Face à la pénurie de main-d’œuvre qui touche le secteur agricole, pourquoi ne pas imaginer que des robots fassent le travail des hommes ? Depuis une quarantaine d’années, plusieurs travaux ont été menés en France et en Europe pour mettre au point des robots cueilleurs de fruits. Nécessitant l’emploi de plusieurs technologies de pointe, notamment en matière de détection et de géolocalisation, les robots cueilleurs de fruits ne sont pas des machines simples à concevoir. Entretien avec Gilbert Grenier, professeur à Bordeaux Sciences Agro, ingénieur agronome et expert en histoire de la robotique.
Techniques de l’Ingénieur : Quelle est la place des robots cueilleurs de fruits dans l’agriculture française ?
Gilbert Grenier : Je vais être très clair, il n’y en a pas. Ou quasiment pas. Les recherches sur ces robots ont commencé dans les années 1980, et certaines sont même allées relativement loin. En 1985, le robot cueilleur Magali a été lancé en France. Il avait été développé par le Cemagref Montpellier (l’actuel Inrae, NDLR) et la société Pellenc SA pour cueillir des pommes. Au début des années 1990, un autre projet avait été porté en collaboration avec un laboratoire de recherches situé à Valence (Espagne) pour mettre au point un robot cueilleur d’agrumes, nommé Citrus. À ma connaissance, il n’y a pas eu de projet similaire sur notre territoire depuis lors.
Pour quelles raisons Magali et Citrus n’ont-ils jamais été déployés à grande échelle ?
Ces deux robots n’ont jamais été commercialisés à cause de plusieurs verrous technologiques qui existaient à cette époque. Premièrement, il y avait un problème de vision : les caméras de cette période n’étaient pas aussi performantes qu’aujourd’hui. Deuxièmement, l’informatique était très pauvre en matière de puissance de calcul. Troisièmement, il y avait des soucis de géolocalisation, car il n’y avait pas encore de GPS.
Aujourd’hui, le recours aux robots cueilleurs de fruits pourrait-il avoir un intérêt pour les arboriculteurs ?
Aujourd’hui, nous avons atteint des niveaux de maturité sur plusieurs points. De plus, nous avons à l’heure actuelle une problématique sociétale qui n’existait pas dans les années 1980, celui de la disponibilité de la main-d’œuvre. Il est parfois difficile de trouver des personnes qui connaissent les bons gestes techniques. En effet, cueillir une pomme n’est pas quelque chose de si évident ! Pour aller chercher un fruit sur un arbre, c’est toute une histoire. Pour aller le chercher là où il se trouve, il faut avoir une grande capacité de détection en 3D. Les agriculteurs français peinent à trouver des cueilleurs sur le territoire, et font appel à des travailleurs du Maghreb ou d’Europe de l’Est. À l’heure actuelle, les arboriculteurs seraient prêts à avoir des robots, ce qui n’était pas le cas il y a trente ou quarante ans.
Dans ce cas, quels sont les freins actuels au développement et à la commercialisation de nouveaux robots cueilleurs ?
Pour que ces appareils voient le jour, il faudrait qu’un industriel ose se lancer. Il lui faudrait savoir intégrer le marché, et faire en amont de massifs investissements en recherche et développement pour mettre au point un outil. Idéalement, il faudrait qu’un consortium d’entreprises développe cette activité.
Pourraient-ils complètement se substituer à la main-d’œuvre ?
Je ne le pense pas. On pourrait plutôt imaginer que ces robots se développent en cobotique (une collaboration de l’homme avec le robot, NDLR). Cela signifie qu’il y aurait une plateforme mobile sur laquelle les cueilleurs manuels effectueraient les tâches les plus difficiles, et que des bras robotisés fassent le reste. Ces bras seraient des robots manipulateurs qui iraient récolter les fruits un par un. Il faudrait probablement entre une et trois secondes pour que la machine ramasse un fruit. Ainsi se posent les questions de rentabilité. De plus, il est clair qu’il faudrait que plusieurs bras soient déployés sur une même cueillette pour accroître le rendement. Or, cela aurait un coût considérable.
L’exemple de « Robocrop », le robot britannique cueilleur de framboises qui serait capable de ramasser jusqu’à 25 000 fruits par jour, est-il prometteur pour l’ensemble de la filière arboricole ?
Pour que l’utilisation d’un robot soit pertinente, il faut que le fruit ait une réelle valeur ajoutée commerciale. Cela est d’autant plus vrai lorsque ce dernier est petit, parce qu’il faut davantage de gestes pour remplir un panier. Je ne crois pas qu’il y ait un intérêt à utiliser ce type de machine pour des variétés de fruits vendus à bas prix. Pour qu’il ait un intérêt, le robot doit pouvoir récolter autant de fruits qu’un cueilleur, pour un tarif qui n’excède pas celui de la main-d’œuvre humaine.
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