Créée à Montpellier par Robin Alauze, la jeune pousse Lineup Ocean développe un dispositif écologique et bioinspiré d’atténuation de la houle combinant plusieurs vertus : protection du front de mer, préservation de la vie marine, mais aussi développement d’activités de loisirs à destination des amateurs de surf, de plongée ou encore de snorkeling.
À l’échelle mondiale, près de 25 % des plages sableuses se révèlent menacées par le risque d’érosion côtière, alors que 50 % des côtes sont par ailleurs soumises au risque de submersion marine, menaçant ainsi directement plus de 600 millions de personnes. L’heure est donc à l’installation de dispositifs de protection : épis, digues, brise-lames, atténuateur de houle. Une tendance qui ne va toutefois pas sans causer de dommages collatéraux sur les écosystèmes côtiers… Et lorsqu’il n’est pas correctement conçu ou dimensionné, le remède peut même se révéler pire que le mal, en accentuant les phénomènes de dégradation du littoral qu’il est censé contrer.
Pour y remédier, l’ingénieur en océanographie, écologie et gestion de la biodiversité Robin Alauze s’est attelé depuis 2017 au développement d’une solution plus vertueuse, basée sur la nature, avec l’appui académique de l’Université de Montpellier et de son label I-Site Muse.
Pour permettre à cette volonté de se concrétiser, ce passionné de surf a ainsi fondé l’an dernier Lineup Ocean. Actuel président et chef de projets R&D de la jeune entreprise, Robin Alauze nous en retrace la genèse, revient sur les principales étapes déjà franchies, et nous décrit le travail restant à accomplir avant d’aboutir à un déploiement à grande échelle de cette solution.
Techniques de l’Ingénieur : Comment votre parcours vous a-t-il mené à la création de Lineup Ocean ?
Robin Alauze : La genèse de l’entreprise est en effet en grande partie liée à mon parcours universitaire : je suis, au départ, océanographe en physique du littoral. Je m’intéresse donc depuis longtemps aux risques qui y sont associés : l’érosion côtière, la submersion marine… J’ai eu l’occasion de réaliser des travaux de recherche fondamentale sur les processus qui sont impliqués dans ces phénomènes et leurs impacts. À la sortie de mon master est née en moi une volonté de développer des solutions durables d’aménagement du trait de côte, avec, en plus, une dimension écologique. Des solutions existaient en effet depuis des décennies – digues, épis, brise-lames, atténuateurs en géotextile… – mais leur efficacité se heurtait à des limites en matière écologique et océanographique. Certaines d’entre elles pouvaient même être à l’origine d’une aggravation des risques à certains endroits. En cas de sous- ou de surdimensionnement par exemple, ces ouvrages peuvent en effet bloquer les flux hydro-sédimentaires, et donc conduire à une dégradation de la plage.
Je me suis par la suite formé dans le domaine de l’écologie marine, en me lançant dans un second parcours universitaire. J’ai aussi entamé une formation en entrepreneuriat. Je suis sorti de ces années de cursus complémentaire avec une idée d’entreprise très précise, mais aussi et surtout avec une solution scientifique qui, sur le papier, méritait d’être creusée.
Après plusieurs années de travail, j’ai fini par me tourner de nouveau vers les laboratoires de recherche que je connaissais, qui travaillaient sur le sujet des NBS, les « nature based solutions », ou « solutions basées sur la nature ». Il existe plusieurs niveaux dans ce type de solution. Celle que nous développons se situe au niveau le plus élevé. Nous avons en effet cherché à recréer un écosystème tout en délivrant des services écosystémiques ciblés et donc maximisés en termes d’efficacité.
Grâce à ces liens noués avec le milieu universitaire, nous avons tout d’abord pu monter un dossier de candidature pour un appel à projets porté par l’Université de Montpellier dans le cadre du label I-Site MUSE (Montpellier Université d’Excellence). Lineup Ocean en a été lauréat et cela nous a véritablement permis de faire un bond : nous sommes passés d’un TRL[1] 3 à 5. Nous avons ainsi abouti, aujourd’hui, à des prototypes de solutions qui sont en cours de caractérisation en mer.
Nous avons par ailleurs été lauréats, en 2022, d’un autre appel à projets – « Avenir littoral » – lancé dans le cadre du Plan Littoral 21. Notre projet baptisé Surfreef a ainsi pu voir le jour grâce au cofinancement de l’État et de la Région Occitanie, avec, en outre, une labellisation par le Pôle Mer Méditerranée, un gage de sa qualité méthodologique. Nous avons par ailleurs en partie auto-financé Surfreef pour parvenir à un total de près de 310 000 €… Cette somme nous a ainsi permis de réaliser les étapes d’études et de recherche industrielle visant à concevoir à l’échelle industrielle un dispositif écologique d’atténuation de la houle, qui verra très prochainement le jour à Palavas-les-Flots.
Nous n’avons qu’une année d’existence, mais nous générons déjà du CA grâce à la réalisation d’études. Nous adoptons pour cela une méthodologie très précise, basée sur différents outils d’analyse innovants – drones, caméras haute-fréquence, modélisation océanographique… – qui nous permettent de caractériser nos sites d’étude. Nous comptons mettre à profit cette expertise également après le déploiement de nos premiers modules, afin de caractériser les performances de nos futurs sites. Il est aussi essentiel de pouvoir mettre en place des plans de gestion assurant la pérennité des projets, en partenariat avec tous les acteurs locaux.
