Le Pacifique tropical, qui s’étend de l’Australie au continent américain, est une zone clé dans la compréhension du système climatique mondial. Les variations de température observées dans cette région sont actuellement bien étudiées à l’échelle interannuelle, c’est-à-dire d’une année à l’autre. On sait par exemple que le phénomène climatique El Niño va provoquer une augmentation des températures dans le monde entier l’année où il se produit. Une équipe de 35 scientifiques internationaux s’est formée afin d’étudier les fluctuations climatiques lentes dans le Pacifique tropical à l’échelle décennale, également connues sous le nom de « TPDV » pour Tropical Pacific decadal variability. Ces travaux de recherche, réalisés principalement grâce à une synthèse d’articles scientifiques, viennent d’être publiés dans la revue Science.
Il apparaît que deux mécanismes sont responsables des variations de température lentes dans le Pacifique tropical. Le premier, nommé variabilité interne, est lié aux phénomènes El Niño et La Niña qui se déroulent dans cette région. Ainsi, les décennies où l’on observe une fréquence plus élevée d’El Niño que de La Niña sont celles les plus chaudes dans le monde. Le deuxième, appelé variabilité forcée, provient des contraintes extérieures que subit le Pacifique tropical telles que les concentrations en gaz à effet de serre, le « black carbon » émis lors des réactions de combustion ainsi que les éruptions volcaniques projetant des particules dans la stratosphère.
« Nous avons mis en évidence que le changement climatique dans cette région est particulièrement prégnant dans l’ouest du Pacifique tropical, décrit Matthieu Lengaigne, climatologue à l’IRD (Institut de recherche pour le développement) et l’un des chercheurs ayant codirigé cette étude. Depuis 1900, on voit clairement une augmentation d’environ 0,5 degré des températures liée à l’augmentation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Et toutes les années depuis 1990 sont plus chaudes que la moyenne des températures des années 70. Dans le Pacifique est, nous avons plus de difficultés à évaluer quelle est la part du forçage anthropique dans l’augmentation des températures à cause des phénomènes E Niño et La Niña. Ces derniers entraînent en effet des variations de température de l’ordre de 3 à 5 degrés, et dans ces conditions il est plus difficile de détecter une variation de 0,5 degré. »
Une disparition des récifs coralliens dans 50 ans
Cette augmentation lente des températures dans le Pacifique tropical a de multiples répercussions. Alors que les populations de thons ont tendance à se déplacer du Pacifique ouest vers le Pacifique central est afin de suivre les eaux chaudes lors du phénomène El Niño, ce mouvement se répète durant les décennies les plus chaudes. Les récifs coralliens ne sont pas épargnés non plus puisque le réchauffement provoque un blanchissement des coraux et à terme leur mort. « On prévoit une disparition de l’ensemble des coraux à l’échelle des tropiques dans 50 ans, alerte le chercheur. Ces récifs coralliens ne sont pas uniquement là pour faire joli. Ils soutiennent des écosystèmes particulièrement riches. À certains endroits, on observe par exemple des reproductions de poissons qu’on ne retrouve nulle part ailleurs, cela signifie donc que l’on va perdre en biodiversité. »
Le réchauffement du Pacifique tropical a aussi un impact sur le niveau des précipitations, la fréquence et l’intensité des sécheresses ainsi que les feux de forêt associés, et ce, particulièrement dans le Pacifique ouest. Au-delà de cette région, les chercheurs ont également mis en évidence des liens entre cette variabilité décennale des températures dans le Pacifique tropical et la couverture de glace dans les pôles. Les décennies chaudes du Pacifique tropical sont celles où l’on observe une plus importante diminution de la surface de glace dans les régions polaires.
Les scientifiques vont poursuivre ce travail de recherche, notamment dans le but de réaliser des projections sur l’évolution lente des températures de cette région du monde. Ils sont actuellement limités par l’historique des données disponibles, comme le souligne Matthieu Lengaigne : « Nous avons des données d’observations pertinentes à partir des années 1950 et très peu avant. Mais il est possible de reconstruire l’évolution des températures du Pacifique tropical sur plusieurs siècles en arrière grâce à l’étude des isotopes de l’oxygène dans les coraux, et même si ceux-ci sont déjà morts ». De nouveaux modèles climatiques de prédiction vont devoir être développés, car ceux actuellement utilisés ont des biais et ne reproduisent pas suffisamment bien la composante interne de la variabilité des scénarios du Pacifique tropical.
Dans l'actualité
- Comment comprendre le rôle de l’océan Austral ?
- Comprendre l’évolution du phytoplancton
- Les récifs coralliens : une richesse menacée à protéger
- La sauvegarde des coraux passera par des engagements forts
- Une technique d’inventaire de la biodiversité grâce à l’ADN environnemental
- 2021 rejoint le top 7 des années les plus chaudes
- Les feux de forêt font exploser les niveaux de particules fines
- Reformer les récifs coralliens en utilisant l’impression 3D
Dans les ressources documentaires