Quand le signal de départ est donné, deux électrons s'élancent dans des directions opposées. Celui qui remporte la course a une avance d'à peine sept attosecondes. Soit sept précédé de 17 zéros avant la virgule, ou 7x10-18 seconde. Une différence si petite que jusqu'à présent il était impossible de la mesurer. Pourtant, elle constitue une signature des molécules dont s'échappent les électrons : la chiralité. Cette mesure d'une précision inouïe a été réalisée par une équipe internationale de recherche qui a dirigé un laser ultrarapide sur des molécules de camphre.
Les équations théoriques prédisaient le phénomène, mais personne n’avait pu le prouver, comme l’expliquent les chercheurs dans leur article publié le 8 décembre 2017 dans la revue Science.
En enfilant le gant droit dans la main gauche, on expérimente ce qu’on appelle la chiralité : deux formes en tout point semblables mais qu’on ne peut pas superposer puisqu’elles sont des images miroir différentes. Cette propriété se retrouve un peu partout dans notre univers et à toutes les échelles, des particules élémentaires aux galaxies.
Bien que les caractéristiques physiques des molécules chirales soient les mêmes, une forme est la plupart du temps favorisée par les organismes vivants, dans l’ADN ou les acides aminés, par exemple. Diverses pistes existent pour expliquer cette « homochiralité de la vie » mais aucune ne fait consensus. Les conséquences de ce phénomène sont pourtant immenses, en pharmacologie par exemple : les deux images miroir d’une molécule chirale peuvent avoir des effets thérapeutiques très différents.
Dans cette étude, afin de révéler les propriétés subtiles des molécules miroir, les chercheurs ont étudié leur photoionisation, c’est‐à‐dire la manière dont elles perdent leurs électrons quand elles sont soumises à la lumière. La lumière produite par un laser ultrarapide du Centre lasers intenses et applications (CELIA, CNRS/Université de Bordeaux/CEA) à Bordeaux est d’abord polarisée de façon circulaire, puis dirigée vers les molécules de camphre. Ainsi, le champ électromagnétique décrit une spirale régulière dont le sens peut être ajusté à loisir. Lorsque cette lumière en spirale atteint la molécule chirale, elle provoque l’éjection d’un électron qui suivra lui aussi une trajectoire en spirale.
Dans le camphre sous forme gazeuse, les molécules sont orientées au hasard. La lumière du laser ne frappe donc pas toujours le même côté de la molécule chirale, et éjecte les électrons dans différentes directions. Pourtant, pour une image miroir donnée, les électrons sont éjectés davantage vers l’avant ou vers l’arrière de la direction de la lumière, selon son sens de polarisation, de la même façon qu’un écrou se déplace dans un sens ou l’autre selon la direction de la rotation.
Samuel Beaulieu, doctorant en science de l’énergie et des matériaux en cotutelle à l’INRS et à l’Université de Bordeaux, est remonté avec ses collègues aux sources de ce phénomène en mesurant très précisément l’éjection des électrons. Il a ainsi non seulement confirmé qu’un plus grand nombre d’électrons sont émis dans une direction, mais a surtout découvert qu’ils sont émis sept attosecondes plus tôt que dans la direction opposée. Il y a donc une asymétrie dans la réactivité de la molécule de camphre lorsqu’elle est ionisée par la lumière polarisée circulairement.
L’ionisation asymétrique des molécules chirales est une des explications possibles de l’homochiralité de la vie. L’expérience de Samuel Beaulieu a capturé les premières attosecondes d’un processus qui, sur des milliards d’années d’évolution, pourrait avoir mené à une préférence pour certaines molécules gauches ou droites dans la chimie de la vie. Il faudra d’autres découvertes fondamentales comme celle‐ci pour comprendre chaque étape de cette histoire où les événements se produisent à l’échelle de l’attoseconde.
Source : cnrs
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