Le Panthéon, les marchés de Trajan, le Colisée… Vestiges d’une civilisation à l’apogée de son art et de sa puissance, ces monuments désormais emblématiques de la capitale italienne ont une valeur historique et culturelle inestimable. Mais pas seulement, puisqu’il aura fallu un peu plus que de la chance pour que ces témoins de la Rome antique puissent traverser les siècles en résistant aux ravages du temps et des éléments, aux tremblements de terre ainsi qu’aux multiples dégradations. L’incroyable longévité de ces bâtiments – près de deux millénaires ! – reste encore bien mystérieuse, poussant les scientifiques de tous bords à se pencher sur les techniques de construction et sur la qualité des matériaux utilisés.
Une équipe de chercheurs internationaux et interdisciplinaires, réunis sous l’égide du Laboratoire National Lawrence Berkeley (le « Berkeley Lab », rattaché au département américain de l’Énergie) aurait toutefois réussi à lever un pan du mystère. L’étude d’un échantillon du fameux mortier antique, combinant chaux et cendres volcaniques, à travers le prisme du synchrotron de l’ALS (Advanced Light Source), aurait révélé que la présence d’hydroxydes cristallins protégerait efficacement contre l’apparition des micro-fissures, et limiterait la propagation de celles-ci.
Cristaux de stratlingite lamellaire
La résistance du mortier aux micro-fissures serait en partie due à la cristallisation d’un minerai combinant des matériaux alumino-silicates et du calcium, le stratlingite lamellaire (équivalent du clinker, composant essentiel du ciment), renforçant aussi bien le matériau aux zones de contact que la matrice du ciment elle-même. Cette cohésion et cette résistance au long cours permettent au ciment de conserver un peu de son élasticité, un élément essentiel pour maintenir l’intégrité structurelle d’une construction dans un environnement à forte activité sismique.
Les matériaux utilisés par les Romains intéressent au plus haut point les scientifiques non seulement en raison de leur grande résistance et de leur durabilité, mais également pour des raisons énergétiques et environnementales. Le béton standard utilise le plus souvent comme liant du ciment Portland, un ciment composé principalement de silicates de calcium hydrauliques, nécessitant pour sa fabrication de passer par une étape de cuisson à 1450 degrés, un processus à la fois très gourmand en énergie et très polluant – importante source de gaz à effet de serre, la fabrication du ciment serait à l’origine de plus de 7 % des émissions totales de CO2 à l’échelle de la planète. Le ciment romain était lui bien moins énergivore, se contentant de chaux, de cendres volcaniques, d’eau et d’une cuisson à une température bien moindre, réduisant ainsi drastiquement l’impact environnemental. L’équipe scientifique aurait tenté à plusieurs reprises de reproduire un ciment équivalent, et il semblerait que certaines de ces tentatives aient été plus que probantes.
Cure interne du béton
Ce n’est pas la première fois que les vestiges de la Rome Antique (avec en premier lieu le Panthéon et sa coupole, 43 mètres de diamètre, la plus grande coupole de béton non-armé jamais construite au monde) mobilisent les chercheurs. D’autres ont auparavant essayé de percer les secrets de cette longévité. Un rapport du NIST (National Institute of Standards and Technology) avait déjà mis en avant les qualités du béton utilisé par nos illustres ancêtres. Selon ce rapport, le secret de cette longévité et de cette résistance tiendrait dans l’utilisation par les ingénieurs de l’époque d’un béton très léger qui aurait pris et se serait durci de l’intérieur. Ce béton, issu d’un procédé dénommé « cure interne du béton » (maintenir au contact du béton frais une humidité favorable à l’hydratation du ciment), donnerait de meilleurs résultats en terme de force, de résistance aux fissures et de durabilité.
Les qualités de ce béton proviendraient du remplacement d’une partie du sable et des pierres grossières habituellement mélangés au ciment pour élaborer le béton traditionnel, par de légers matériaux absorbants et pré-humidifiés, dispensant leur eau plus lentement et permettant la prise lente et interne. Bien que ce procédé coûte 10 à 12 % plus cher, il est rapidement amorti par sa longévité et ses frais d’entretien revus à la baisse – cette technique permettrait, selon le même rapport, de tripler la durée de vie d’un tablier de pont.
Par Rahman Moonzur
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