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Interview

« Les SMR, une réponse appropriée, mais insuffisante aux limitations des réseaux électriques européens »

Posté le par Arnaud Moign dans Énergie

Sur le papier, les Small Modular Reactors (SMR) sont une solution innovante pour répondre à nos besoins énergétiques croissants. Néanmoins, cette technologie complexe et coûteuse semble plutôt adaptée aux grands sites industriels, qui ont des besoins énergétiques importants. Pour des besoins plus modestes, d'autres solutions existent, bien plus rapides à déployer, plus sûres et moins coûteuses.

C’est en tout cas le point de vue d’Alexandre Laybros, co-CEO de WattAnyWhere, une entreprise spécialisée dans la production d’électricité décentralisée, à partir d’éthanol.

 

Alexandre Laybros-WattAnyWhere
Alexandre Laybros, co-CEO de WattAnyWhere, (crédit : WattAnyWhere)

WattAnyWhere[1] développe des solutions énergétiques décentralisées, sur le concept des distributed energy resources (DERs), promu par l’Agence Internationale de l’Énergie (IEA), dans le but de répondre à la demande croissante en électricité.

L’entreprise propose un générateur à pile à combustible qui convertit l’éthanol en électricité propre sans polluants, à destination du commerce de détail, des opérateurs de recharge de véhicules électriques et de l’industrie.

 

Techniques de l’ingénieur : Pourquoi les réseaux électriques européens sont-ils en difficulté ?

Alexandre Laybros : Actuellement, c’est toute la filière électricité qui est impactée par une explosion de la demande : production centralisée, transport par RTE, distribution par ENEDIS ou ENGIE. La filière n’arrive pas à répondre au besoin d’adaptation des réseaux de manière efficace, aussi bien en termes de techniciens que de ressources.

Car il faut savoir que ces 20 dernières années, la croissance de la filière électricité était de 4 ou 5 % par an, pour des raisons macroéconomiques de suivi du PIB. Puis d’un seul coup, il y a eu l’arrivée des véhicules électriques et la transition des industriels depuis le gaz vers l’électrique. Or, ces initiatives qui se chiffrent en centaines de mégawatts supplémentaires provoquent un stress sur l’architecture actuelle du réseau électrique. Mais s’adapter est difficile, car on ne peut pas passer d’un seul coup de 5 % à 30 % de croissance par an !

Par ailleurs, L’Europe a chiffré à 583 milliards d’euros sur 10 ans, le coût des travaux nécessaires à la modernisation des infrastructures de transport de l’électricité, en tenant compte des besoins humains (techniciens, ingénieurs) et matériels. Non seulement les sommes sont colossales, mais, en plus, cela prendra des années.

Existe-t-il des solutions alternatives ?

La solution que nous proposons est basée sur le concept des Distributed Energy Resources (DERs), qui est promu par l’Agence Internationale de l’Énergie (IEA) et déjà développé aux États-Unis.

Ce concept vise à s’affranchir des coûts monstrueux que nous venons de citer, en intégrant des ressources énergétiques décentralisées, au plus près du point de consommation. Sur ce marché, il y a notamment les panneaux photovoltaïques, les batteries, les SMR (Small Modular Reactors) et les projets de production d’électricité à partir d’éthanol (la solution WattAnyWhere) ou d’hydrogène.

Les SMR font donc partie de ces solutions préconisées par l’IEA. Quel est votre avis sur le sujet ?

Les petits réacteurs nucléaires que l’on appelle SMR répondent à ce besoin de fournir l’énergie localement, mais pour des niveaux de puissance importants. Selon moi, ces installations sont plutôt destinées à fournir de l’électricité aux gros sites industriels qui sont en train de passer du gaz à l’électrique et vont avoir de gros besoins, supérieurs à 100 MW.

Par ailleurs, il y a encore de grosses incertitudes sur le coût de revient au kWh, mais aussi en ce qui concerne l’homologation. Il y a aussi des risques techniques, des exigences encore mal connues en termes de sûreté de fonctionnement, mais également le problème du sourcing du combustible avec les questions géopolitiques associées.

Pour des besoins de l’ordre du MW, nous pensons que le SMR n’est pas adapté. Cependant, la solution proposée par WattAnyWhere l’est totalement.

