Hydrocarbures (huiles, caoutchouc, hydrocarbures aromatiques polycycliques ou HAP…), métaux (plomb, zinc, cadmium…), mais aussi éléments chimiques majeurs (chlore, ion magnésium…), ce sont de nombreux polluants présents à la surface des routes. Ils proviennent de l’usure de la chaussée et de la circulation des véhicules. Il suffit ensuite d’une averse pour que ces polluants soient transportés, par ruissellement, dans des cours d’eau. Cette pollution est d’autant plus importante que le trafic routier est dense, à l’image des autoroutes. Si les plus récentes d’entre elles sont systématiquement équipées de bassins de rétention, ce n’est pas le cas des plus anciennes. Jusqu’ici, aucune étude n’a réussi à démontrer, à l’aide d’un indice biologique, l’impact des polluants des eaux pluviales routières sur un cours d’eau. Grâce à une nouvelle méthode¹, le Cerema a réussi à mettre en évidence cette pollution sur un ruisseau situé dans l’Est de la France.
Pour réaliser cette expérimentation, les chercheurs se sont heurtés à une première difficulté : trouver un site parfait avec la présence d’un cours d’eau qui ne fait l’objet d’aucune autre source de pollution, sauf celle provenant d’une route. Après de nombreuses recherches, ils l’ont trouvé le long de l’autoroute A31, à proximité de Thionville, avec la présence d’un ruisseau appelé le Veymerange, un affluent de la Moselle. Ce site respectait également d’autres conditions pour mener à bien ce travail de recherche, comme l’explique Pierre Mazuer, responsable d’activités en biodiversité aquatique au Cerema : « Nous cherchions une route très fréquentée pouvant potentiellement apporter beaucoup de pollution ; c’est le cas de cette portion d’autoroute qui voit circuler en moyenne 65 000 véhicules par jour. Nous voulions aussi un tout petit ruisseau, sinon nous n’aurions pas pu observer l’impact de cette pollution. Et enfin, il fallait que les conditions morphologiques et hydrologiques des stations situées à l’amont et à l’aval des rejets polluants soient identiques. »
Les scientifiques ont eu la bonne surprise de découvrir la présence d’espèces dites « déterminantes » qui caractérisent des ZNIEFF (Zone Naturelle d’Intérêt Écologique, Faunistique et Floristique). Ces zones, recensées par l’État, sont particulièrement intéressantes sur le plan écologique, car elles sont constituées d’espèces animales et végétales remarquables. Un point important, car la mise en évidence d’éléments polluants dans le Veymerange n’est pas réalisée à partir d’analyses chimiques de l’eau, mais par leurs impacts sur le milieu, et en l’occurrence sur les macroinvertébrés (larves d’insectes, vers, mollusques, ainsi que les crustacés…).
Prélever des substrats composés uniquement de pierres dans le fond du ruisseau
L’expérimentation a consisté à effectuer quatre campagnes de prélèvement, deux au printemps et deux en été, entre les années 2019 et 2021. Sur les deux premières campagnes, deux méthodes habituellement utilisées pour tenter d’observer une pollution chronique ont été utilisées, à savoir : l’IBGN (Indice Biologique Global Normalisé), puis un nouvel indice qui le remplace et appelé l’I2M2 (Indice Invertébrés MultiMétrique). « Comme d’autres études réalisées avant nous, ces deux indices n’ont montré aucune perturbation du milieu à l’aval des rejets pluviaux routiers, ajoute Pierre Mazuer. Ces méthodes ne sont pas efficaces, car elles n’ont pas été conçues pour cela. Elles sont employées dans le cadre de la DCE (Directive Cadre sur l’Eau) et ont pour objectif de traduire l’état écologique d’un milieu, mais pas forcément une pollution particulière. »
Sur les deux dernières campagnes de prélèvement, les chercheurs ont alors changé de méthode. Les deux indices normalisés exigent en effet de réaliser des prélèvements au prorata du recouvrement du fond de la rivière. En clair, cela signifie que s’il y a par exemple beaucoup d’herbiers dans la station située à l’amont, et pas du tout dans celle située à l’aval, il sera prélevé beaucoup de placettes d’herbiers à l’amont et aucune à l’aval. Or, la communauté de macroinvertébrés présente dans un herbier n’est pas la même que celle présente dans un fond recouvert d’un autre substrat, par exemple de pierres. « Nous avons décidé de nous affranchir de la méthode nationale en réalisant des prélèvements uniquement de substrats composés de pierres, révèle Pierre Mazuer. Nous l’avons aussi simplifié en réalisant seulement trois prélèvements dans la station amont et trois autres dans la station aval, pour être sûrs qu’ils soient identiques, alors que l’I2M2 exige d’effectuer douze prélèvements sur chaque site. »
Pour l’exploitation des résultats, deux outils couramment employés pour mener à bien ce type de travaux de recherche ont été utilisés. Le premier, appelé l’indice de similarité de Jaccard, consiste à comparer le nombre d’espèces communes entre les stations amont et aval. « Étant donné que nous avons prélevé les mêmes types de substrat et qu’ils sont très proches les uns des autres, car les stations amont et aval ne sont distantes que d’une centaine de mètres, nous aurions dû avoir un nombre d’espèces quasi similaire. Or, l’indice est compris entre 60 et 70 %. Cela nous a alertés, car cela signifie que 30 à 40 % ne sont pas communes entre les deux stations. »
Les chercheurs ont ensuite utilisé un deuxième outil, encore plus discriminant, appelé le taux d’espèces polluosensibles. En s’intéressant uniquement aux espèces présentant une sensibilité particulière à la pollution organique, ils ont observé une chute de plus de 80 % de l’abondance des espèces entre les stations amont et aval. Une preuve supplémentaire de l’impact de la pollution des eaux pluviales issue de cette portion d’autoroute A31 sur le Veymerange.
¹ Les rapports complets du Cerema sur les différents volets de cette étude sont disponibles en cliquant sur ce lien.
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