« Jusqu’à présent, les stations d’épuration étaient conçues pour traiter les matières en suspension, le carbone, l’azote, le phosphore. Il y a désormais d’autres aspects qualité qui définissent la qualité d’un cours d’eau, notamment sur les micropolluants », prévient Samuel Martin, Responsable du département R&D Assainissement et Environnement au CIRSEE-Suez Environnement. La Directive Cadre sur l’Eau européenne a redéfini les critères de qualité des cours d’eau pour plusieurs substances. « On n’est plus au niveau de paramètres globaux comme la DBO, les matières en suspension ou l’azote total, mais on est au niveau des molécules elle-même, à des concentrations assez faibles, du ng/L au µg/L ».
Pour les stations les plus répandues, les résultats du projet AMPERES ( 2006-2009), porté par Irstea en collaboration avec Suez Environnement et l’Université de Bordeaux, par financement de l’Onema, montrent qu’environ 85 % des substances quantifiées en entrée de station sont éliminées à plus de 70 % au cours du processus. Mais un certain nombre de substances sont éliminées à moins de 30 %. Il s’agit de pesticides polaires (glyphosate, AMPA, diuron) et de quelques produits pharmaceutiques. Au final, environ 15 % des substances prioritaires sélectionnées au niveau européen, 30 % des molécules organiques et 90 % des substances pharmaceutiques quantifiées dans les eaux brutes se retrouvent en sortie des procédés biologiques à des concentrations supérieures à 0,1 µg/L.
Armistiq : améliorer l’élimination des micropolluants
Le projet ARMISTIQ (2010-2013), porté par les mêmes partenaires que le projet AMPERES, montre qu’il est possible d’améliorer l’élimination des différentes familles de micropolluants en sortie de stations d’épuration en adaptant le procédé classique de boues activées et en ajoutant des traitements complémentaires.
La réalisation de simulations numériques a permis de montrer que cela est possible en augmentant la concentration des boues ou la durée d’aération dans les bassins. Cette amélioration des performances n’est néanmoins pas efficace pour un grand nombre de polluants présents en sortie de station d’épuration.
Le projet s’est donc aussi intéressé à l’optimisation de la dégradation des micropolluants par l’utilisation seule ou en combination de traitements complémentaires : l’ozonation, l’oxydation avancée (combinaisons UV/H2O2, O3/UV, O3/H2O2) et le traitement par charbon actif.
Ci-dessus : Efficacité des 3 traitements complémentaires testés pour l’élimination de différentes familles de micropolluants. Représentation du rendement d’élimination entre la sortie de traitement secondaire et la sortie du traitement complémentaire testé : R<30 % (rouge), 30 %<R<70 % (orange), 70 %<R<90 % (vert clair), R>90v% (vert foncé)
« L’ozone, combiné ou pas à peroxyde d’hydrogène, est efficace pour une grande majorité de substances. C’est le cas aussi pour le charbon actif, avec quelques différences sur certaines molécules », assure Samuel Martin. Une bonne nouvelle est à noter : si le projet AMPERES a montré que les médicaments étaient présents à plus de 90 % à des concentrations supérieures à 1 µg/L en sortie de station, les 3 traitements complémentaires testés ici les éliminent à plus de 70 %.
L’ozone combiné au peroxyde d’hydrogène présente les meilleurs rendements, mais c’est aussi la solution la plus chère. Pour les grosses collectivités, l’ozone semble être le meilleur rapport performances/coût. Pour ces dernières, l’installation de ce procédé conduirait à une augmentation du prix de l’eau de deux centimes d’euros par m3, soit une facture additionnelle d’environ 2 € HT par habitant et par an, contre 20 € HT par habitant et par an pour le procédé peroxyde/UV.
En France, la politique s’oriente vers la réduction de la pollution à la source. Mais cela n’est pas toujours suffisant. « Si l’on veut appliquer ces solutions sur les stations actuelles, techniquement, ce n’est pas trop compliqué. On peut installer une étape de traitement tertiaire s’il y a de la place sur le site et si le traitement en amont est de qualité suffisante », assure Samuel Martin. Le choix d’investissement revient aux collectivités qui doivent arbitrer entre prix de l’eau et diminution de la pollution des cours d’eau
De nouveaux projets pour mieux traiter les micropolluants
Le projet Armistiq s’est également intéressé à l’évolution des micropolluants accumulés dans les boues, suite au séchage ou à la méthanisation. Quel que soit le procédé testé, les micropolluants sont peu affectés par les procédés actuellement utilisés. Le nouveau projet RISO-PRO (2013-2015) , financé par l’Onema et coordoné par l’Inra étudie donc leur devenir après épandage.
Une question demeure : après dégradation des micropolluants par les procédés avancés, les sous-produits sont-ils toxiques pour le milieu récepteur ? Qu’en est-il de la toxicité des micropolluants non éliminés ? C’est l’enjeu du projet EchiBioTEB (2011-2014) dont les conclusions seront prochainement communiquées par Irstea.
Le projet Micropolis (2014-2017) a été lancé à Sophia Antipolis avec Irstea, l’Agence de l’eau et d’autres partenaires en écotoxicologie. Sur le site existant, l’objectif est d’évaluer les performances de traitement par ozonation et traitement biologique complémentaire, l’impact sur le milieu et l’énergie consommée. L’idée est également de coupler des outils chimiques et écotoxicologiques (avec des gammares) pour évaluer la toxicité en sortie de station.
Le site SIPIBEL, site pilote de Belcombe, a pour objectif de réaliser l’étude de la caractérisation, de la traitabilité et des impacts des effluents hospitaliers en station d’épuration urbaine. Deux projets y sont menés : le projet Interreg franco-suisse IRMISE Arve aval (2013 -> juin 2015) qui porte sur l’impact des rejets de micropolluants (dont des résidus de médicaments) issus de STEP sur l’aval du bassin versant de l’Arve et la nappe du genevois et le projet RILACT (nov. 2014 -> mai 2018), portant sur les risques et leviers d’action relatifs aux rejets de médicaments, datergents et biocides dans les effluents hospitaliers et urbains.
Avec le SIAAP, Suez Environnement teste enfin un procédé d’oxydation catalytique pour aller plus loin dans la dégradation des micropolluants tout en réduisant la dose d’ozone utilisée.
Par Matthieu Combe, journaliste scientifique
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