Les ravines observées sur Mars seraient produites par l'action de la glace de CO2 en hiver ou au printemps, et non par des écoulements d'eau liquide, comme avancé jusqu'ici. C'est la conclusion d'une étude menée par deux chercheurs français qui montrent que sous la glace de CO2 chauffée par le Soleil, d'intenses mouvements de gaz peuvent déstabiliser et fluidifier le sol jusqu'à créer des coulées semblables à celles générées par un liquide.
Depuis 2000, les caméras embarquées sur les satellites en orbite autour de la planète Mars nous ont envoyé de multiples images montrant la présence de chenaux et de cônes de débris, semblables à ceux créés sur Terre par l’action de l’eau liquide sur les pentes d’éboulis, avec parfois un parcours sinueux. La formation de ces ravines semblait récente, âgées de quelques millions d’années à seulement quelques années. Elles relançaient l’idée que des quantités non négligeables d’eau liquide potentiellement propice à une forme de vie pouvaient se former sur la planète Mars aujourd’hui.
Le rôle de l’eau liquide dans la genèse des ravines a récemment été remis en question par des clichés de la sonde Mars Reconnaissance Orbiter de la NASA. Ils ont révélé la formation de nouveaux chenaux, à des saisons où les températures sont beaucoup trop basses pour imaginer que de l’eau, même salée, puisse contribuer à un écoulement liquide. Par contre, le creusement des nouveaux chenaux semblait se dérouler lorsque que de la glace carbonique (formée par la condensation de l’atmosphère de CO2 sur la surface pendant l’hiver martien) était présente. Peut-on lier les deux phénomènes ? Si oui, comment expliquer qu’une fine couche de glace carbonique de quelques dizaines de centimètres d’épaisseur puisse créer des coulées de dix à vingt mètres de largeur, bordées par des amoncellements d’éboulis atteignant un mètre de haut ?
Pour mieux comprendre les processus physiques liés à la condensation et la sublimation du CO2, Cédric Pilorget, chercheur à l’Institut d’Astrophysique Spatiale (CNRS/Université Paris-Sud) et François Forget, chercheur CNRS au Laboratoire de météorologie dynamique (UPMC/ENS Paris/CNRS/Ecole polytechnique), ont créé un simulateur numérique de l’environnement sur différentes pentes de la planète Mars. Du sous-sol à l’atmosphère, ce modèle prend en compte les échanges thermiques par rayonnement, par conduction, ou induit par les changements de phase du CO2. Ceci permet de simuler l’évolution du CO2 sous toutes ses phases au cours d’une année martienne, notamment sur la surface et dans les pores et les interstices du sous-sol.
A quelques centimètres sous les pentes martiennes sur lesquelles le CO2 se condense, on trouve toujours un « pergélisol » formé de grains cimentés par de la glace d’eau. Ainsi lorsque la glace de CO2 se condense sur le sol en hiver, l’air présent dans les pores et interstices du sous-sol immédiat se retrouve confiné, pris en sandwich entre le pergélisol étanche et la couche de glace de CO2 à la surface.
Dans ces conditions, les simulations numériques de Cédric Pilorget et François Forget ont révélé des phénomènes étonnants. A la fin de l’hiver et au printemps, les rayons du Soleil passent au travers de la couche de glace de CO2 translucide et la chauffe par la base. La glace de CO2 ne fond pas, mais se « sublime », en passant directement en phase gazeuse. Le gaz produit se diffuse dans le proche sous-sol poreux. Une partie peut s’y recondenser tandis que le reste du gaz s’accumule dans l’espace poreux restant, augmentant considérablement la pression dans le proche sous-sol, jusqu’à plusieurs fois la pression atmosphérique. Cette surpression finit par fracturer la glace de surface, ce qui génère une violente décompression. Les pores du sous-sol sont alors traversés de puissants flux d’air liés à l’évacuation du surplus de gaz et à la sublimation rapide de la glace de CO2 du sous-sol. En quelques minutes, voire quelques secondes, plusieurs mètres cubes de gaz (voire même plusieurs dizaines de mètres cubes au niveau des fractures) diffusent verticalement vers la surface. De tels flux sont capables de déstabiliser les grains situés sur les pentes et ainsi de provoquer des éboulements et des coulées. Surtout, la pression du gaz peut entraîner une véritable fluidification de l’avalanche, et lui donner les propriétés d’un écoulement liquide.
Un tel phénomène est sans équivalent sur Terre. On peut cependant le rapprocher de certaines coulées pyroclastiques générées pendant les éruptions volcaniques lorsque des avalanches de blocs et de débris sont déclenchées et fluidifiées par les gaz de l’éruption. On a observé que sur des pentes parfois très faibles ces écoulements pouvaient parcourir plusieurs kilomètres en transportant des blocs de plus d’un mètre de diamètre, et en formant des « levées » latérales de tailles analogues à celles des ravines martiennes. Les chercheurs estiment que les ravines martiennes ne se forment que lorsque les conditions sont réunies pour déclencher l’instabilité, de même que sur Terre chaque pluie ne déclenche pas un éboulement de débris.
Le modèle des deux chercheurs français explique également pourquoi les ravines martiennes sont observées entre 30° et 60° de latitude, sur quelques pentes jusqu’aux pôles, et qu’en deçà de 45° les ravines ne se trouvent quasiment que sur les pentes orientées vers les pôles : le phénomène de surpression et de fluidification a précisément lieu là où les ravines sont observées.
Tout indique donc que l’exposition au soleil de la glace de CO2 déposée en hiver par la condensation de l’atmosphère sur les reliefs martiens est à l’origine d’une partie des ravines de la planète Mars -et peut-être de toutes- via un phénomène sans équivalent sur notre planète. L’eau liquide ne serait pas impliquée dans la formation des ravines. Ces travaux remettent donc en question l’idée que ces régions aient pu être propice à la vie dans un passé récent.
Source : cnrs
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