Pour déployer un service de connexion à Internet sur toute la planète, les fournisseurs peuvent placer des satellites en orbite géostationnaire, à 36 000 km de la Terre, ou des constellations de satellites, en orbite basse, à moins de 2 000 km de la Terre. « Les satellites géostationnaires sont fixes au-dessus de la même position terrestre, les satellites en orbites basses sont défilants autour de la Terre », rappelle Marlène de Bank, ingénieure de recherche « numérique » à The Shift Project. L’association présidée par Jean-Marc Jancovici publie le nouveau rapport « Énergie, climat : Stratégie pour des réseaux numériques sobres et résilients ».
Des milliers de satellites en orbite basse
Ce rapport s’intéresse tout particulièrement aux impacts climatiques des satellites. Et pour cause : un satellite géostationnaire permet traditionnellement de couvrir environ un tiers de la planète. Il en faut donc trois pour assurer une couverture mondiale minimale. « On peut en mettre plus pour couvrir plus de personnes et donner plus de débit à plus de monde », ajoute Marlène de Bank. Mais cela est très différent pour les satellites en orbite basse. L’ingénieure explique : « Ces satellites sont mis en orbite basse pour réduire le temps de trajet entre le sol et les satellites. Cela fait que la latence – le temps nécessaire à des paquets de données pour passer dans le réseau – est réduite [de l’ordre de 600 à 30 millisecondes]. Pour réussir à avoir une faible latence et une couverture continue, il suffit de cent satellites. »
S’« il suffit de cent satellites », les fournisseurs décident d’en placer beaucoup plus en orbite. Leur objectif : apporter davantage de débit à toujours plus d’utilisateurs. Ainsi, la constellation Starlink[1] de la société SpaceX, c’est déjà 5 100 satellites de moins de 300 kilogrammes placés en orbite. La constellation OneWeb[2] d’Eutelsat OneWeb, c’est 648 satellites de 150 kilogrammes. Mais ces géants prévoient beaucoup plus grand : SpaceX prévoit par exemple environ 12 000 satellites en 2025 et a demandé les autorisations pour en lancer un maximum de 42 000. « S’il ne fallait amener ce service qu’à un nombre limité de personnes, la constellation ne serait pas de taille si importante », souligne le rapport. Le dimensionnement des besoins à venir et le rôle de la sobriété individuelle et collective apparaissent ici clairement pour maîtriser l’empreinte carbone de ces constellations.
Une empreinte carbone qui s’envole
Aéro Décarbo et The Shift Project ont analysé l’empreinte carbone (en milliers de tonnes de CO2 équivalent par an, ktCO2e/an) de ces deux réseaux satellitaires. Ces évaluations comprennent les émissions liées aux constellations de satellites, aux lanceurs, aux stations au sol et aux antennes utilisateur, ainsi que les points de contact entre les terminaux utilisateurs et le réseau Internet. Résultat : 1 600 ktCO2e/an pour Starlink, et près de 600 ktCO2e/an pour OneWeb. « 1 600 ktonnes de CO2e par an, c’est deux fois les réseaux fixes et mobiles en France [en 2020] », illustre Marlène de Bank. L’empreinte carbone des constellations de satellites est particulièrement importante et bien supérieure à celle de satellites géostationnaires. À titre d’exemple, l’organisation cite le satellite Konnect VHTS d’Eutelsat Group, émettant 65 ktCO2e/an.
Un déploiement massif qui fait craindre le pire
2022 a marqué un point de bascule avec plus de 1 000 tonnes de satellites mises en orbite sur l’année. « En 2022, on a mis autant de masse en orbite pour les satellites en orbite basse que pour le reste des activités spatiales : 94% est uniquement due aux constellations Starlink et OneWeb », prévient Marlène de Bank. Et cela s’accélère. En 2023, plus de 1 400 tonnes de charge utile ont été placées en orbite dont les trois quarts en orbite basse.
Cette tendance historique ne serait qu’une amorce puisque les prévisions du secteur prévoient de multiplier cette masse par neuf entre 2021 et 2050. Les experts redoutent en plus les effets « hors CO2 » de ces mises en orbite. « Au lancement et à la ré-entrée des satellites dans l’atmosphère, des particules sont émises et impactent le climat », évoque Marlène de Bank. Ces effets encore peu documentés ne sont pas pris en compte dans les évaluations.
The Shift Project appelle donc à conditionner le déploiement des constellations de satellites à des études d’impact et à mener des études pour réduire les incertitudes sur les effets hors-CO2. Tout l’enjeu sera de réfléchir à des stratégies de connectivité compatibles avec les budgets carbone. L’association souligne que « la réplication d’une solution type Starlink pour assurer un accès à Internet véritablement mondial serait une impasse environnementale ».
Ainsi, tout le défi consiste à adopter de manière raisonnée et différenciée ces technologies, sans surdimensionner les services. Hugues Ferreboeuf, chef de projet « numérique » à The Shift Project souligne : « On n’a pas forcément besoin de 10 000 satellites en orbite basse pour fournir un service de connectivité. En mettre quelques milliers ou quelques dizaines de milliers, cela revient tout simplement à dupliquer des infrastructures […], ce qui évidemment d’un point de vue environnemental est le contraire de ce qu’il faut faire ».
[1] Starlink
[2] OneWeb
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