Dans une précédente tribune, j’appelais les responsables politiques à baisser très rapidement les aides au solaire photovoltaïque (PV), celles-ci risquant de provoquer une « bulle » incontrôlable comme ce fut le cas en Espagne l’an passé. Avec les aides actuelles, les flux financiers correspondant risquent en effet de se chiffrer en dizaines de milliards d’euros pour les seuls engagements des 3 prochaines années.
Un rapport du très sérieux Rheinisch-Westfälisches Institut fûr Wirtschaftsforchung (RWI) sur les conséquences réelles du soutien massif apporté au solaire PV (et à l’éolien) en Allemagne depuis quelques années vient compléter et conforter cette analyse. Après avoir rassemblé les données sur les coûts engagés et sur la réduction des émissions de CO2 dus au développement du solaire, l’étude analyse les impacts de la politique allemande (telle que définie par la loi dite EEG [1]) dans cinq domaines :
- La protection du climat ;
- Le prix de l’électricité ;
- Les emplois ;
- La sécurité énergétique ;
- La promotion de technologies innovantes.
Aucune des vertus supposées du système allemand n’échappe à sa critique. Nous en résumons ci-après les points essentiels :
1. La protection du climat
Le paradoxe allemand : alors que les ENR remplacent effectivement des énergies fossiles pour la production d’électricité, le « bilan carbone » est quasi nul. Ceci est dû à la coexistence du système d’aides et du European Trading System (ETS) [2] : les producteurs d’électricité renouvelable peuvent vendre leurs permis d’émissions à d’autres « pollueurs », avec comme résultat un transfert des émissions vers ceux-ci [3]. Pire, selon l’étude, l’abondance des permis fait chuter les cours et incite les industriels européens à acheter des permis plutôt qu’à réduire leurs émissions.
2. Le prix de lélectricité
L’étude RWI calcule le coût sur 20 ans de la promotion du solaire photovoltaïque (PV) pour les engagements 2000/2010 (en €, 2007) : 53 milliards d’euros (et de 11 à 18 milliards d’euros pour l’éolien). Elle en déduit un surcoût de l’électricité vendue aux consommateurs de 3 % [4].
3. Les emplois
L’étude souligne le nombre élevé d’emplois créés par le développement massif des ENR : 280.000 en 2008, 400.000 prévus d’ici 2020 selon le ministère de l’industrie allemand (BMU). Mais elle note que ces bilans omettent systématiquement les pertes d’emploi liées à la baisse de pouvoir d’achat des ménages et des profits des industriels.
Elle cite un certain nombre d’études qui laissent penser que le bilan net ne pourrait être légèrement positif, que si l’industrie allemande arrivait à exporter massivement ses produits [5], ce qui est loin d’être le cas du fait de la très vive concurrence des pays asiatiques, au premier rang desquels la Chine. Elle critique particulièrement la politique de promotion du PV, qui reviendrait, pour la seule année 2008, à créer 48.000 emplois subventionnés à hauteur de 175.000 € chacun.
4. La sécurité énergétique
Les ENR devraient normalement réduire les besoins d’énergies fossiles. L’étude conteste cet atout, du fait du caractère intermittent du vent et du soleil. Les centrales thermiques nécessaires en « back up » entraînent des surcoûts de maintenance non négligeables (évalués à 590 millions d’euros en 2006) et, paradoxalement, une augmentation des importations de gaz naturel [6] (dont 36 % provient de Russie, « qui n’a pas convaincu au cours des dernières années qu’elle était un partenaire fiable »).
5. La promotion des technologies innovantes
Le soutien aux ENR est censé favoriser les progrès technologiques. L’étude est extrêmement sévère sur ce chapitre, considérant que les tarifs d’achat très élevés, particulièrement pour le solaire PV, favorisent des effets d’aubaine pour les « gros » industriels, et pas du tout pour les « start ups ». Elle note également que la dégressivité des tarifs d’achat, définie dans la loi EEG et destinée à inciter à l’innovation, a l’effet contraire et encourage le développement massif à court terme des technologies éprouvées. Ceci « permet aux industriels de s’assurer pendant 20 ans des revenus aux tarifs favorables actuels, sans avoir à rechercher de nouvelles technologies ».
Conclusions de l’étude
Après avoir montré les graves défauts du système allemand, l’étude conclut sur trois recommandations :
- Eviter la coexistence de deux systèmes, tels que l’ETS et le système EEG.
- Privilégier le système ETS, car celui-ci crée une situation permettant aux différents acteurs de rechercher l’optimum économique [7], ce qui n’est pas le cas du système allemand actuel.
- Investir dans la recherche et développement : « dans les phases de démarrage de technologies non compétitives, il est plus efficace d’investir dans la R&D que de promouvoir la production de masse ».
De toute évidence, les mêmes recommandations sont valables pour la France. Les avatars espagnol et allemand doivent nous permettre d’éviter de commettre les mêmes erreurs. Il est urgent que nos responsables politiques en prennent conscience.
[1] Cette loi régissant le développement des énergies renouvelables a été révisée en octobre 2008 par des amendements, notamment pour l’éolien et le PV, d’application au 1er janvier 2009.
[2] Rappelons que les rejets de CO2 par les industries les plus polluantes font l’objet de « permis de rejets » négociables sur un « marché carbone » européen, lETS.
[3] Paradoxe déjà relevé dans un article de Der Spiegel dans son numéro du 10 février 2009.
[4] Selon nos recoupements, environ 5 €/MWh
[5] Les auteurs citent une étude commanditée par le BMU qui conclut que le bilan net pourrait être de 56.000 emplois créés d’ici 2020, à condition que l’exportation joue à plein.
[6] Cet argument n’est pas expliqué : peut-être est-ce dû au fait que les centrales au charbon se prêtent mal à la reprise en secours rapide nécessaire pour faire face aux caprices de l’éolien ?
[7] L’étude cite le rapport 2007 de l’Agence Internationale de l’Energie (OCDE), qui recommande à l’Allemagne de chercher d’autres moyens que les tarifs d’achat élevés pour promouvoir le solaire PV, et rappelle « que le gouvernement devrait toujours rechercher les moyens les plus efficaces... »
Pierre Bacher, ancien élève de polytechnique, est l’auteur de « L’énergie en 21 questions » – édition Odile Jacob (2007), membre du conseil scientifique de Sauvons le Climat et éditorialiste à l’Espace Veille de Techniques de l’ingénieur.
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