Alors que le rideau se baissera dimanche, les JO de Tokyo se targuent d’ores et déjà d’être l’un des événements olympiques les plus « verts » jamais organisés. Et tandis que les plus passionnés d’entre nous attendent avec fébrilité le classement final des médailles, du côté de Techniques de l’Ingénieur, nous nous impatientons tout autant de la lecture d’un rapport tout autre : le bilan définitif des émissions de gaz à effet de serre.
Dans leur rapport prévisionnel sur la durabilité des Jeux de Tokyo 2020 (dont un résumé est consultable ici), publié en avril 2020, les organisateurs avaient mis en avant les objectifs notables suivants, en termes de chiffres :
- Zéro gaspillage ;
- 100 % d’électricité générée par les énergies renouvelables ;
- 99 % des biens achetés seront recyclés ou réutilisés ;
- 65 % des déchets seront recyclés ou réemployés.
Grâce aux mesures prises, une réduction de l’empreinte carbone de 280 000 tonnes de CO2 serait possible (sans aucune mesure prise, l’empreinte carbone s’élèverait à 3 010 000 tonnes de CO2). Comme l’indique Euronews, ce chiffre est revu à la hausse dans une mise à jour du rapport parue en juillet 2021. Avec l’interdiction d’entrée au Japon de spectateurs étrangers, compte tenu de la pandémie de Covid-19, la réduction des émissions de CO2 est finalement estimée à 340 000 tonnes.
Quant aux réalisations faites pour atteindre ces buts, on notera :
- La mise en service de 500 véhicules électriques à pile combustible ;
- La fabrication de 5 000 médailles à partir d’objets électroniques recyclés ;
- Alors qu’un total de 43 sites est utilisé dans les différentes compétitions sportives, 10 sont temporaires, seulement 8 ont été construits spécialement pour les Jeux Olympiques et seront permanents (en vue d’être réutilisés ; c’est le cas par exemple de l’Ariake Arena ou encore du Kasai Canoe Slalom Centre), et 25 sont réutilisés (parmi ceux-ci, cinq avaient déjà été utilisés aux JO de Tokyo de 1964) ;
- Sur les 8 nouveaux sites sportifs, 37 540 arbres ont été conservés ;
- Au village olympique, l’opération BATON (« Building Athletes’ village with Timber Of the Nation ») a été menée à bien au « Village Plaza », un bâtiment situé à l’entrée du village : sa structure en bois, une architecture de style traditionnel japonais, garantit une climatisation naturelle ;
- D’autres manœuvres sont d’ordre social, comme promouvoir l’égalité homme-femme et la diversité au sein des équipes organisatrices et des groupes de volontaires.
Sans oublier, comme le rappelle Euronews, que le village olympique de Tokyo 2020, qui accueille 11 000 athlètes, et dont la production d’électricité et d’eau chaude se fait à l’hydrogène, sera converti en appartements résidentiels, en boutiques, mais aussi une école, ainsi que d’autres aménagements.
Concrètement, où en sommes-nous ?
À la lecture de ces lignes, on pourrait s’imaginer que c’est gagné, : ça y est, les JO sont durables. Mais en portant un regard macroscopique sur les JO successifs, on se rend compte d’une réalité bien plus ambiguë. Dans une étude publiée dans Nature le 19 avril 2021, menée par des chercheurs des Universités de Lausanne, de Berne, et de New York, la durabilité des 16 jeux olympiques d’été et d’hiver organisés entre 1992 et 2020, a été passée au crible.
D’emblée, l’étude, qui désigne les Jeux olympiques comme étant des « méga-projets urbains », signale une problématique majeure : « Alors que les Jeux olympiques se proclament exemplaires sur le plan de la durabilité, et aspirent à inspirer l’avènement d’avenirs durables à travers le monde, il n’existe pas d’évaluation systématique de leur durabilité ». Et d’argumenter : « En ce qui concerne les Jeux Olympiques et plus généralement tous les méga-événements, la durabilité repose encore sur un concept vague. Les Jeux olympiques prétendent tous être durables, mais aucun de ces événements n’a pu établir une définition ou un modèle cohérents sur la base desquels réaliser une évaluation indépendante ».
L’équipe de recherche propose alors de combler cette carence en développant « une définition et un modèle conceptuel pour la durabilité des Jeux olympiques ». Les Jeux olympiques sont définis comme étant « durables » lorsqu’ils remplissent les critères suivants : une empreinte écologique et matérielle limitée, une justice sociale renforcée et une efficacité économique démontrée. Quant au modèle conçu, celui-ci est constitué de 9 indicateurs distincts, variant entre dimensions écologique, sociale et économique :
- 3 indicateurs écologiques : la proportion de sites sportifs nouvellement construits, le nombre de billets vendus, et le nombre d’accréditations accordées ;
- 3 indicateurs sociaux : le soutien public reçu, le déplacement de la population, et les modifications législatives ;
- 3 indicateurs économiques : le dépassement des coûts prévus, la part de financement public, et l’utilisation ultérieure des sites olympiques.
