A la fois intégrateur et opérateur global de solutions de mobilités, Transdev croit fermement que le déploiement des véhicules autonomes doit se réaliser dans un premier temps au niveau des transports partagés, notamment afin de proposer une extension des services déjà existants. C’est pour cette raison que l’entreprise a créé une équipe dédiée sur le sujet.
Patricia Villoslada, directrice des Systèmes de transport autonome chez Transdev, groupe international de transport public depuis 2016, a répondu aux questions de Techniques de l’Ingénieur quant à l’évolution en cours des mobilités et les défis technologiques qui les sous-tendent.
Techniques de l’Ingénieur : Vous dirigez l’équipe en charge des systèmes de transport autonome chez Transdev. Quelle est la mission de votre équipe ?
Patricia Villoslada : Notre rôle, en premier lieu, consiste à fournir aux opérateurs de transport les solutions pour qu’ils puissent opérer des flottes de véhicules autonomes.
Pour cela, nous avons développé des technologies et des services dont le logiciel de supervision des véhicules autonomes, et tous les services d’accompagnement avant et pendant l’exploitation. En amont, nous faisons des études techniques, des tests sur place, nous nous assurons que les véhicules communiquent correctement avec la supervision, avec les feux connectés s’il y en a… Ensuite, pendant l’exploitation, nous sommes en support de l’opérateur, à distance ou sur site si nécessaire.
Votre équipe a été mise en place en 2016, mais Transdev travaille sur le véhicule autonome depuis 2005. En quoi consistait ce travail ?
En 2005 a en effet démarré le premier service dans lequel était impliqué Transdev autour des véhicules autonomes. Il s’agit d’un projet à Rotterdam, avec des navettes autonomes, opérées par Transdev Pays-Bas. Le service, qui continue encore aujourd’hui, se déroule en environnement protégé, avec des barrières autour des voies utilisées, et des éléments magnétiques enfouis dans la chaussée, pour assurer la localisation des véhicules. Il s’agissait alors d’une première génération de véhicules autonomes. Ce projet a vu le jour avant la création de l’équipe en 2016, mais il est évident que nous nous sommes appuyés sur toute l’expérience acquise par les équipes de Transdev impliquées. Les nombreux projets menés depuis 2016 nous ont aussi permis de développer des compétences et une expertise sur tout un ensemble de sujets : gestion de flottes, comportement des passagers, interopérabilité…
Depuis, nous avons en effet accompagné près de 50 opérations au total au niveau mondial.
Quels sont les challenges aujourd’hui en ce qui concerne le transport autonome ?
Aujourd’hui, on ne peut pas encore retirer les « safety operators » (opérateurs présents dans les véhicules pour suivre son fonctionnement et intervenir le cas échéant). Le modèle économique ne trouve pas son équilibre comme cela. Par ailleurs, les navettes actuelles, qui évoluent à 20 km/h, limitent les performances en termes de temps de trajet. Ce sont les deux grands axes d’amélioration sur lesquels nous travaillons aujourd’hui.
Il était nécessaire de passer par ces différentes étapes, et nous devons désormais passer à l’étape suivante, qui est de pouvoir opérer des navettes autonomes sans safety operators, et qui soient plus rapides. Il faut commencer à le faire dans des conditions simples, sur des voies identifiées, avec peu de véhicules et le moins de contraintes – feux, imperfections de la route… – possibles. Pour aller dans un second temps vers des situations de plus en plus complexes.
Nous devons encore, de manière globale au niveau du secteur, faire la démonstration de la sécurité du système. Cela dit, nous développons actuellement les solutions qui vont permettre d’opérer des navettes autonomes sans « safety operator » et à plus de 20 km/h d’ici 2025. C’est notre objectif.
Qu’est-ce que tout cela nous dit sur l’évolution des mobilités ?
Remplacer les transports collectifs existants par des véhicules autonomes plus petits ne peut pas fonctionner. Au contraire, cela créerait une congestion du trafic encore plus importante. La solution passe par le fait de garder les axes structurants d’aujourd’hui (modes ferrés, trams, lignes de bus) et d’ajouter des navettes autonomes dans les espaces peu desservis ou non desservis aujourd’hui faute de fréquentation suffisante. En bref, le déploiement de navettes autonomes permettra une extension de service pour les passagers.
Ensuite, l’idée est également de faire fonctionner ces navettes autonomes pendant les heures creuses, et pendant la nuit. Ce qui n’est pas possible aujourd’hui pour une question de coût le sera avec les navettes autonomes.
Pourquoi ?
Une fois l’investissement de déploiement réalisé, l’exploitation des systèmes de transport autonome est peu onéreuse : le coût supplémentaire de les faire fonctionner la nuit ou pendant les heures creuses est marginal, et ce même si la demande est relativement faible. On pourrait donc imaginer une complémentarité entre les transports publics existants, qui continueraient à fonctionner, et qui seraient suppléés par des navettes autonomes la nuit ou pendant les heures creuses.
C’est cette complémentarité entre les transports publics existants et les navettes autonomes qui est expérimentée actuellement ?
Oui tout à fait. Beaucoup de personnes prennent leur voiture pour aller travailler car ils habitent loin de la station de train, ou que cette dernière est peu desservie par les bus par exemple.
La navette autonome, en proposant ce service, peut permettre de faire évoluer les choses et participer au désengorgement du trafic dans les centres urbains.
C’est ce type de solution que nous testons actuellement, par exemple à Rouen où nous avons un projet important [i] : nous avons expérimenté un transport à la demande à partir d’un arrêt de métro. Il s’agit en fait d’une extension géographique du service de transport en commun. Une fois ce service déployé, il faut évaluer dans quelle mesure il est efficace et adopté par les habitants.