Comment, très concrètement, ce « dispositif écologique d’atténuation de la houle » se présente-t-il ? Et comment prévoyez-vous de le fabriquer ?
Ce dispositif est composé d’un assemblage de modules unitaires. Ces modules sont comparables à ce que l’on appelait auparavant des récifs artificiels. Ils reposent sur le même principe de base, mais sont de nouvelle génération. Ils bénéficient en effet d’un haut degré d’écoconception et sont bioinspirés. Nous avons puisé notre inspiration de petits fonds côtiers naturels qui rendent, tout aussi naturellement, des services écosystémiques et de régulation des risques côtiers. De par leur architecture, ces structures permettent d’atténuer l’énergie des vagues tout en servant d’habitat pour des espèces marines. Nous avons créé une forme hybride, qui s’inspire de l’enchevêtrement des racines de palétuviers (mangroves), des herbiers marins… mais aussi de la rugosité des platiers rocheux. Cette forme hybride peut par ailleurs être fabriquée par impression 3D. Elle est déjà optimisée topologiquement, mais pourra être améliorée par itérations, suite aux retours d’expérience que nous aurons in situ.
Nous menons une démarche d’optimisation continue, qui porte à la fois sur le maillage 3D des modules, et sur la manière dont on assemble ces modules entre eux, sur leur forme macroscopique et sur leur positionnement par rapport à la plage. Cela nous permet d’imaginer des systèmes à grande échelle dont la forme macroscopique serait elle-même inspirée d’écosystèmes plus conséquents, tels que des barrières coralliennes ou des bancs de sable. Nous parlons donc de bio-inspiration multi-échelles : cela va de la maille du module jusqu’à l’échelle macroscopique du dispositif et permet d’atteindre une forme efficiente tant pour l’atténuation des risques que pour le développement de la vie marine ou des pratiques liées aux vagues et aux écosystèmes marins. Nos dispositifs servent en effet aussi de supports à des activités éco-touristiques comme la plongée, le snorkeling ou le surf.
En ce qui concerne la fabrication et les matériaux, nous formulons nous-mêmes notre propre matériau : un béton à ultra-hautes performances, ou « BUHP ». Nous sommes encore en phase de développement sur cet aspect, mais ce béton devrait être extrêmement « marinisé » ; il aura des capacités biogéniques importantes et sera très intégré à son environnement. Il sera, d’autre part, adapté à l’impression 3D à grande échelle. Nos modules seront en effet fabriqués via cette approche d’impression tridimensionnelle, à l’aide de techniques matures, mais aussi, pourquoi pas, de solutions innovantes qui nous permettraient de renforcer un peu plus encore notre parti pris biomimétique.
Vous évoquiez votre projet de déploiement d’un dispositif pilote à Palavas-les-Flots, « Surfreef »… Pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet : les étapes déjà franchies, celles qui restent à accomplir, et les résultats que vous espérez obtenir ?
La fin de la première phase de ce projet, qui porte sur la conception du dispositif, est prévue pour avril 2024. La production et la mise à l’eau devraient donc se faire à l’horizon 2024-2025.
Avec ce projet, nous cherchons à obtenir un réensablement direct de la plage, tout en limitant les niveaux de submersion marine et en améliorant l’état écologique du site. Nous espérons également améliorer le potentiel du site en matière de pratique du surf.
Au-delà de ce projet en particulier, quelles sont vos ambitions en matière de développement commercial et de déploiement de votre solution ?
Nous développons nos modules avant tout à des fins de protection côtière, avec une approche très systémique, mais nous visons également d’autres applications, telles que la création de sentiers sous-marins ou d’écomusées subaquatiques, ou encore la protection d’infrastructures côtières, portuaires et offshore. Nous développons, pour ces marchés connexes, d’autres types de modules, basés sur la même approche bio-inspirée, éco-conçue et optimisée. Nous avons donc un prévisionnel de ventes assez réjouissant pour la fin d’année et pour l’année prochaine.
Nous avons déjà plusieurs projets en cours, en plus de projets de R&D interne. Le marché est de taille mondiale, avec des dizaines de collectivités confrontées aux enjeux auxquels nos dispositifs permettent de répondre. Le potentiel est très important. Cela est de bon augure : cela montre que l’écoconception prend petit à petit une place prédominante dans les projets liés aux infrastructures côtières, maritimes et portuaires. L’avenir semble s’orienter vers le rétablissement d’une harmonie avec la nature.
Nous avons par ailleurs le double statut de Jeune entreprise innovante, et de Société à mission. Nous avons ainsi intégré des engagements forts dans nos statuts juridiques et nous nous efforçons de les respecter au travers de notre travail et de nos projets. Cela passe par exemple par des approvisionnements en matières premières et une production de proximité, par une transparence sur les résultats obtenus, ou encore par des messages de sensibilisation aux enjeux côtiers. Nous sommes convaincus qu’il est nécessaire de sensibiliser la population pour appuyer les politiques publiques. Nos dispositifs ne sont pas des solutions miracles, mais devraient apporter leur pierre à l’édifice qu’est la construction d’une société littorale plus résiliente.
[1] Technology readiness level, niveau de maturité technologique.
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