Inondations, tempêtes, vagues de chaleur ou de froid, sécheresses, incendies… les phénomènes météorologiques extrêmes se multiplient d’année en année. Mais la science dispose-t-elle de preuves permettant d’imputer telle ou telle catastrophe au dérèglement climatique global ? C’est de plus en plus le cas, grâce à un nouveau champ de recherche qui émerge depuis quelques années : l’attribution climatique.
Tous les experts s’accordent sur un point : le réchauffement climatique va rendre ces événements extrêmes plus fréquents. En revanche, il est particulièrement difficile d’affirmer avec certitude qu’un lien de cause à effet existe lorsque survient une catastrophe. Pendant longtemps, la réponse apportée a ainsi été «c’est probablement » une conséquence du changement climatique, ce qui ne satisfaisait ni les citoyens, ni les climatologues.
Paradoxalement, la multiplication des événements météorologiques extrêmes a permis à la science d’évoluer sur cette question. Ces dernières années, on peut même affirmer qu’elle fait des pas de géants, grâce à l’attribution climatique, une science en plein essor.
L’attribution climatique, une discipline scientifique récente
L’origine de ce nouveau champ de recherche remonte à 2003. Après une crue de la Tamise particulièrement forte qui a inondé Oxford, le climatologue Myles Allen a publié un éditorial dans la revue Nature qui comportait une question d’ordre juridique : « Si ma maison perd de la valeur à cause du risque accru d’inondations, puis-je faire payer les gros pollueurs pour ce dommage ? »
Mais pour répondre à cette question, encore fallait-il prouver la responsabilité du changement climatique ! Le chercheur proposa ainsi une méthode d’attribution exploitant la puissance des modèles climatiques. Celle-ci permet, par exemple, de comparer la probabilité de survenue de ces inondations dans le monde actuel avec la probabilité d’apparition, dans un monde préindustriel « idéal » sans changement climatique (c’est-à-dire sans émissions de CO2 d’origine humaine).
Le concept a ensuite été repris et mis en pratique par d’autres équipes, en multipliant les simulations. Grâce à ces méthodes statistiques, les scientifiques arrivent ainsi à formuler des probabilités d’apparition fiables de ces phénomènes. Concernant les canicules, la climatologue britannique Friederike Otto[1] affirme même dans un article du Monde : « Dans nos recherches, presque toutes les canicules sont rendues plus probables et plus intenses par le réchauffement d’origine humaine. »
Un nouveau courant de recherche pour étudier les phénomènes extrêmes
Néanmoins, cette manière de procéder est peu adaptée aux événements les plus extrêmes, car ils sont rares et les données disponibles insuffisantes. En 2015, une nouvelle méthode d’attribution est alors née. Au lieu de comparer les fréquences d’apparition, celle-ci vise à comprendre l’influence du changement climatique sur les paramètres qui sont à l’origine de ces phénomènes.
Cette méthode est celle utilisée par le collectif ClimaMeter et l’équipe de recherche de Davide Faranda, spécialiste des événements extrêmes à l’Institut Pierre-Simon Laplace (IPSL)[2].
En voici un exemple d’application. Dans la nuit du 17 au 18 août 2022, la Corse a été frappée par un système orageux particulièrement violent avec des rafales de plus de 220 km/h. Cette méga-tempête s’est ensuite déplacée sur des centaines de kilomètres : Italie, Slovénie, Autriche et enfin République tchèque, causant la mort de plusieurs personnes et des dégâts considérables.
On appelle ce type d’orages des derechos. Or, s’ils sont fréquents dans les plaines américaines, on en dénombre seulement une poignée en France en plus de 100 ans. Cet événement exceptionnel rentre donc totalement dans le champ de recherches de Davide Faranda.
Pour savoir si cette tempête pouvait être attribuée ou non au changement climatique, son équipe a alors appliqué la nouvelle méthode qu’ils ont mise au point.
À la recherche des liens entre la tempête et le changement climatique
Dans un premier temps, ils ont cherché à identifier les grandes masses d’air et systèmes de haute et basse pression lors de la tempête.
Les causes ont rapidement été identifiées : des systèmes de basses pressions appelés « gouttes froides » entre le Portugal et la France ont fait remonter des masses d’air chaud venues d’Afrique, provoquant une canicule (l’été 2022 a été le plus chaud jamais enregistré en Europe).
Ensuite, les chercheurs ont voulu déterminer si une telle position des masses d’air s’était déjà produite avant que les effets du changement climatique soient perceptibles, donc avant 1979[3]. Or, il s’est avéré que cette configuration est fréquente, puisqu’elle s’est produite plus de 30 fois entre 1959 et 1979.
Dans ce cas, pourquoi cette configuration si classique a-t-elle donc provoqué une tempête aussi violente ? L’équipe de M. Faranda n’a pas tardé à trouver la réponse à cette question. Au moment de la tempête, la température de la Méditerranée était 5 degrés au-dessus de la moyenne saisonnière, ce qui a intensifié les forces de convection, conduisant à une tempête de forte intensité.
Par ailleurs, cette température anormale de la méditerranée n’est pas sans rappeler la situation de canicule marine qui a eu lieu à l’été 2024. Par conséquent, faudra-t-il s’habituer à voir ce genre de phénomène se reproduire ? C’est bien possible si l’on en croit les températures record relevées en 2024 : jusqu’à 30,8°C au large de la Corse mi-août.
Et s’il n’y a pas eu d’orage de type derecho cette année, cette température de surface anormalement haute en méditerranée a probablement joué un rôle dans les orages à répétition observés début septembre.
Une science qui a malheureusement de l’avenir
Selon la base de données internationale sur les catastrophes (EM-DAT), plus de 12 000 événements (hors séismes) ont été répertoriés depuis 1980. Mais ce n’est pas le plus frappant : les deux tiers de ces catastrophes se sont produits depuis les années 2000 ! Bien que les données récoltées avant l’essor des technologies de communication des années 1990 soient à considérer avec prudence, l’amplification des phénomènes météorologiques extrêmes reste néanmoins indéniable.
N’en déplaise aux climatosceptiques qui voudraient faire du climat une question d’opinion, les faits sont donc là. La science de l’attribution arrive bel et bien à prouver la réalité de l’impact du changement climatique sur l’apparition de catastrophes.
Espérons que cette nouvelle science nous aide à mieux anticiper ces phénomènes extrêmes auxquels nous devrons malheureusement nous habituer.
[1] Co-fondatrice du collectif World Weather Attribution (WWA) avec Geert Jan van Oldenborgh
[2] Au laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE) de l’unité CNRS/CEA/Université Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines.
[3] Le changement climatique a été reconnu pour la première fois comme un problème de portée mondiale en 1979, lors de la conférence mondiale du climat à Genève.
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