L’Etude d’impact du Grenelle de l’environnement a très mal traité l’impact de la production d’électricité. Aux défauts de méthodologie déjà signalés dans un précédent éditorial viennent s’ajouter 3 griefs : l’ « oubli » des principales sources d’électricité non carbonées, une surestimation colossale des avantages attendus de l’électricité éolienne en matière de climat, et l’absence totale d’évaluation de ce que coûte ou rapporte aux différents acteurs les politiques préconisées par le Grenelle.
Dans un éditorial précédent [1], je signalais que l’étude d’impact du Grenelle de l’environnement [2] avait très mal traité l’impact de la production d’électricité. Aux défauts méthodologiques déjà signalés viennent s’ajouter 3 griefs.Le premier ne fait que refléter les travaux et les conclusions du Grenelle de l’environnement : la production d’électricité n’y est abordée qu’avec les nouvelles énergies renouvelables, en « oubliant » totalement les rôles joués par les autres électricités non carbonées, nucléaire et hydraulique. On ne peut en tenir rigueur aux auteurs de l’étude, mais on doit le déplorer.Le second est moins pardonnable. Les bénéfices attendus de l’électricité éolienne en matière de protection du climat sont en effet grossièrement surestimés. La production éolienne, aléatoire, car tributaire du vent qui ne doit souffler ni trop fort, ni trop faible, a toutes chances de se substituer équitablement aux énergies fossiles et aux énergies non carbonées. La figure suivante [3] et son commentaire associé illustrent cette problématique : « Dans la zone de consommation de pointe où le supplément d’énergie est majoritairement d’origine fossile, ce remplacement est favorable. Mais pour le reste de l’année où la consommation est couverte par de l’énergie sans émission de CO2 (et dont la surface d’empiétement est plus grande que celle de la période de pointe), cette substitution n’apporte aucune réduction d’émission. »[4] Le CO2 évité par kWh éolien va correspondre à peu près à la moyenne du CO2 par kWh du parc français, soit 50 g de CO2 équivalent en 2008 [5]. Or l’étude affiche 300 g/kWh [6], soit 6 fois plus !Le troisième grief était déjà signalé dans l’éditorial précédent : l’étude ne cherche pas à évaluer combien coûte, ou combien rapporte, aux différents acteurs les mesures prises par le Grenelle. Cette fâcheuse lacune est particulièrement criante dans le cas des productions d’électricité renouvelables, éolienne et solaire, qui bénéficient d’une obligation de rachat par EDF à des tarifs imposés. Prenons le cas des 22 TWh que doivent produire les 10 GW éoliens installés d’ici 2013 :
Les éoliennes coûtent 15 milliards (G€) et ont une durée de vie estimée à 20 ans ; s’agissant d’un investissement sans risque, il peut être amorti à 4%, auquel on ajoutera 1% de frais d’entretien, soit au total 1,15 G€/an. Le revenu garantis aux promoteurs est de 83 €/MWh, soit 1,825 G€ ; ceux-ci bénéficient donc d’une rente de 675 M€/an.
EDF rachète l’électricité 83 €/MWh, mais grâce à la compensation de service public (CSPE) ne prend à sa charge que 60 €/MWh, ordre de grandeur du prix de l’électricité sur le marché libre de gros. Les 23 €/MWh de la CSPE sont répercutés sur les clients. En réalité, pour chiffrer le coût pour EDF, il faut regarder à quelle production se substitueront les 22 TWh d’éolien : à 10% d’énergies fossiles dont le coût est proche du prix du marché libre, et à 90% à du nucléaire (20 TWh environ). On peut imaginer deux approches, selon que ces 20 TWh viennent en diminution du nucléaire existant (dont le prix de revient est de 20 €/MWh) ou de nouveaux EPR (dont le prix de revient est de 40 €/MWh). Dans le premier cas, le coût pour EDF est de 800 M€/an, dans le second de 400 M€/an. Ces coûts seront répercutés pour partie sur les consommateurs, pour partie sur les actionnaires.
Au total, le bilan est le suivant pour les 10 GW mis en service d’ici 2013 :
Pour les promoteurs : un bénéfice net de 600 M€/an, exorbitant.
Pour EDF : une perte nette de 400 à 800 M€/an répercutée sur les clients et actionnaires
Pour les clients et actionnaires d’EDF : une perte nette de 850 à 1250 M€/an, dont 450 au titre de la CSPE.
L’étude ne dit rien sur l’impact des 25 GW proposés d’ici 2020. Celui-ci sera proportionnellement plus lourd que celui des 10 GW, car il faudra très probablement augmenter la production fossile pour compenser les aléas de la production éolienne.On peut légitimement se demander, au vu de ces différents éléments, si le moment n’est pas venu de supprimer les aides publiques à l’éolien et de le laisser voler de ses propres ailes.Pierre Bacher, ancien élève de polytechnique, est l’auteur de « L’énergie en 21 questions » – édition Odile Jacob (2007), membre du conseil scientifique de Sauvons le Climat et éditorialiste à l’Espace Veille de Techniques de l’ingénieur. [1] Editorial du 8 décembre 2008[2] www.legrenelle-environnement/IMG/pdf/etude_d’impact_1_final_1er_octobre.pdf ; pour faire bref, nous la citerons comme l »Etude ».[3] « 10 questions sur l’éolien » – G. Ruelle – www.academie-technologies.fr/publication/10Questions/ [4] La réalité est évidemment plus complexe, car il faut tenir compte de l’hydraulique de barrage – moyen de pointe idéal -, des périodes anticycloniques de grand froid et de vent très faible, des centrales fossiles maintenues en service pour garantir la puissance, etc. [5] En fait, 43 g/kWh pour le parc EDF (comprenant les effets des oxydes d’azote), le chiffre de 50 g intégrant les autres producteurs.[6] Pourquoi 300, présentés comme les rejets des centrales thermiques à gaz, alors que celles-ci rejettent 600 g de CO2/kWh, sans compter les oxydes d’azote ?
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