Quel est le concept de WattAnyWhere ?

Nous développons un générateur de 300 kW modulaire, à base de pile à combustible, capable de produire de l’électricité à partir d’une source d’énergie 100 % renouvelable : l’éthanol.

Comme il est conteneurisé, il a l’avantage d’être facilement transportable et empilable. En ce moment, nous travaillons notamment avec Shell sur un système capable de fournir entre 600 kW et 1 MW. Et contrairement aux SMR, nous avons déjà bien progressé sur la partie homologation, surtout que les risques techniques sont faibles et que l’éthanol est un vecteur énergétique que l’on peut produire partout.

Pourquoi avoir choisi l’éthanol ?

L’éthanol permet de disposer d’une ressource sans soucis d’approvisionnement, renouvelable et locale, car l’éthanol que nous utilisons actuellement est de l’éthanol de seconde génération, issu de la transformation de déchets de l’agriculture, donc d’une filière vertueuse.

Je tiens à le préciser, car on entend souvent parler des biocarburants en termes négatifs, leur production étant encore trop souvent associée à l’utilisation de terres cultivées. Si c’est malheureusement toujours vrai pour le biocarburant B7 (moteurs diesels), ce n’est plus le cas depuis longtemps pour le bioéthanol (carburant E5).

WhattAnyWhere a interrogé les producteurs d’éthanol en France, en Espagne, en Allemagne et en Belgique : ils sont tous alignés sur une production d’éthanol à base de déchets.

Prenons l’exemple de la betterave sucrière en France. Lorsque tout le sucre a été extrait de la betterave, il reste un résidu qui était auparavant brûlé, ou pire, on le laissait pourrir et relarguer du méthane, un gaz à effet de serre bien pire que le CO2. Ce n’est plus le cas puisque ça fait 15 ans que la filière investit dans ces procédés enzymatiques afin de produire de l’éthanol à partir de résidus.

Idem à l’international : au Brésil, Raízen produit déjà 270 millions de litres d’éthanol par an, à partir des déchets de canne à sucre, en suivant le même processus. De plus, c’est vraiment vertueux, puisque, pour les producteurs, la production d’éthanol devient aussi un complément de revenu !

80 % de la production actuelle d’éthanol est aujourd’hui destinée aux véhicules thermiques. C’est donc une filière forte, en croissance, avec des investissements qui se poursuivent. L’éthanol est ainsi une valeur sûre, pour nous.

Par ailleurs, du point de vue fonctionnement de notre process, l’éthanol est également un très bon choix. D’une part, sa densité énergétique est excellente, 5,8 kWh par litre, donc juste après l’essence qui est autour de 9,3 kWh/litre. D’autre part, bien que cette densité d’énergie soit inférieure à l’essence, le rendement proche de 60 % de notre pile à combustible nous permet de beaucoup mieux exploiter son potentiel qu’un moteur thermique, dont l’efficacité ne dépasse pas 30 %.

Quels sont les cas d’usage typiques ?

Nous mettons surtout en avant la recharge de véhicules électriques, car c’est un sujet qui répond au besoin de nombreux acteurs, du fait de la forte demande d’énergie que représente la mobilité électrique.

L’autre sujet sur lequel nous travaillons aussi est l’alimentation des sites industriels, qui prend de l’ampleur avec l’accroissement du coût de l’énergie. Dans le retail (supermarchés et centres commerciaux), l’énergie est dorénavant la 2e ligne de coût après les salaires et donc devant la partie business. Si faire gagner aux industriels 1 % ou 2 % sur leurs dépenses énergétiques est déjà rentable, utiliser un système comme le nôtre permet aussi aux industriels d’avoir de la visibilité, puisque le coût de revient du kWh est stable, en plus d’être extrêmement compétitif.

Il faut garder en tête que l’industrie a vécu des situations ponctuelles vraiment compliquées ces dernières années lors de la crise énergétique de 2021-2023, en particulier avec la crise du gaz en 2022. Or, les dirigeants savent que de tels chocs peuvent se reproduire.

Nous sommes donc là pour leur apporter une certaine stabilité et une complémentarité par rapport à des Gestionnaires de Réseau de Distribution (GRD) sous forte pression.


[1] WattAnyWhere

Pour aller plus loin

Posté le par Arnaud Moign


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