Raphaël Granier de Cassagnac est directeur de recherche au CNRS au sein du Laboratoire Leprince-Ringuet (CNRS/Ecole Polytechnique). Il y porte depuis septembre 2019 la chaire «Science et jeu vidéo». Entretien sur les liens entre science et jeux vidéo.
Techniques de l’ingénieur : Vous venez d’ouvrir la Chaire « Science et jeu vidéo » à l’Ecole Polytechnique. Quel est son but ?
Raphaël Granier de Cassagnac : Il y a une trentaine de chaires à l’Ecole Polytechnique. À chaque fois, un industriel donne de l’argent à l’école sous forme de mécénat pour une cause ou un sujet. Notre nouvelle chaire « Science et jeu vidéo » financée par Ubisoft vise à développer des actions de recherche, d’enseignement et de communication liées aux jeux vidéo. Il ne s’agit pas d’un vrai contrat de partenariat avec propriété industrielle. Dans ce cadre, des professionnels indépendants du jeu vidéo travaillent en résidence dans un centre de recherche pluridisciplinaire, le Laboratoire Leprince-Ringuet. L’école Polytechnique a ainsi créé un gamelab hébergé dans ce centre de recherche en septembre 2019. L’équipe est composée d’un graphiste, d’un développeur, d’un game designer et d’une cheffe de projet.
Comment s’imbrique cette chaire avec le programme des étudiants ?
25 étudiants suivent cette chaire, ce qui nous permet de développer 5 projets scientifiques collaboratifs. Chaque année, il y aura de nouveaux projets. Ils portent sur deux aspects : rendre les jeux plus réalistes ou améliorer le gameplay. Il y a un projet sur les dialogues, un autre pour incorporer plus de physique dans un jeu en 3D – de la thermodynamique, de l’électromagnétisme, de la corrosion, de la chimie… Deux projets sont liés à des productions d’Ubisoft concrètes, donc nous ne communiquons pas sur leur sujet. Le dernier projet concerne le cartable connecté, en lien avec une association. Ce projet permet à des enfants malades d’assister à une classe à distance. L’association a déjà un protocole d’interaction à distance avec leurs camarades grâce à la combinaison de tablettes, caméra et micro. Mais nos étudiants réfléchissent à la récréation. Ils inventent des jeux de récréation dans lesquels l’enfant à distance prendra sa part.
Qu’est-ce que le jeu vidéo a apporté à la science et inversement ?
Il est clair que le jeu vidéo a été un moteur de science pour l’informatique graphique. Elle s’est beaucoup développée avec les besoins du jeu vidéo et du cinéma d’animation, avec des problématiques différentes. Pour le jeu vidéo, c’est du temps réel, il faut que cela aille très vite. En particulier la course aux processeurs a été poussée par les jeux vidéo.
Le jeu vidéo a aussi aidé à la démocratisation de l’intelligence artificielle mais dans une moindre mesure. L’IA dans les jeux vidéo est rarement très poussée. Dans l’autre sens, le jeu vidéo a besoin de sciences pour modéliser les mondes ouverts. Comment simuler la météo, l’aspect visuel des nuages ? Voici des défis importants. Il peut y avoir des informations sur l’écosystème pour mieux prendre en compte l’interaction avec la faune et la flore. Dans des jeux où l’on modélise des populations, des éléments de sciences humaines peuvent être cruciaux.
Je pense que les applications les plus intéressantes concernent les sciences humaines et sociales. Pour notre projet sur les dialogues, nous travaillons avec un linguiste. Il y a un gros enjeu sur le jeu vidéo dans l’avenir proche sur les grandes questions sociétales comme le réchauffement climatique et les mouvements de population. Il y a plein de choses à développer grâce au jeu vidéo pour sensibiliser à des problématiques qui ont un fond scientifique fort.
Comment voyez-vous le futur de cette chaire ?
La chaire concerne 25 étudiants sur environ 550 élèves. L’idée est d’augmenter l’offre liée aux jeux vidéo dans l’enseignement au fur et à mesure des années. Du 14 février jusqu’à la fin de l’année, nous démarrons un cours sur le jeu vidéo pour 12 élèves sur 60 heures d’enseignement. En fonction des développements, nous pourrions imaginer développer à l’Ecole Polytechnique un master spécialisé jeux vidéo à l’international avec des composantes ingénieurs très fortes.
Nous avons fait un premier colloque en novembre dernier. Pour cette première édition, nous avons eu 120 inscrits, essentiellement des chercheurs et des experts de l’industrie. Nous nous sommes limités à Ubisoft du côté de l’industrie et des chercheurs de l’école Polytechnique pour cette première édition. Mais pour cette année, l’idée est d’ouvrir au niveau national à d’autres studios de jeux vidéo et d’autres centres de recherche, puis à l’international l’année suivante. L’idée de développer un grand congrès international sur le jeu vidéo m’intéresse.
Enfin, n’oublions pas de dire qu’il y a beaucoup de débouchés dans le jeu vidéo pour les ingénieurs. C’est la plus grosse industrie du divertissement, devant le cinéma. Avec des besoins techniques et scientifiques forts dans plein de domaines : data analytics, informatique, IA… Pensez-y…
Propos recueillis par Matthieu Combe
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