En matière de surveillance de la qualité de l’air, le développement d’outils de modélisation et de cartographie est incontournable. Car si les instruments de mesure déployés par les AASQA (Associations agréées de surveillance de la qualité de l’air) sont capables d’observer de manière fiable et normalisée les concentrations en polluants, leur nombre limité ne permet en aucun cas de couvrir un territoire aussi vaste que la France. Par ailleurs, en plus de reconstituer en temps réel la qualité de l’air, ces représentations numériques sont également indispensables pour réaliser des prévisions à court et long terme, afin d’informer le public, mais aussi pour mieux appréhender le futur.
Depuis une vingtaine d’années, l’Ineris et le CNRS ont développé un modèle baptisé Chimère, disponible aujourd’hui en open source. Il alimente, entre autres, la plate-forme nationale Prev’Air de prévision de la qualité de l’air, celle-ci faisant partie intégrante du dispositif français de surveillance. Ce modèle repose sur des données entrantes, issues de trois sources différentes. Tout d’abord, celles collectées par le CITEPA (Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique), un organisme dont le rôle est d’inventorier les émissions de tous les polluants atmosphériques ainsi que les gaz à effet en France liés à l’activité humaine (trafic routier, industrie, agriculture, résidentiel…). Ensuite, les données de météorologie (vent, précipitation…) afin d’appréhender la dispersion des polluants. Et enfin, les émissions naturelles telles que les poussières désertiques du Sahara, ainsi que tous les composés émis par la végétation. Régulièrement, ce modèle est confronté aux mesures officielles effectuées par les AASQA.
Des algorithmes pour intercalibrer les mesures de nouveaux capteurs
Afin d’améliorer la représentation spatiale des cartographies de polluants, de nouveaux outils numériques sont en cours de développement et la tendance aujourd’hui est à la conception de modèles hybrides, qui intègrent les trois types de données entrantes ci-dessus, ainsi que des observations du terrain. Et notamment, les analyses issues de nouveaux instruments de mesure miniaturisés, dont l’utilisation est aujourd’hui en plein essor. « Nous avons développé un nouvel outil appelé SESAM qui prend en compte ces nouveaux capteurs, révèle Augustin Colette, responsable de l’unité modélisation de la qualité de l’air à l’Ineris. Étant donné qu’ils sont moins précis que les instruments officiels, on s’intéresse à eux non pas individuellement, mais en termes de réseau. Plusieurs centaines d’entre eux peuvent être présents sur une même zone. Certains sont installés sur des véhicules comme des taxis et sont donc mobiles, ce qui signifie qu’ils peuvent se croiser. Ils peuvent aussi s’approcher des stations de références des AASQA, et dans ce cas, il est possible de comparer leurs mesures avec les instruments réglementés. Grâce à ce réseau, nous parvenons à les intercalibrer à l’aide de méthodes algorithmiques spécifiques et ainsi améliorer nos cartographies. »
Grâce à des travaux de recherche débutés il y a une quinzaine d’années, les modèles commencent aussi à s’enrichir en données satellitaires. De nombreux constituants atmosphériques peuvent en effet s’observer depuis l’espace, comme les aérosols, le dioxyde d’azote, l’ozone, l’ammoniac… « Nous sommes sur le point de les intégrer dans nos outils opérationnels, déclare Augustin Colette. Toute la difficulté est que les satellites actuels sont défilants, c’est-à-dire qu’ils ne couvrent pas en permanence une zone donnée. Mais tout va changer en 2024 ou 2025, avec l’arrivée de satellites géostationnaires du programme Copernicus. Grâce à ces données à haute fréquence temporelle, nous allons vraiment avoir des observations pertinentes pour un système de modélisation futur qui nous permettra de baisser les incertitudes de mesure. Les prévisions météo ne sont en effet pas toujours justes, de même que les inventaires du CITEPA, dans lesquels il peut parfois manquer certaines émissions polluantes. Grâce à ces données satellitaires, il sera possible de corriger ces erreurs en temps réel. »
Mieux représenter les aérosols condensables dans l’atmosphère
En attendant, les modèles actuels s’enrichissent grâce à l’amélioration des connaissances sur la chimie de l’atmosphère, notamment dans le domaine des poussières en suspension. Certaines d’entre elles sont directement émises sous la forme de poussière solide, mais l’on sait à présent que d’autres se forment par condensation, sous l’effet de mécanismes physico-chimiques dans l’atmosphère. C’est le cas des aérosols issus du chauffage au bois résidentiel. « Une grande partie des émissions n’a pas lieu sous la forme solide lors de la combustion, mais se solidifie après dans l’atmosphère, analyse Augustin Colette. Depuis 5 ans, nous avons beaucoup investi dans ce domaine, et nous avons très nettement amélioré la manière dont nous représentons les aérosols condensables dans nos modèles. »
Ces outils numériques comprennent plusieurs centaines de polluants différents, mais seuls quelques-uns sont exploités, comme l’ozone, le dioxyde d’azote, les particules PM10 (inférieures à 10 micromètres) et PM2,5 (inférieures à 2,5 micromètres). « Ces quatre polluants sont ceux sur lesquels nous avons le plus confiance dans le résultat obtenu, ajoute Augustin Colette. Nous en modélisons d’autres, mais les incertitudes sont plus grandes. Nous travaillons en ce moment afin de tenter de rajouter les pesticides. Concernant le monoxyde de carbone, nous ne le modélisons pas, car ce polluant se cantonne essentiellement à l’intérieur des bâtiments. Quant au dioxyde de soufre (SO2), il est pertinent de le mesurer à proximité de sites industriels, et non pas dans des modèles de cartographie qui s’appliquent à de vastes territoires grands comme la France. »
Cet article se trouve dans le dossier :
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