Le dégel du permafrost s’accélère. Et sous l’effet du réchauffement climatique, les plantes se développent. Leurs racines favorisent la décomposition de la matière organique du sol via l’action de microorganismes. C’est ce que les scientifiques appellent « effet priming ». Pour la première fois, une étude publiée dans Nature Geoscience estime la contribution de cet effet priming aux émissions de carbone issues du permafrost. « C’est un effet qui joue déjà un rôle sur les émissions de CO2 mais que l’on ne compte pas encore dans notre budget carbone, alerte Frida Keuper, écologue à INRAE et auteure principale de l’étude. Nous pensions qu’il s’agissait de faibles interactions qui n’étaient pas importantes, mais nous avons montré qu’elles n’étaient en réalité pas du tout marginales. »
Différentes études évaluent que le dégel du permafrost entraînera l’émission de 50 à 100 gigatonnes de carbone d’ici 2100. En comparaison, le budget carbone restant des activités humaines pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C est estimé à 200 gigatonnes de carbone d’ici 2100. Le souci est que ce budget ne tient pas compte des processus de rétroaction naturels qui émettent du carbone, comme l’effet priming induit par le dégel du permafrost. « Jusqu’ici, les modélisations ne prenaient pas en compte les émissions liées à la présence de plantes, prévient Frida Keuper. Notre étude montre que l’effet priming n’est pas du tout négligeable, mais joue un rôle majeur, à l’origine de l’émission d’environ 40 gigatonnes de carbone supplémentaires par rapport aux prédictions actuelles d’ici 2100. »
L’effet priming, grand oublié des modèles climatiques
Contrairement aux idées reçues, la majeure partie de la zone de pergélisol nordique présente une toundra florissante ou une végétation forestière. Elle pourrait devenir de plus en plus active et productive à mesure que la planète se réchauffe. On sait depuis les années 1950 que les plantes peuvent accélérer la décomposition de la matière organique du sol près de leurs racines, mais les modèles climatiques ne prennent pas cela en compte.
Au fur et à mesure que les plantes poussent dans la toundra, leurs racines s’enfoncent en effet dans le pergélisol en train de dégeler. Les microbes utilisent les sucres simples fournis par les plantes pour décomposer rapidement la matière organique du sol. Lorsque celle-ci se décompose, du carbone est libéré dans l’atmosphère.
Le pergélisol s’étend sur près d’un quart de l’hémisphère nord et stocke de grandes quantités de carbone organique. L’une des plus grandes incertitudes des projections climatiques mondiales concerne la dégradation de cette matière organique en gaz à effet de serre après le dégel du pergélisol. Cette boucle de rétroaction positive pourrait encore accélérer le réchauffement climatique.
Croiser les cartes pour mieux évaluer l’effet priming
Les chercheurs ont croisé plusieurs bases de données à grande échelle sur la région circumpolaire arctique concernant l’activité des plantes et les quantités de carbone dans le sol. « Nous avons mené deux méta-analyses pour modéliser d’une part la relation entre l’effet priming et l’activité des plantes, et d’autre part la distribution des racines dans le sol. Cela nous a conduit à un modèle permettant d’évaluer l’effet priming dans le permafrost d’ici 2100 dans les conditions actuelles et sous les scénarios RCP 4.5 et RCP 8.5 du GIEC, explique Frida Keuper. Notons que les émissions futures n’ont pas une grande influence sur les résultats : les émissions induites par l’effet priming du permafrost d’ici 2100 sont évaluées à 40 Gt de carbone selon le scénario RCP 8.5, le plus pessimiste, et à 38 Gt selon le scénario médian du GIEC RCP4.5. »
Cette première estimation comprend de nombreuses incertitudes L’intervalle de confiance s’échelonne de 6 à 80 gigatonnes de carbone. De nombreux paramètres susceptibles d’influencer l’effet priming n’ont pas pu être inclus dans le modèle en raison du manque de données d’observation. « Il est important de reconnaître qu’il s’agit d’une première estimation qui comprend de nombreuses incertitudes qu’il faudra réduire », conclut humblement Frida Keuper.
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