De même, à Paris-Saclay où nous sommes impliqués dans un autre projet du même type [ii] : il y a toujours des voyageurs qui arrivent en gare de Massy, de nuit, alors que les bus ne circulent plus. D’où la perspective de mettre en place entre la gare de Massy et le plateau de Saclay un service de transport autonome complémentaire. Avec encore une fois la volonté d’étendre le service, ici de manière temporelle, pour en améliorer sa cohérence et son efficacité globale.
Pensez-vous que l’extension des services ainsi développée au niveau des transports publics va faire diminuer l’usage des véhicules individuels ?
Notre vision, ce n’est pas que les véhicules autonomes vont remplacer les modes de transport lourds existants : les deux vont cohabiter, et coexister de manière complémentaire pour offrir plus de services aux voyageurs. Certaines lignes de bus, aujourd’hui, ne sont pas mises en place parce qu’elles coûteraient trop cher. La baisse des coûts d’exploitation liée à la mise en place de véhicules autonomes partagés peut être une solution à ces contraintes de rentabilité. Elle rend possible la mise en place de nouveaux services.
Le déploiement de ces services de transports autonomes peut permettre d’améliorer la qualité des transports publics tout en faisant diminuer l’usage des véhicules individuels. Par contre, nous n’imaginons pas que les navettes autonomes remplacent les modes lourds ou les véhicules individuels, elles viennent dans ce format plutôt en complément de ce qui existe déjà.
Aujourd’hui les navettes déployées sont de petite taille, si on les compare aux bus qu’on a l’habitude de voir circuler. Peut-on imaginer des véhicules autonomes ayant une capacité de transport plus importante ?
Nous avons à l’heure actuelle beaucoup de cas d’usages autour des navettes autonomes. Dans le futur, il est certain que nous verrons apparaître des bus autonomes, avec une plus grande capacité de transport. Il y aura alors un mélange entre ces différents gabarits de véhicules autonomes complémentaires, toujours dans le but de proposer plus de services aux voyageurs.
Peut-on se projeter sur une mobilité future où l’usage du véhicule personnel devient rare ?
Ce que je pense, c’est que si nous parvenons, dans le futur, à proposer un système de transport en commun encore plus efficace, notamment grâce à l’usage des véhicules autonomes, les usagers de la route utiliseront moins leurs véhicules personnels.
Après, ce n’est là qu’un des scénarios possibles. Pour aboutir à ce que l’on vient d’évoquer, il faudra qu’une politique – au sens générique du terme – se mette en place autour de cette vision. Il faudra aussi que les habitants adoptent ces nouveaux services, même si nous avons de bons retours aujourd’hui sur la confiance dans les navettes autonomes partagées que nous opérons. Il est évident qu’une part de la population pourra vouloir conserver un véhicule personnel par exemple… Il n’est donc pas exclu que la mise en place de services de transports autonomes se fasse de manière hétérogène. A l’international aussi, il faudra voir au cas par cas les tendances qui se dessinent autour de ces nouveaux usages.
L’évolution des mobilités englobe également les services connexes disponibles pour les usagers pendant leur transport. Que peut-on imaginer à ce niveau-là ?
C’est une question que nous nous posons régulièrement. Il faut bien prendre en compte le fait qu’un transport en commun autonome ne sera jamais la même chose qu’un véhicule personnel autonome. Les transports en commun sont partagés, par définition. Quand vous êtes dans un véhicule qui n’est que pour vous, que ce soit un taxi ou votre propre véhicule, il est possible d’imaginer des services à bord plus personnalisés… Pour autant, les exigences des passagers quant à la connectivité, le confort, l’information, sont de plus en plus importantes et ce sont des attentes que nous prenons évidemment en compte dans la définition de notre expérience client.
Le choix de Transdev de miser sur les navettes autonomes répond à cette volonté d’extension des services de transport. Comment appréhendez-vous le développement des taxis autonomes et autres véhicules autonomes individuels ?
Le véhicule autonome individuel existera sans doute, même si cela prend plus de temps que ce qui avait été imaginé au départ par l’industrie. Après, il faut bien comprendre que les bénéfices que nous en attendons, notamment au niveau des villes, ne sont pas automatiques. Il faut une véritable politique de mobilité, pensée en amont, pour que ce qui sera mis en place apporte les bénéfices attendus, au niveau de la diminution de la congestion notamment. Le robot taxi individuel seul n’est de ce point de vue pas la bonne réponse, selon nous. Des véhicules autonomes de petites ou grandes tailles, bien intégrés au réseau de transport public existant, c’est selon nous la réponse qu’il faut apporter, et celle sur laquelle nous travaillons. Si nous arrivons grâce aux véhicules autonomes à convaincre une partie des autosolistes, alors le pari sera gagné. Et les bénéfices seront multiples : au niveau des déplacements, de l’environnement, de la connectivité, des espaces urbains… Mais il faut pour cela que cette évolution soit anticipée.
Propos recueillis par Pierre Thouverez
[i] Il s’agit du Rouen Normandy Autonomous Lab démarré en 2017 et dont les partenaires sont : le Groupe Caisse des Dépôts, la Métropole Rouen Normandie, la Région Normandie, le Groupe Transdev, le Groupe Renault, le Groupe Matmut et l’Europe / FEDER.
[ii] Il s’agit du Paris-Saclay Autonomous Lab démarré également en 2017 et dont les partenaires sont : le Groupe Renault, le Groupe Transdev, l’institut Vedecom, l’IRT SystemX, l’Université Paris-Saclay et qui a bénéficié du concours des Investissements d’Avenir de l’Etat confiés à l’ADEME.
Image de une : Navette autonome à Rotterdam ©Jan Kok – Boomerang Fotografie
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