Pour celles et ceux qui doutent de la nécessité de réduire les émissions de C02, qui se posent des questions à propos de la pause du réchauffement qui dure depuis 16 ans, du rôle joué par les océans et le soleil, ou qui estiment qu’il n’y a pas de raisons que les pays « du sud » ne puissent pas avoir le droit d’émettre autant de CO2 qu’en ont émis historiquement les pays « du nord », trois papiers publiés par ce groupe de recherche américain pourraient être particulièrement utiles compte-tenu de leur puissance pédagogique.
Les causes du réchauffement observé depuis le XIXème siècle
Selon le Climate Research Group (CRG), le réchauffement marque une pause. Le directeur du GISS-Nasa, James Hansen, l’a d’ailleurs confirmé il y a quelques jours : « la moyenne glissante des températures globales a été plate sur la dernière décennie ». Dans le premier papier du CRG intitulé « Causes of the Global Warming Observed since the 19th Century », le professeur Michael Schlesinger, directeur du CRG, et ses collègues Michael Ring, Daniela Lindner, et Emily Cross, soulignent que la température terrestre s’est élevée de 0.8°C depuis le XIXème siècle, ce que personne ne peut nier. Il est également certain que les concentrations en gaz à effet de serre ont augmenté dans l’atmosphère terrestre, principalement à cause de la combustion de carburants fossiles (charbon, pétrole, gaz).
Mais comme le dit l’adage, correlation not imply causation, a fortiori dans un système aussi complexe que le climat. Et la pause du réchauffement observée depuis le début du XXème siècle conduit naturellement à se poser des questions. Il est donc très important de déterminer si le changement de température est lié à des causes anthropiques, comme l’estime le GIEC, ou au contraire à des causes naturelles (dont les volcans et le soleil), comme mis en avant par les contradicteurs. Il convient en particulier d’évaluer le rôle joué par la variabilité intrinsèque du système climatique, notamment les oscillations océaniques.
Le CRG utilise deux méthodes indépendantes pour analyser les températures mesurées depuis le XIXème siècle, c’est à dire les données expérimentales. La première méthode consiste en une analyse spectrale singulière (SSA, un type d’analyse de la famille des analyses spectrales de Fourier) afin d’identifier la part liée à la variabilité interne du climat dans les variations observées de température. La seconde méthode est une simulation avec un modèle climatique simplifié (SCM) afin de déterminer la sensibilité climatique d’équilibre, c’est-à-dire la réponse à la question : quelle hausse de température provoque un doublement de la concentration en CO2 une fois le système climatique à l’équilibre ?
Cette analyse a permis de livrer une réponse : 1,45°C avec les données du GISS Nasa américain, 1,61°C avec celles du HadCRUT4 britannique, 1,99°C avec celles de la NOAA américaine, et 2,01°C avec celle de la JMA japonaise. Le CRG retient la valeur de 1,6°C. C’est « une bonne nouvelle » pour l’humanité a déclaré Michael Schlesinger lors d’une interview par Andy Revkin du New York Times. Une équipe norvégienne (Berntsen et al, étude à ce stade non publiée et en cours de relecture par les pairs pour le Journal of Climate) parvient à une conclusion similaire et d’autres études parviennent à des valeurs proches. 1,6°C, c’est en-deçà de la fourchette des 2 – 4,5°C retenue dans le rapport du GIEC de 2007 (AR4), et de la valeur la plus probable (3°C) retenue par le panel.
Néanmoins le GIEC semble se diriger vers un élargissement de la fourchette à 1,5 – 4.5°C si l’on en croit une pré-version (non définitive) du rapport AR5 où l’on peut lire : « La sensibilité climatique d’équilibre est vraisemblablement comprise entre 2 et 4,5°C, et très vraisemblablement au dessus de 1,5°C, la valeur la plus vraisemblable est 3°C. Une sensibilité climatique d’équilibre supérieure à 6 – 7°C est très invraisemblable ». Deux chercheurs estiment que la sensibilité pourrait être de 4°C mais cette estimation est contestée, et pour Michael Schlesinger, « l’étude de Faluso et Trenberth n’a pas de sens. Elle ne tient pas compte de la question suivante : quelle est la sensibilité climatique qui reproduit le mieux les changements de températures observés depuis le XIXème siècle jusqu’à aujourd’hui ? »
Les oscillations océaniques : une explication à la pause du réchauffement qui dure depuis une décennie et demie
Une grande oscillation océanique multidécennale ayant une période de 65-70 ans est détectée par les chercheurs américains grâce à l’analyse spectrale singulière des températures (quasi-periodic oscillation, QPO) Il s’agit d’une variabilité interne au système climatique, dont le mécanisme sous-jacent est encore mal connu, mais qui constitue la clé permettant de comprendre l’évolution des températures de plusieurs périodes depuis le XIXème siècle jusqu’à aujourd’hui.
