Le 30 novembre dernier, l'Anses tenait son colloque annuel sur la santé des abeilles. Avec pour thème « impact de la co-exposition aux facteurs de stress», suite à la parution de son avis « relatif aux co-expositions des abeilles aux facteurs de stress », il a pointé le rôle déterminant des pesticides dans le syndrôme d'effondrement des abeilles.
« Les experts soulignent le caractère souvent multifactoriel des causes de mortalités des colonies d’abeilles mais insistent tout particulièrement sur l’importance de leur co-exposition aux pesticides et aux agents biologiques dans le déterminisme de leur effondrement », conclue l’Anses dans son avis. « La présence de nombreux agents infectieux (parasites dont Varroa en tout premier lieu, bactéries, champignons, virus) au sein des colonies, souvent asymptomatiques au départ, et leur exposition aux pesticides de diverses origines et mécanismes d’action (insecticides, fongicides et acaricides en particulier) entraînent selon toute vraisemblance le passage d’un état de santé normal à l’expression de pathologies conduisant à l’effondrement de la colonie.» prévient l’agence.
Vraisemblablement, les colonies d’abeilles sont désormais très largement porteuses de différents agents infectieux, même lorsqu’elles ne présentent aucun symptôme. Les pesticides apporteront le dernier élément de stress nécessaire pour les destabiliser, faisant apparaître des troubles, en abaissant l’immunité individuelle ou sociale de la colonnie, ou en diminuant les mécanismes de détoxication des abeilles. « Certaines substances, comme des néonicotinoïdes ou des acaricides, peuvent avoir un effet sur la cohésion de la colonie et le comportement hygiénique des ouvrières, et donc sur les risques infectieux et parasitaires », résument les experts.
Vers la mise en place d’un rucher de référence ?
Le groupe de travail souligne qu’il est extrêmement difficile de définir un « état de santé normal » pour les abeilles ou leurs colonies. De nombreux facteurs entrent en jeu, notamment la région géographique et son climat, l’environnement agricole et floristique. Les facteurs de stress sont eux aussi multiples et peuvent interagir entre eux. « Facteurs biologiques, chimiques, alimentation, pratiques apicoles, conditions métérologiques, facteurs physiques », pour citer les principaux. L’abondance et la diversité de l’alimentation et des ressources environnementales jouent un rôle important sur la santé et la tolérance des abeilles à d’autres facteurs de stress, notamment chimiques et biologiques.
L’Anses recommande donc la mise au point d’études épidémiologiques sur les interactions entre les différents facteurs de stress en situation naturelle, notamment la création d’un réseau de ruchers de référence, qui maillerait au mieux le territoire. « Ces ruchers permettraient sur la base d’une collecte standardisée de données de population et de production, de définir des référentiels régionaux pour les différents acteurs », notent les experts. Dans chaque région, ces ruchers de référence permettraient de définir un état de santé moyen « normal » des colonies d’abeilles en fonction du temps et de l’environnement, afin de définir des facteurs de risques propres à chaque région. Ces ruchers de référence permettraient de mieux documenter et comprendre le « portage asymptomatique des colonies », ces colonies qui semblent saines malgré les nombreux facteurs de stress qu’elles subissent. Il sera ainsi possible de comparer les niveaux d’agents infectieux présents dans les ruchers asymptomatiques avec les niveaux observés dans les colonies affaiblies, pour mieux comprendre le rôle de chaque agent infectieux dans l’apparation de troubles. Dans ce cadre, l’agence souligne également l’intérêt d’utiliser et de maintenir des populations d’abeilles adaptées aux conditions locales. Cette proposition est saluée par l’ensemble des acteurs.
Une évolution des AMM des pesticides?
Les experts recommandent de revoir les procédures d’évaluations pré et post autorisation de mise sur le marché (AMM) des pesticides. Ils proposent notamment l’intégration systématique de tests pour évaluer les effets de co-exposition possibles du pesticide testé avec une molécule acaricide anti-Varroa et un fongicide connu pour inhiber les mécanismes de détoxication des abeilles. Si le pesticide est un insecticide, ils recommandent en plus de tester la co-exposition avec un autre insecticide ayant un même mode d’action. L’anses recommande aussi un suivi pesticides – pesticides après mise sur le marché. « Ces propositions devraient être discutées au niveau européen, leur mise en oeuvre effective nécessitant leur intégration au cadre réglementaire européen », soulève l’Anses.
Mais ce n’est pas tout. Dans le cadre de la phytopharmacovigilance post-AMM, l’Anses propose d’utiliser les données issue du rucher de référence pour identifier les pesticides favorisant le développement de certains agents infectieux et parasitaires ou modifiant le caractère des abeilles. Dans le cadre de chaque procédure de rééxamen des conditions d’autorisation, il conviendra alors de tester le pesticides en question en co-exposant les abeilles à ce pesticide et à des agents infectieux et parasitaires répandus pour identifier les effets potentiels.
Lors du colloque de l’Anses, Ronan Vigouroux, Responsable environnement de l’Union des industries de la protection des plantes (UIPP) s’est opposé à ces propositions. « Nous ne sommes pas d’accord avec cette co-évaluation […] parce qu’elle va entraîner un nombre très très important de combinaisons possibles». « Nous nous opposons à une surenchère réglementaire européenne et française qui va bloquer le système d’innovation», affirme-t-il. De leur côté, les apiculteurs et les associations environnementales la plébiscitent.
Par ailleurs, pour préserver la santé des abeilles, l’Anses recommande de maintenir la biodiversité, respecter les bonnes pratiques apicoles, minimiser les traitements chimiques grâce à l’agro-écologie et la zootechnie.
Par Matthieu Combe, journaliste scientifique
Les pesticides sont tellement présents dans l’environnement des territoires, partout, que la notion de ruchers de référence ne me parait pas claire, sauf à les positionner en forêt domaniale ou dans les coeurs de parcs nationaux, ce qui serait très particulier. Par ailleurs, les nouvelles régions n’ont pas la compétence environnementale dans leurs priorités, il est peu probable que le financement soit facile à boucler.
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