De là à imaginer des yeux aux plantes, il a fallu gravir plusieurs échelons de compréhension de la sphère botanique. Tout a débuté avec l’observation par les scientifiques de plantes croissant en suivant la direction du Soleil – on parle aujourd’hui de phototropisme. Puis, des recherches ont mis en avant la présence de photorécepteurs chez les plantes avec les phytochromes, les cryptochromes ou encore les phototropines. A suivi un rapport faisant état d’une espèce de vigne chilienne dont les feuilles seraient capables d’imiter celles de différentes espèces de plantes. Une possibilité étonnante, qui pourrait s’expliquer par une première capacité visuelle mise en évidence dans le domaine de la botanique. Et voilà la quête des yeux chez les plantes enfin lancée…
Des yeux composés des insectes à l’œil composé des plantes
Chez les insectes, les yeux composés ont des allures de masque d’escrime. Ils se composent de multiples unités fonctionnelles, appelées des ommatidies – des récepteurs visuels indépendants. Or, même les plus jeunes pousses de branches d’un arbre sont riches de nombreux photorécepteurs. Les plantes seraient potentiellement couvertes de petits yeux ! Chacun d’entre eux étant capable de discriminer l’ultraviolet, le bleu, le vert, le rouge, le jaune et la polarisation du rayonnement solaire. C’est du moins l’idée avancée par Yi Lin, chercheur à la School of Earth and Space Sciences de l’université de Pékin (Chine). Ce dernier propose ainsi de modéliser la vision chez les plantes comme provenant d’un œil composé, à la manière des insectes. Pour une validation préliminaire de son modèle, le scientifique a testé les points clés de sa faisabilité en termes de support structurel, de chemin emprunté par l’information visuelle et de performance fonctionnelle. Les résultats de son travail ont donné lieu à une publication dans le journal Advanced Science le 24 octobre 2023.
Le premier résultat prenait comme exemple clé le cas des plantes ligneuses. En effet, les cimes des arbres montrent des profils autosimilaires, c’est-à-dire qu’elles conservent leur forme, quelle que soit l’échelle d’observation choisie. Cette particularité a l’avantage de rendre leurs surfaces omnidirectionnelles. Un bon support structurel pour le modèle de Yi Lin. Le second résultat mettait en avant la ramification des plantes. Chez plusieurs espèces, elle se conforme au front de Pareto – une notion due à l’économiste italien Vilfredo Pareto (1848-1923). La ramification suit ainsi l’ensemble des optima de Pareto, c’est-à-dire que chaque branche est positionnée de sorte à capter un maximum de ressources solaires sans réduire celle reçue par les autres branches. Ceci assure un cheminement de l’information visuelle optimal. Le troisième résultat du chercheur pointait vers les canopées. On y observe un phénomène qualifié de manière anthropocentriste par des chercheurs australiens dans les années 1960 de crown shyness (« timidité des cimes »). Des arbres maintiennent ainsi entre eux, voire entre leurs propres branches, une certaine distance qui s’accorde avec la vision panoramique fonctionnelle du modèle.
Finalement, Yi Lin a passé cette première validation et ouvert la voie à de futures analyses basées sur son modèle d’œil composé chez les plantes.
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