La période 1904 – 1944 correspond à un réchauffement de 0.53°C à 0.71°C, selon les séries de données utilisées, qui s’explique principalement par une phase océanique échauffante. Le rôle du soleil est mineur. Et les GES n’expliquent qu’un quart de ce réchauffement. La période 1944-1976 est marquée par un léger refroidissement qui s’explique par une phase océanique refroidissante associée à l’effet des aérosols et s’opposant à celui des GES dont la concentration augmente dans l’atmosphère. La période 1976-1998 correspond à la plus importante phase de réchauffement du siècle, qui s’explique cette fois-ci pour moitié par une phase océanique échauffante, l’autre moitié par les GES. La pression des GES va croissante.
Enfin, la fameuse période 1998-2008 correspond à un refroidissement de 0,11 à 0,22°C, ce qui est a priori très surprenant étant donné que la concentration atmosphérique en GES n’a jamais été aussi élevée depuis des centaines de milliers d’années ! L’entrée dans une phase océanique négative, dont l’effet est puissant, conduit à contre-balancer l’effet sous-jacent du forçage GES, tout aussi puissant.
La période 1976-2010 a connu deux phases océaniques de signe opposé : forçage positif entre 1976 et 1998 (d’où la flambée des températures), puis forçage négatif entre 1998 et 2010, d’où la pause observée. Au final, sur l’ensemble de la période 1976-2010, le forçage océanique est nul, et les gaz à effet de serre constituent le principal driver du réchauffement observé sur la période (entre 0.66°C et 0.79°C selon les séries de données). En 34 ans (1976-2010), la température s’est élevée d’environ 0,7°C, ce qui nous donne une idée de ce qui nous attend une fois que la pause (phase océanique refroidissante) sera terminée, sans doute à partir de 2040.
En effet, étant donné que la période de l’oscillation océanique est de 65-70 ans, on peut s’attendre à ce que la pause qui dure depuis 16 ans se prolonge encore quelques décennies. Mais cela risque de chauffer très dur dans la seconde moitié du siècle, a fortiori si, faute d’un développement assez rapide des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique, les niveaux d’émission de CO2 ne sont pas réduits, et pire, augmentent. Avec à la clé un risque de montée corrélative des océans, qui constitue la première menace, comme le souligne le climatologue français Jean Jouzel dans le journal Sud Ouest : « Songez aux conséquences à New York d’un cyclone comme Sandy si l’océan est plus haut de cinquante centimètres, voire de un mètre. Dans le sujet très complexe du réchauffement, c’est sans doute un message facile à faire comprendre. Mon inquiétude ne se limite pas au XXIe siècle. On sait qu’il y a 125 000 ans le climat était plus chaud de 2 à 3 degrés, et le niveau de la mer était supérieur de 6 mètres à ce qu’il est aujourd’hui. Même si l’on parvient à stabiliser le climat, l’inertie océanique va continuer à faire monter le niveau des eaux pendant des siècles. Ce problème a une dimension éthique, car il touche des populations très vulnérables. Chaque année, des millions de gens supplémentaires sont concernés. »
Si l’on s’intéresse à l’ensemble de la période 1850-2010, il apparaît que ce sont les émissions de GES qui constituent le principal moteur du réchauffement (+2.65 W/m2), légèrement freiné par les aérosols (-0.99 W/m2 à -0.42 W/m2) et les changements d’usage des sols (-0.16 W/m2, albedo). Le rôle du soleil est très mineur (+0.1 W/m2) et celui des volcans est nul.
Un plan loyal pour préserver le climat terrestre
Si l’humanité continue business-as-usual, la concentration en CO2 pourrait atteindre 540 ppm dès 2050 (doublement de la concentration pré-industrielle), et de 1080 ppm (0.1%) dès 2100 (deux doublements). Il en résulte que même si la sensibilité climatique n’est que de 1,6°C comme l’estime Michael Schlesinger, alors nous atteindrions +3.2°C en 2100 (dont 0,8°C déjà réalisés). C’est bien trop. La limite « acceptable » à ne pas franchir est de 2°C selon la convention des Nations Unies sur le climat.
