Dominique Vinck : La bonne réponse est celle qui finira par s’imposer dans les milieux industriels, scientifiques ou institutionnels. L’industrie utilise une entrée plutôt classique dans la lignée de la microélectronique. Les physiciens ont une approche ascendante. Il existe des divergences et des enjeux très forts, avec au-delà des connotations du type conservateurs versus farfelus. Certains se battent pour stabiliser des définitions au sein d’instances normatives.
Cela dépend du poids relatif des disciplines dans les différents pays. Au niveau européen, la physique prédomine. A Grenoble, c’est surtout la microélectronique. Aux Pays-Bas, c’est la chimie, aux Etats-Unis les sciences du vivant, en Asie les matériaux.
Lorsque l’on étudie les revues scientifiques sur les nanotechnologies, on se rend compte qu’il existe généralement une discipline dominante, généralement en physique ou en chimie. Aucune revue ne propose un équilibre entre les disciplines. Il y a eu un grand discours sur la convergence des disciplines mais, dans la pratique, cette convergence s’avère moins évidente. Aujourd’hui, on a plutôt tendance à redécouper par disciplines. Le nombre moyen de cosignataires d’articles tend à baisser. On observe moins de mélanges d’une discipline à l’autre qu’en 2001 – 2004. Mais un retournement de situation peut très bien arriver en trois ou quatre ans.
La plus proche de ce qui se passe aujourd’hui est la vision incrémentale, c’est-à-dire l’intégration d’innovations dans l’existant. Les ruptures radicales s’avèrent le plus souvent des échecs. On constate parfois des phénomènes d’accélération des nouveautés qui font basculer collectivement les choses. Ce sera peut-être le cas, mais pas pour l’instant. Toutes les grandes industries multinationales, quel que soit le secteur, font aujourd’hui de la recherche dans les nanotechnologies.
D’après ce que j’observe, le grand défi actuel concerne l’intégration de plusieurs fonctions sur le matériau et au niveau le plus élémentaire. Pour prendre une comparaison, les ailettes autour du moteur d’une voiture servent à la fois à structurer le cylindre et à refroidir, et c’est le même élément qui remplit les deux fonctions.
Un débat a émergé en 2003, cela s’est calmé depuis un ou deux ans. On a mélangé toutes les technologies dans une grande confusion. On devrait aller vers des débats plus spécifiques et spécialisés en fonction de tel ou tel développement.
Dans le domaine des nanofoods, nous sommes à la limite de ce que l’on connaît en matière de toxicité. D’autre part, la production et les usages de données par les objets communicants me semblent très importants, avec des inconnus juridiques, économiques et politiques. Cela peut changer des rapports de force dans la société. Par exemple, si des mouchards permettent de savoir si un objet a reçu un choc, cette fonction sera au service du vendeur qui doit ou non appliquer la garantie. C’est à la société de dire si c’est bien ou pas.
C’est potentiellement un chantier pour les sciences sociales. Mais très peu de chercheurs rentrent dans les contenus scientifiques et technologiques. La plupart regardent les débats depuis la rue, sans rentrer dans les laboratoires.
Globalement les gens n’ont pas peur. Ils font confiance aux scientifiques, mais ils se méfient de plus en plus des institutions.
D’un point de vue théorique, les risques sont potentiellement énormes mais, d’un point de vue empirique, on ne sait pas répondre à cette interrogation. Il existe très peu de financements sur ces sujets, et même s’ils existaient, la question est de savoir quels laboratoires compétents et indépendants pourraient mener les recherches. Propos recueillis par Corentine Gasquet
ParcoursDominique Vinck est professeur à l’université Pierre Mendès-France (sciences sociales) et à l’Institut national polytechnique de Grenoble. Son livre Les nanotechnologies est paru en février 2009 dans la collection Idées reçues du Cavalier bleu. La bio de Dominique Vinck sur Wikipedia |