Techniques de l’Ingénieur : Comment est venue l’idée de créer une société de recyclage des gazons synthétiques ?
Éric Levresse : La société danoise a été créée par Dennis Andersen, qui a travaillé dans l’industrie du gazon synthétique aux États-Unis. Il s’est aperçu que, lorsque les clients venaient le revoir pour changer leur gazon, il n’existait aucune filière de recyclage. De retour en Europe, il a travaillé sur le process de recyclage avec une société allemande spécialisée dans ce domaine. Et depuis la construction de sa première usine en 2015 au Danemark, elle fonctionne 24h/24 et 6j/7. Les créateurs ont très vite été confrontés à un problème de capacité. L’usine était trop petite par rapport à la demande du marché. Après avoir ouvert deux autres filiales au Pays-Bas et en Allemagne, Re-Match arrive en France au travers d’une joint-venture.
Quels sont les enjeux du recyclage des terrains synthétiques en France ?
Un gazon synthétique génère environ 82 tonnes de CO2 pour être fabriqué. Il représente entre 220 et 250 tonnes de matériel. Quand il est incinéré, il rejette 336 tonnes de CO2, soit un total de plus de 417 tonnes. Avec Re-Match, l’empreinte carbone n’est plus que de 17 tonnes. Aujourd’hui, il n’existe pas de véritable filière de recyclage. Dans le meilleur des cas, les terrains sont déchiquetés, on récupère le sable et le caoutchouc non nettoyés, puis on brûle le tapis dans les cimenteries. Dans le pire des cas, c’est l’enfouissement ou la décharge. Les collectivités locales n’ont aujourd’hui pas de solutions. En créant Re-Match France, nous souhaitons leur en apporter.
Quel est votre process de recyclage ?
Le processus réduit, sèche, nettoie et sépare le gazon synthétique usagé des terrains grâce aux différentes densités des matières. L’air et les vibrations permettent de séparer les produits sans utiliser d’eau. Les terrains usagés sont recyclés en matériaux propres à 99 % (sable, caoutchouc, matériau support et fibre plastique), parfois plus propres que les matériaux de départ. Après quelques années sur le terrain, le caoutchouc SBR a par exemple perdu certains éléments chimiques présents lors de sa précédente production. Ces matériaux sont ensuite réutilisés dans de nouveaux cycles de production comme les gazons synthétiques, les revêtements sportifs, la construction, et bien d’autres applications industrielles. Il existe une multitude d’applications. Aujourd’hui, nous sommes capables de recycler à 96 % le gazon synthétique. Notre objectif est de fabriquer un gazon synthétique avec des matières 100 % recyclées.
96 % … Quels sont les freins pour atteindre les 100 % ?
En fonction de la densité des matériaux, qui a évolué après 10 ans d’utilisation, le sable de faible densité peut rester dans le caoutchouc. De plus, la difficulté est de recycler les fibres en polyéthylène pour produire du fil. Nous arrivons à produire des échantillons d’un mètre carré de gazon synthétique, testé en laboratoire, dont la résistance est identique au gazon classique et répond aux normes Fifa. La complexité est de pouvoir récupérer le polyéthylène propre, utilisable à grande échelle. Mais cet objectif entre dans le programme Horizon 2020 de la communauté européenne, qui subventionne la recherche pour créer une circularité complète.
Combien de tonnes recyclez-vous par an ?
Depuis la création de l’usine au Danemark, on recycle 35 000 tonnes par an soit plus de 100 000 tonnes. On considère qu’il existe dans le monde 224 000 terrains en gazon synthétique, qui ont une durée de vie entre 10 et 12 ans. On est sur une croissance du nombre de terrains depuis une quinzaine d’années. Chaque année, de plus en plus de terrains arrivent sur le chemin du recyclage. Et par rapport aux capacités des usines, le marché est énorme. Au Danemark, la capacité est de 150 terrains par an. La capacité de l’usine française sera plus importante avec une capacité de 250 terrains. Nous allons pouvoir travailler avec les pays autour du site industriel (environ 800 km).
Pourquoi une collectivité choisirait un terrain synthétique, et non naturel ?
Un terrain synthétique est plus écologique que le naturel. Imaginez 10 ans d’arrosage, d’engrais, de tracteur qui tond régulièrement… Un gazon synthétique peut avoir une utilisation 4 à 5 fois supérieure, qui demande moins d’entretien et moins d’eau. Le marché français est un petit marché. Ce qui n’est pas le cas des pays nordiques et du marché espagnol, beaucoup plus importants. Et pour une raison simple, en Espagne par exemple : le manque d’eau.
Quels sont les prochains challenges de la filière ?
L’un des principaux est d’aller plus loin au niveau législatif. Dans notre filière mais également dans d’autres domaines de recyclage, on espère que le texte sur l’économie circulaire soit plus coercitif. C’est un vrai challenge pour nous. C’est pourquoi nous avons également développé une application de traçabilité, pour les gestionnaires d’installations sportives souhaitant suivre leur terrain, de son enlèvement à son traitement dans notre usine de recyclage et ensuite à sa nouvelle vie dans l’industrie du gazon synthétique ou dans une autre application industrielle. Ainsi, ils pourront prouver qu’ils respectent les pratiques de fin de vie légales et respectueuses de l’environnement.
Est-ce que cela leur coûte plus cher ?
La solution proposée par Re-Match est dans les tarifs du marché. On arrive avec une solution écologique et tout à fait dans le prix d’enlèvement des terrains synthétiques. Nous générons des revenus avec les produits que l’on recycle. D’ailleurs, notre deuxième vision de l’avenir serait de pouvoir diminuer au maximum le coût du recyclage pour les collectivités locales grâce aux revenus générés par la revente des produits recyclés.
Dans cette vidéo de la Fifa, retrouvez les coulisses du recyclage.
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