Les mesures sont suivies par le calcul d’un score total, sur 100, pour chaque JO. Contre toute attente, les résultats pointent vers une tendance à la baisse : avec le temps, les JO seraient de moins en moins durables ! Ainsi, en dépit d’un discours pro-durabilité de plus en plus affiché pendant cette dernière décennie, les JO d’hiver de Sochi 2014 et les JO d’été de Rio de Janeiro 2016 seraient les mauvais élèves, derniers du classement. Tokyo 2020 les précède, et serait en troisième place à partir du bas.
Attention toutefois, certaines des données pour cet événement en cours sont, sans surprise, provisoires : les données analysées datent d’octobre 2020, et certaines pourraient donc être désormais obsolètes. Toujours est-il que l’organisation des JO de Tokyo 2020 aura nécessité le déplacement de plus de 500 résidents. Quant à Rio de Janeiro 2016, tout s’explique par le déplacement d’un grand nombre de résidents, une rare réutilisation des sites olympiques par la suite, ainsi que par des frais trop importants qui dépassent de loin les coûts attendus. Concernant Sochi 2014, cette piètre note (qui place ces JO en dernière position), serait surtout due à une performance économique déplorable (un important dépassement des coûts, ainsi que des sites olympiques très peu réutilisés), à laquelle s’ajoutent de nombreuses nouvelles constructions ainsi qu’un nombre élevé de participants accrédités.
Paradoxalement, sur les trois marches du podium figurent des candidats inattendus : les JO les plus durables seraient ceux de Salt Lake City 2002 (JO d’hiver), avec un score de 71/100, suivis par les JO d’hiver d’Albertville 1992 (69/100), alors que la médaille de bronze irait pour les JO d’été de Barcelone 1992 (56/100). Salt Lake City 2002 étonne particulièrement : ces JO ont suivi le choc du 11 septembre 2001, sans compter qu’ils s’étaient embourbés dans un scandale de corruption lié à leur attribution. Néanmoins, la ville a su assurer une performance remarquable sur le plan économique, avec un risque financier limité, un dépassement des coûts modéré (24 % seulement), et une bonne utilisation ultérieure des sites olympiques. Quant à Albertville 1992, ces JO organisés en France se démarquent sur le plan écologique : alors que plusieurs nouveaux sites ont été bâtis à l’occasion de ces Jeux, l’événement a été de petite taille, avec un nombre de visiteurs et de personnel limité.
Quelle vision pour la suite ?
Comme toute étude présente des limites, les travaux de recherche que nous venons de détailler ne font pas exception. Les chercheurs rappellent par exemple que ce modèle de durabilité, bien que justifié par une foule d’indicateurs, n’est pas une référence, et reflète un jugement subjectif. En se basant sur ce modèle en particulier, les chercheurs ont su dégager trois mesures, applicables à court-terme, à implémenter afin d’aller vers le sens de la durabilité :
- Réduire significativement la taille de l’événement, pour diminuer son empreinte matérielle et écologique ;
- Organiser les Jeux olympiques dans les mêmes villes hôtes, dans une sorte de rotation, afin de limiter le besoin pour de nouvelles infrastructures ;
- Et enfin, améliorer la gouvernance en matière de durabilité, afin de mieux responsabiliser les villes organisatrices lorsqu’elles n’atteignent pas leurs objectifs.
Du côté des parties prenantes, les démarches optimistes entreprises à Tokyo 2020, et dont nous avons listé une partie plus haut, semblent s’inscrire parfaitement dans la stratégie du Comité International Olympique (IOC) qui escompte réduire de 45 % les émissions en gaz à effet de serre des JO d’ici 2030. Avec en ligne de mire un objectif intermédiaire : une réduction de 30 % d’ici 2024. Justement, pour les JO de Paris 2024, l’IOC prévoit une empreinte carbone d’1,5 million de tonnes de CO2, soit la moitié des taux d’émissions moyens enregistrés aux précédents JO d’été.
Parmi les actions qui seront mobilisées pour concrétiser ces estimations : 95 % des sites olympiques français seront partagés entre sites préexistants et sites temporaires, et les nouveaux sites construits devront être bas-carbone. Une feuille de route ambitieuse ! Pourrons-nous parler d’une véritable durabilité cependant ? D’autres modèles viendront-ils confirmer un réel déclin de la durabilité des JO ? Le temps venu, nous ne manquerons pas d’examiner le bulletin de notes de Paris 2024.
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