Une figure fractale est une courbe ou une surface de forme irrégulière ou morcelée qui se crée en suivant des règles déterministes ou stochastiques impliquant une homothétie interne. Pour interpréter cette définition, il va falloir analyser sa simplicité dans sa complexité. Mais commençons par les origines, l’époque où la fractale n’existait pas encore dans les livres scientifiques…
Alan Turing et «les bases chimiques de la morphogenèse»
Alan Turing, grand mathématicien anglais, est connu dans le monde scientifique pour son travail sur « L’intelligence artificielle », projet qui a vu le jour en 1950 et qui a abouti quelques années plus tard à l’invention désormais incontournable de l’ordinateur moderne.
En 1952, Turing publie l’ensemble des résultats issu de ses expériences : « Les bases chimiques de la morphogenèse ». La description de son protocole étant d’une grande complexité, il décide de réaliser un modèle mathématique simplifié pour expliquer la morphogenèse. Il la définit comme un ensemble de lois élémentaires déterminant des processus chimiques à l’œuvre dans la croissance des formes. Grâce à l’usage de l’ordinateur, il obtient non seulement la capacité d’accroître la puissance de calcul, mais aussi de traiter de nouveaux types de phénomènes, élargissant finalement le nombre de possibilités de formes différentes en dehors de celles calculées à la main.
Équation 1 : Système d’équations différentielles linéaires dont les solutions donnent 6 cas possibles d’apparition de taches. Des équations élémentaires qui s’employaient habituellement en astronomie ou en physique nucléaire
Son approche fondée sur ces techniques nouvelles est résolument moderne puisque, selon lui, la morphogenèse et l’intelligence artificielle sont deux domaines indissociablement liés. Voici ce que nous pouvons donc retenir des recherches d’Alan Turing : il annonce sans véritables preuves expérimentales l’existence d’un milieu qui s’auto-organise et imagine la façon dont les formes apparaissent sur les végétaux et les animaux.
Boris Belousov et « la réaction oscillante »
L’année 1950 est aussi marquée par l’intervention d’un brillant chimiste russe nommé Boris Belousov. Il mit au point une solution mélangeant cinq composés courants dans l’eau, à température ambiante. Cette solution oscille entre la transparence et la coloration. Elle se réalise avec une grande régularité et ce, pendant près d’une centaine de cycles, jusqu’à épuisement d’un des réactifs. Or d’après les lois fondamentales, les produits chimiques peuvent réagir ensemble mais la réaction n’est en principe pas réversible. En tout cas, pas sans intervention.
Ci-dessus : la réaction oscillante Belousov-Zhabotinsky
Après de nombreuses tentatives, il pense avoir fait une découverte majeure. Pourtant, ses résultats ne sont pas reconnus par la communauté scientifique russe qui les juge impossibles puisqu’ils contredisent les lois de physiques élémentaires. Accusé d’avoir bâclé son travail, il abandonne toutes ses expérimentations.
Ironie de l’histoire, le rideau de fer a empêché Belousov de découvrir les travaux de Turing qui l’auraient sans doute confortés dans sa théorie.
En réalité, la réaction oscillante ne contredisait pas les lois élémentaires de physiques, elle constituait une illustration exacte du comportement décrit par le système d’équations de Turing !
En effet, en laissant les composés de Belousov dans des boites de Pétri, on n’observe plus une oscillation mais une auto-organisation. Des formes se créaient à partir de rien, ressemblant exactement aux mouvements de nos cellules cardiaques ou encore aux motifs qui apparaissent sur le pelage de certains animaux qui peuvent ressembler à des « battements de cœur » (par exemple le jaguar).
Néanmoins, pour comprendre la notion de fractale, il est nécessaire de connaitre la théorie du chaos car ce dernier fait partie des lois élémentaires.
La fin du rêve newtonien
Alors que l’industrie était en pleine révolution, l’univers était considéré comme mécanique. Toutefois, les séries d’expériences effectuées par différents scientifiques vont remettre en question tous les acquis jadis inébranlables. C’est l’effondrement du rêve newtonien : « La relativité a éliminé l’illusion Newtonienne d’un espace et d’un temps absolu ; la théorie quantique a supprimé le rêve d’un processus de mesure contrôlable. Le chaos élimine l’utopie Laplacienne d’une prédicabilité déterministe » (d’après la théorie quantique de Gleick James).
Ci-dessus : Création de structures naturelles via la théorie du chaos
Les travaux de Turing, Belousov et de Lorenz sont arrivés à une même conclusion : l’évidence que la nature pouvait être complètement imprévisible, d’où la création de motifs et de structures. Une connexion cosmique s’établissait entre la capacité de la nature à s’auto-organiser et les conséquences chaotiques de l’effet papillon. Que ce soit les formes de Belousov ou le principe de Turing, ils sont connectés par une formule que seul Mandelbrot saura établir.
De part et d’autre, des illustration de l’auto organisation dans la nature : les nervures de feuilles et les marges des feuilles
Benoît Mandelbrot est un mathématicien franco-américain qui, dans sa jeunesse, ne connaissait ni l’alphabet ni les tables de multiplications, ce qui ne l’a pas empêché d’entrer en 1950 chez IBM pour étudier les irrégularités dans la nature et les marchés financiers. Tout comme Turing, grâce à l’ordinateur et aux travaux de Gaston Julia et Pierre Fatou, il a pu fournir une étude encore plus poussée sur ces formes complexes qui nous entourent.
Il réussit finalement à unifier toutes les recherches établies dans ce siècle en une formule. Elle décrit les formes rugueuses du monde réel. Sa théorie des fractales voit le jour en 1975 avec la publication de son essai intitulé « les objets fractals : forme, hasard et dimension ». Mandelbrot reste perplexe sur le comportement des autres mathématiciens qui se sont uniquement concentrés sur la géométrie des objets réguliers (droite, cercle, carré, etc.) émanant de la création humaine et non celle qui nous entoure, à savoir la nature.
Equation 2 : Equation de Mandelbrot qui définit le système de la géométrie fractale
Ci-dessus : L’empreinte divine ou ensemble de Mandelbrot.
Conclusion
Si nous devions reformuler la définition de fractale, nous pourrions dire que c’est une géométrie naturelle qui représente des formes complexes, des objets mathématiques dont la création ou la forme ne trouvent leurs règles que dans l’irrégularité ou la fragmentation.
Par Margaux Abello
En savoir plus :
Sources :
- La fractale de Mandelbrot
http://fr.wikipedia.org/wiki/Ensemble_de_Mandelbrot
http://www.syti.net/Fractals.html
http://fr.wikipedia.org/wiki/Fractale
http://eljjdx.canalblog.com/archives/2008/08/23/10295349.html
http://www.youtube.com/watch?v=foxD6ZQlnlU (fractal Mandelbrot zoom de l’empreinte divine)
- Histoire d’Alan Turing
http://www.uzine.net/article159.html
http://fr.wikipedia.org/wiki/Alan_Turing : expérience
http://interstices.info/jcms/int_71868/alan-turing-les-motifs-et-les-structures-du-vivant
- Histoire et expérience de Belousov Zhabotinsky
http://www.youtube.com/watch?v=3JAqrRnKFHo
http://www.scholarpedia.org/article/Belousov-Zhabotinsky_reaction
https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9action_de_Belousov-Zhabotinsky
http://wiki.scienceamusante.net/index.php?title=Belousov-Zhabotinsky
- Chaos, rêve newtonien
http://fr.wikipedia.org/wiki/Effet_papillon
http://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9orie_du_chaos
http://fr.wikipedia.org/wiki/Attracteur_de_Lorenz
http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/fractale/53335