Décryptage

Les nanoparticules sont-elles indigestes ?

Posté le 10 janvier 2013
par La rédaction
dans Chimie et Biotech

Devant le nombre croissant d’aliments contenant des nanoparticules, la France impose désormais aux industriels de déclarer les nanoparticules utilisées.

Silice, dioxyde de titane ou encore aluminium, ces éléments aux dimensions nanométriques envahissent nos assiettes. La silice sert d’additif anti-agglomérant (E 551) pour des sauces, le dioxyde de titane est un colorant blanc (E 171) présent dans certains dentifrices, chewing-gum et autres friandises, et les nanoparticules d’aluminium  rendent le papier alu plus réfléchissant. Ces trois exemples ne sont qu’une partie des nanoparticules présentent dans nos assiettes. En effet, de multiples nanoparticules utilisées dans d’autres domaines (pneumatique, cosmétique, photovoltaïque) polluent les sols et viennent s’ajouter à celles parfois présentes dans les pesticides. Nos cultures ainsi contaminées servent de vecteur aux nanoparticules qui terminent finalement dans nos assiettes.

Or, ces particules sont tellement petites qu’elles pénètrent dans notre corps jusqu’à atteindre certains organes cibles comme les poumons, le foie ou encore la rate. Les lieux préférentiels d’accumulation ne sont pas encore très bien identifiés, et la cinétique de distribution des nanoparticules dans l’organisme reste à définir.

Plusieurs études ont néanmoins déjà prouvé que des nanoparticules inhalées se retrouvent dans les alvéoles pulmonaires, voie de passage possible vers le sang et les cellules. L’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS) a mis en place plusieurs programmes pour étudier la toxicité des nanoparticules en fonction de leur nature et de leurs dimensions. Son unité de toxicologie expérimentale a notamment étudié les nanotubes de carbones via des tests in vivo par instillation intratrachéale. Les scientifiques ont observé que les nanotubes de carbone ne franchissait pas la barrière pulmonaire et ne provoquait pas d’inflammation, concluant à une toxicité des nanotubes de carbone modérée. Rassurant ? Pas sûr. L’INERIS relativise ses propres résultats, précisant qu’ils ne peuvent être généralisés à d’autres types de nanotubes de carbone, et encore moins à d’autres sortes de nanoparticules, rappelant par exemple la dangerosité de celles du dioxyde de titane. En parallèle, l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (Affset) cite des études sur les particules de silice qui ne seraient pas cancérogènes ni génotoxiques, mais qui ne sont pas pour autant sans effet sur les cellules humaines, puisqu’elles peuvent en altérer la division.

Comme l’a quantifié le Centre d’analyse stratégique français dans une note fin 2011 : « Selon certaines études, près de 50 ans seraient nécessaires uniquement pour tester la toxicité de tous les nanomatériaux actuels. Les tests sur seulement 2 .000 substances par an pourraient coûter 10 milliards de dollars, et nécessiteraient le sacrifice d’un nombre considérable d’animaux de laboratoire chaque année ». Il apparait donc compliqué de tester la nocivité de toutes les sortes de nanoparticules existantes.

Dès 2009, dans son rapport Nanotechnologies et nanoparticules dans l’alimentation humaine et animale, l’Anses reconnaissait elle aussi son incapacité à conclure sur la toxicité pour le consommateur du fait de l’absence « d’outils métrologiques et de connaissances des usages alimentaires potentiels », et recommandait la nécessité de recenser les produits, alimentaires ou non, contenant des nanoparticules. Il aura fallu attendre trois ans pour exaucer ce vœu.

Depuis le 1er janvier, les industriels ont l’obligation de déclarer la présence de nanoparticules dans leurs produits. Cette réglementation fonctionne comme REACH, sur l’auto-déclaration : fabricants, distributeurs ou importateurs devront déclarer  les usages de substances à l’état de nanoparticules ainsi que les quantités annuelles produites, importées et distribuées sur le territoire français. Ces données concernent l’année 2012. Ils ont jusqu’au 1er mai pour effectuer cette déclaration directement sur le site dédié www.r-nano.fr. Un résumé des informations récoltées sera rendu public dès la fin de l’année.

Cette démarche unique en Europe permettra d’établir un état des lieux des nanoparticules existantes et pour quel usage. Pour le ministère de l’Ecologie, du développement durable et de l’énergie, ce « dispositif permettra également de collecter des informations sur leurs propriétés toxicologiques et écotoxicologiques, afin de guider les travaux de recherche et d’expertise sur les risques éventuels et les mesures de prévention à adopter ». Car l’absence quasi-totale de connaissance sur l’impact des nanoparticules sur la santé fait peur. En mai 2010, l’Affset constatait que seuls 2% des études parues sur les nanomatériaux s’intéressaient à leurs risques  pour la santé et l’environnement. Forte de ce constat, l’Affset se mobilise et coordonne notamment le projet européen Nanogenotox, dont l’objectif est d’identifier la toxicité sur les gènes et sur l’ADN de 14 nanomatériaux. L’Allemagne a elle aussi lancé une étude confiée à BASF pour définir des seuils maximaux d’exposition. En attendant d’en savoir plus, les différentes instances recommandent le principe de précaution.

Par Audrey Loubens, journaliste scientifique

 

Découvrez les formations Techniques de l’Ingénieur :


Pour aller plus loin