à maîtriser la demande de pointe. Cela passe notamment par le développement de moyens simples pour communiquer la consommation détaillée aux particuliers et définir de nouvelles offres. En particulier, la juridiction financière incite les fournisseurs à définir des plages tarifaires plus nombreuses et variées, pour aller au-delà du traditionnel heures pleines/heures creuses. Enfin, elle invite l’ensemble des acteurs à une meilleure communication pour rassurer la population. Celle-ci devra porter sur l’absence de risques sanitaires et la protection des données personnelles.
Par Matthieu Combe, journaliste scientifique