Décryptage

Les solitons dissipatifs, clé du stockage de l’information à ultra-haut débit

Posté le 27 mai 2010
par La rédaction
dans Informatique et Numérique

Des chercheurs de l’Université Libre de Bruxelles ont mis au point une nouvelle technique de stockage de l’information à ultra haut débit dans les systèmes de télécommunications. Leur découverte : une mémoire tampon essentiellement constituée d’une boucle de fibre optique refermée sur elle-même au moyen d’un coupleur.

Des chercheurs du service OPERA, en Faculté des Sciences appliquées de l’Université Libre de Bruxelles (ULB), ont conçu et réalisé un prototype de mémoire tampon optique, simple et ultrarapide, composée d’une simple fibre optique bouclée sur elle-même. Dans cette boucle, de l’information codée circule sous forme d’impulsions lumineuses. Le codage binaire est réalisé en associant les 1 et les 0 respectivement à la présence et à l’absence d’impulsions. Ces impulsions sont particulières dans la mesure où leur durée n’est que de quelques picosecondes et qu’elles résultent d’un processus d’auto-structuration complexe, raison pour laquelle elles portent le nom de « soliton dissipatif » ou « soliton de cavité ».

Les résultats obtenus par ces chercheurs constituent une première étape dans le développement d’une nouvelle technique de stockage de l’information à ultra haut débit dans les systèmes de télécommunications.

Le principe

Le fonctionnement de cette mémoire tampon optique est basé sur une propriété remarquable des impulsions lumineuses de type soliton : celle de conserver leur forme au cours de leur propagation au sein d’une fibre optique. Ces impulsions peuvent, au sein d’une fibre, parcourir sans déformation une distance quasi illimitée. Ceci est remarquable, car une impulsion lumineuse brève traditionnelle (flash de lumière de quelques picosecondes) envoyée dans une fibre optique s’étale toujours dans le temps en raison du phénomène de dispersion chromatique inhérent à la propagation en milieu matériel. Cet étalement est fortement dommageable pour les applications aux télécommunications, car il perturbe, voire détruit, l’information codée par les impulsions. Mais si une impulsion a une intensité suffisamment élevée, elle modifie sur son passage l’indice de réfraction du milieu dans lequel elle se propage. Dans ces conditions, il est possible de donner à l’impulsion une forme bien précise qui est telle que la modulation de l’indice de réfraction compense exactement l’effet de la dispersion chromatique. Ceci résulte en une impulsion se propageant sans distorsion, c’est-à-dire, un « soliton optique ». De façon remarquable ces impulsions « soliton » se forment spontanément dans le dispositif de fibre en boucle étudié à l’ULB.

Le processus d’autostructuration qui est mis en œuvre trouve son origine dans le principe de formation de « structures dissipatives », le concept physique introduit par Ilya Prigogine et pour lequel il reçut le prix Nobel en 1977. Cette étude s’inscrit donc de façon très générale dans la lignée des travaux fondamentaux, entrepris par l’Ecole de Prigogine sur les systèmes dissipatifs. Elle se base notamment sur un modèle théorique développé par René Lefever, à la fin des années 1980, pour décrire les cavités optiques non linéaires. L’étude ultérieure de ce modèle par Mustapha Tlidi a montré l’existence dans ces cavités de solutions localisées autostructurées, ce qui indiquait indirectement la possibilité de faire circuler des impulsions « solitons » dans une cavité optique fibrée. Les travaux qui font l’objet de la publication de Nature Photonics ont permis de confirmer expérimentalement ces prédictions théoriques.

Prochaine étape : la miniaturisation sur une puce en silicium

La mémoire tampon étudiée par les chercheurs de l’ULB, est essentiellement constituée d’une boucle de fibre optique refermée sur elle-même au moyen d’un dispositif appelé coupleur. Le coupleur possède une entrée par laquelle la lumière peut être injectée dans la boucle et une sortie par laquelle une fraction de la lumière circulant dans la boucle peut être récupérée. Une telle boucle est appelée « cavité optique » par la communauté des physiciens, car la lumière peut parcourir la boucle un très grand nombre de fois avant d’en ressortir. Les pertes subies par une impulsion soliton lors de la propagation dans cette cavité optique (qui pour l’essentiel sont causées par la sortie de lumière au niveau du coupleur) sont compensées par une onde continue injectée en permanence à l’entrée. Cette compensation assure la persistance de l’impulsion sur un nombre de tours a priori illimité ; un soliton optique, une fois formé dans la cavité y circulera donc indéfiniment.

Du point de vue des applications, on peut imaginer créer une séquence de solitons optiques codant un message, l’injecter dans la boucle, et la récupérer inchangée, à tout moment, ultérieurement. On réaliserait de cette manière une « mémoire optique » qui permettrait de remplacer les mémoires électroniques qui sont utilisées actuellement et qui ont des capacités beaucoup plus faibles que ce que l’optique permet. Effectivement, dans le contexte du traitement tout optique ultra rapide du signal, il est important de disposer de mémoires et de délais capables de travailler à des cadences très élevées. En plus de sa grande capacité, la mémoire tout optique mise en œuvre au laboratoire OPERA n’est pas sujette à l’accumulation de bruit (parasite se rajoutant au signal), contrairement aux dispositifs concurrents qui sont soumis à l’accumulation progressive de bruit détruisant l’information et limitant, de ce fait, la durée maximale de stockage.

Les résultats expérimentaux obtenus récemment sont le fruit d’une succession de travaux et de collaborations, ayant débuté par l’étude fondamentale des propriétés d’une cavité optique non linéaire fibrée, au sein du Pôle d’Attraction Interuniversitaire, « photonics@be », programme de recherche financé par la Politique scientifique fédérale belge BELSPO, et développé grâce au soutien récurrent des différents fonds du FRS-FNRS. Le savoir-faire acquis dans ce cadre a récemment permis de s’attaquer à l’objectif plus ambitieux de générer des solitons de cavité.

Bien qu’elle constitue une étape importante, cette démonstration de principe n’est pour OPERA qu’un premier pas dans le développement des mémoires optiques à soliton de cavité. L’étape suivante consistera, entre autres, à miniaturiser le dispositif, par exemple sur une puce en silicium compatible avec d’autres dispositifs de traitement optique de l’information.


Pour aller plus loin