Mais comment mettre d’accord les pays de l’Annexe B (les 39 pays les plus industrialisés, dont la France, auquel le protocole de Kyoto a fixé des engagements contraignants de maîtrise de leurs émissions de gaz à effet de serre) et les pays non Annexe B, dont la Chine et l’Inde ? Michael Schlesinger propose un « Plan Loyal » entre « le nord » et « le sud » pour y parvenir : A Fair Plan to Safeguard Earth’s Climate. Il s’agit d’un programme de découplage entre CO2 et PIB, ce qui est très différent d’un programme de décroissance du PIB. Mais si seuls les pays de l’annexe B s’engagent, et si on laisse les pays non annexe B atteindre des niveaux d’émissions cumulés par habitant égaux à ceux de l’annexe B, alors l’objectif de non dépassement des 2°C ne pourra pas être atteint, même avec l’hypothèse de sensibilité climatique retenue par Schlesinger (1,6°C).
L’objectif d’équité parfaite entre le nord et le sud, compréhensible dans le cadre d’une éthique humaniste, n’est pas possible avec la contrainte des 2°C. Les pays « du nord » devront réduire leur intensité carbonique (émissions par point de PIB) de 10% d’ici 2020 (et les pays « du sud » de 5%), puis de 50% d’ici 2040 (et les pays « du sud » de 20%).
Dans un deuxième temps, les pays « du sud » devront accélérer la cadence: l’ensemble des pays du monde devra accepter l’objectif de réduire à zéro les émissions de C02 à horizon 2065. En faisant cela, le réchauffement pourra être limité à 2°C. La Chine s’inscrit dès à présent dans une dynamique intéressante : l’intensité carbone du géant asiatique devrait diminuer de 16% entre 2010 et 2015 selon le China Energy Institute.
S’il s’avère que la sensibilité est supérieure à 1,6°C (il sera possible de l’apprécier plus finement au cours des décennies à venir), alors il faudra accélérer la cadence de découplage CO2/PIB en proportion. Exiger que les pays « du sud » adoptent dès à présent la même cadence que les pays « du nord » n’est pas possible compte-tenu des émissions historiques des pays du nord. C’est ce point précis qui a conduit aux blocages au sommet de Copenhague de 2009, situation qui ne s’est ensuite guère améliorée.
Une seconde version du « Plan loyal » de Michael Schlesinger a été publiée, « A Revised Fair Plan to Safeguard Earth’s Climate », ceci dans la perspective d’un accord climatique honnête, équilibré, entre pays du nord et du sud. Les pays « du sud » ont ici plusieurs possibilités de date de début de réduction de l’intensité carbonique, pour une durée du Plan de 50 ans. L’ensemble des trajectoires présentées permet de ne pas dépasser la limite des 2°C. Laisser aux pays du sud la liberté de décider de la date de départ (2015, 2020, 2025 ou 2030) permet d’augmenter les chances d’obtenir un accord entre les pays du nord et du sud.
Entre 1850 et 2000, le niveau marin s’est déjà élevé à New-York de 30 centimètres. Michael Schlesinger a indiqué aux Techniques de l’ingénieur que le CGR qu’il dirige va publier prochaînement un papier à ce sujet : un ralentissement du Gulf Stream consécutif au réchauffement pourrait conduire à une montée du niveau marin plus rapide sur le littoral du nord-est des USA qu’ailleurs dans le monde d’ici 2100. « Nous répondrons à la menace du changement climatique, sachant que ne pas le faire serait une trahison pour nos enfants et les générations futures » a déclaré Barack Obama, réélu à la présidence des USA.
Le développement massif des gaz de schiste, moins émetteur en CO2 que le charbon comme le souligne l’Agence Internationale de l’Energie dans un rapport spécial au sujet du boom de cette filière, a permis aux USA de battre le record du monde de vitesse de réduction des émissions de CO2 ces dernières années. Ceci en fort contraste avec la situation en Europe. Le gaz de schiste, arme climatique des USA, et complément des énergies renouvelables fluctuantes comme l’éolien et le solaire, est aujourd’hui au cœur de la diplomatie américaine.
Olivier Daniélo
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