La place considérable quʼelle occupe au niveau national permet à lʼindustrie chimique française dʼoccuper le second rang européen et le cinquième rang mondial. Elle représente même le premier exportateur, avec 13,4% des exportations manufacturières. Enfin, un excédent commercial de 5 milliards dʼeuros fait de lʼindustrie chimique le troisième secteur industriel, derrière lʼaéronautique et la fabrication de médicaments.
Toutefois, face aux enjeux environnementaux actuels, la chimie de demain devra sʼadapter pour se montrer plus durable et plus respectueuse de lʼenvironnement. Après lʼexplosion dʼAZF (dont jʼai été le rapporteur de la commission dʼenquête) et de nombreux débats survenus dans le cadre du Grenelle de lʼenvironnement sur les effets toxiques et persistants de certains pesticides, une image dʼindustrie polluante et dangereuse a été associée à la chimie, occultant de fait les bénéfices quʼil est possible dʼen retirer.
La chimie durable compatible avec les objectifs du respect de lʼenvironnement constitue la chimie verte, dont les principes ont été théorisés par Paul Anastas et John C. Warner. La chimie verte prévoit lʼutilisation de technologies qui permettent de limiter les pollutions à la source, dʼoptimiser lʼincorporation de réactifs, de concevoir des synthèses chimiques propres (c’est-à-dire moins dangereuses), de réduire les produits dérivés qui peuvent générer des déchets, de limiter les pollutions, de privilégier lʼéco-conception du produit en anticipant sur son mode de dégradation finale, de mieux intégrer les processus réactionnels pour prévenir accidents et explosions, et dʼutiliser des matières biorenouvelables afin de limiter le recours aux matières fossiles.
De tels objectifs modifieront profondément les secteurs de la chimie. Notre rencontre ne doit pas pour autant conduire à différencier une chimie propre utilisant des produits naturels dʼune chimie polluante, dangereuse et donc à proscrire. Nous avons besoin de lʼensemble de la chimie dans nos activités industrielles. Ainsi, plus de 70% des produits fabriqués par lʼindustrie chimique sont en réalité destinés à dʼautres secteurs industriels. La chimie représente donc un moteur de lʼinnovation pour lʼensemble des secteurs industriels. Les objectifs doivent par conséquent devenir un véritable axe stratégique pour la recherche et lʼindustrie.
Les modifications apparaissent au niveau politique, avec bien entendu les règlements REACH et le fait que, depuis lʼannée 2008, les industriels sont contraints de prouver lʼinnocuité de leurs produits pour lʼhomme et pour lʼenvironnement. Jʼétais moi-même, avant de devenir parlementaire, biochimiste. Jʼai beaucoup travaillé sur la catalyse enzymatique. Jʼai vu comment la catalyse est capable de fabriquer extrêmement rapidement des produits sans augmentation de température et sans augmentation de pression. La catalyse permet ainsi de réduire la consommation dʼénergie et la quantité de réactifs utilisés. La fabrication dʼune molécule simple comme lʼibuprofène nécessitait par exemple par le passé six réactions chimiques avec la disparition de 60% de masses de réactifs transformés en déchets.
Aujourd’hui, un système catalytique permet de fabriquer lʼibuprofène en trois réactions. En outre, nous retrouvons dans le produit final 77% de la masse atomique de la fabrication du produit, tandis quʼune part des 23% restants est réutilisable. Les réactions ont donc été profondément modifiées. Nous devons par conséquent privilégier la recherche dans les domaines concernés.
Avec mon collègue Daniel Garrigue, nous avons souhaité réfléchir à la possibilité que la chimie durable devienne un axe stratégique majeur pour la recherche et le développement en France. Nous avons donc tenté, par nos rencontres, de faire en sorte quʼau niveau des pouvoirs publics, la chimie durable soit effectivement retenue comme axe stratégique majeur dans notre pays. Nous avons par conséquent lʼobjectif de nous montrer transparents, les industries qui nʼont pas été transparentes ayant rencontré de graves difficultés dans le passé. Si nous nous montrons transparents, nous réconcilierons la chimie avec le grand public. Nous démontrerons que la chimie française se situe à un niveau dʼexcellence européen, ayant su faire peau neuve et sʼadapter aux défis du XXIe siècle.
Jean-Yves Le Déaut est docteur ès sciences en biochimie, ancien professeur des Universités, député de Meurthe-et-Moselle depuis 1986, vice-président de lʼOffice parlementaire dʼévaluation des choix scientifiques et technologiques, vice-président du Groupe dʼétudes sur les Biomatériaux et membre du Groupe dʼétudes sur lʼIndustrie chimique. Il est actuellement vice-président de lʼOffice parlementaire dʼévaluation des choix scientifiques et technologiques, office quʼil a présidé plusieurs fois depuis 1989. Rapporteur et membre de plusieurs Missions dʼinformation parlementaires et de Commissions dʼenquête, il est également auteur de nombreux rapports, notamment sur les biotechnologies, dont les OGM, lʼamiante, la gestion des déchets nucléaires, la recherche, les énergies renouvelables, les risques industriels et lʼeffet de serre. Jean-Yves Le
Déaut est également premier vice-président du Conseil régional de Lorraine depuis 2004.
Cet article se trouve dans le dossier :
- Chimie verte : nouvel eldorado
- L’industrie chimique occupe une place majeure en France
- Chimie verte, la nouvelle formule magique
- Chimie verte : nouvel eldorado
- « Les fluides supercritiques proposent une chimie fondamentalement différente »
- Chimie et développement durable - Vers une chimie organique écocompatible
- Chimie par transfert de phase