Sur un marché de l’emploi en tension, les ingénieurs restent des valeurs sûres pour les recruteurs. Leurs capacités d’adaptation et de problématisation sont en effet très recherchées à l’heure actuelle.
Jean Dambreville, délégué général des Ingénieurs Et Scientifiques de France, a fait le point avec Techniques de l’Ingénieur sur la situation des ingénieurs sur le marché de l’emploi, et sur l’évolution des missions attribuées aux ingénieurs aujourd’hui, entre compétences techniques, capacités d’apprentissage et d’adaptation.
Techniques de l’Ingénieur : Comment sont recrutés les ingénieurs aujourd’hui ?
Jean Dambreville : L’offre d’emploi la plus classique qui répertorie une liste de compétences techniques à cocher en parallèle des supposés avantages sociaux de l’entreprise n’est certainement pas celle qui a le plus la côte auprès des ingénieurs et des scientifiques en général. L’état d’esprit est plutôt de trouver un poste original qui « donne envie » avec un salaire permettant de ne pas avoir de problèmes de fin de mois. Mais, les ingénieurs sont finalement assez peu recrutés avec des offres d’emplois. Pour ma part, en 30 ans de carrière et 5 entreprises différentes, je n’ai jamais été recruté à la suite d’une réponse à offre d’emploi. Et c’est aussi le cas de la plupart des ingénieurs avec qui j’échange.
Les canaux de recrutement sont davantage :
- Les approches directes que ce soient les candidatures spontanées du côté candidat ou la prospection dans les CVthèques (publiques ou anciens élèves du côté des entreprises).
- Les chasseurs de têtes pour les profils un peu plus expérimentés.
- Les contacts professionnels qui mettent en relation les profils de leur entourage susceptibles d’être intéressés par une offre dont ils ont entendu parler.
- La cooptation qui reste privilégiée dans certaines entreprises qui s’assurent du même coup que les nouveaux arrivants seront bien accueillis par ceux qui les ont cooptés.
Et bien sûr, LinkedIn qui est un réseau social incontournable.
Quelles sont les compétences d’ingénieurs les plus recherchées ?
Un ingénieur, c’est en premier lieu quelqu’un qui doit aimer la technique. Il doit être curieux, chercher à aller au fond des choses. Mais ce n’est pas tout : Il doit avoir de bonnes capacités de communication et de négociation pour proposer des projets à des décideurs, expliquer des contraintes techniques aux donneurs d’ordre, convaincre son équipe que la meilleure réalisation technique n’est pas forcément le résultat attendu par le client, négocier des prix et le plus souvent des plannings avec les fournisseurs…
Une fois encore, ces capacités sont assez loin de la liste de compétences techniques qu’exigent les équipes de recrutement lorsqu’elles recrutent. Dans la réalité, les ingénieurs ont développé lors de leur formation des compétences techniques dont ils pourraient avoir besoin lors de leurs missions. C’est tout ce qui fait leur valeur. Cela dit, il est quasiment impossible pour un ingénieur de maîtriser à la prise de poste tous les aspects techniques de son nouveau poste. Les responsables d’entreprises de toutes tailles nous répètent systématiquement qu’il leur est nécessaire de former pendant un certain temps leurs recrues à leurs besoins avant qu’elles ne soient pleinement opérationnelles.
Quels sont les postes les plus proposés par les recruteurs ?
IESF dispose d’un Observatoire des Ingénieurs qui suit l’évolution de nos métiers depuis 1958. Il y a bien entendu tous les ans de légères évolutions, mais notre édition 2022 révèle une croissance des difficultés de recrutement dans le secteur des systèmes d’information, notamment des experts du numérique (profil suivi depuis 2019 dans notre étude), des chefs de projets et des ingénieurs d’études.
Il est à noter que la première difficulté de recrutement citée à plus de 70% par les personnes interrogées concerne l’absence de compétences disponibles sur le marché. C’est 2 fois plus que les difficultés exprimées autour de la question salariale. Il faut, cependant, interpréter cela avec précaution. Bien sûr, il y a de nouveaux métiers exigeant des compétences qui ne sont pas toujours au programme des écoles d’ingénieurs. Les innovations scientifiques font qu’il y a toujours un décalage entre l’apparition d’une technologie et la mise au programme des formations. Mais cela a toujours été le cas, et malgré l’accélération du rythme des découvertes, la situation n’a pas évolué dans les proportions que l’on évoque aujourd’hui.
La vraie différence vient de l’engagement réciproque entre employeurs et employés. Les employés se sentent de moins en moins investis dans les résultats de leur employeur. Ils ont été amenés, dans le meilleur des cas, à une vision très contractuelle de leur relation avec leur employeur du type : « je donne de mon temps contre un salaire ». En conséquence, ils n’hésitent plus du tout à quitter l’employeur lorsque cet échange ne leur convient plus. Les employeurs se sont adaptés et accordent de moins en moins de temps à leurs salariés pour la prise de poste. Ils s’attendent à ce qu’ils soient opérationnels immédiatement à l’embauche. Le travail de l’ingénieur ne consiste pas à dérouler un savoir-faire acquis ailleurs. Il consiste à créer un résultat dans un contexte spécifique et souvent complexe. Le temps d’analyse du contexte, des contraintes et des ressources disponibles fait complètement partie des tâches de prise de poste. Si l’employeur s’attend à trouver un ingénieur avec toutes les compétences pour être opérationnel dans son contexte, il est normal qu’il ait l’impression que ce profil ne soit pas disponible sur le marché.
IESF a lancé un Programme de Promotion des Métiers de l’Ingénieur et du scientifique, PMIS. Quelles sont les actions menées à travers ce projet ?
La Promotion des Métiers de l’Ingénieur et du Scientifique est une action d’IESF qui consiste à aller à la rencontre des jeunes de collège et de lycée, de leurs parents, des équipes enseignantes et dédiées à l’orientation pour leur parler des métiers et des filières de formations menant à des carrières scientifiques.
Cette présentation des métiers est très importante car même ceux qui ont des ingénieurs dans leur entourage n’ont souvent aucune idée de ce en quoi cela consiste, et la situation est encore pire pour les autres. Le contexte « ingénieur » emporte avec lui tout un imaginaire collectif qui éloigne parfois les jeunes de cette vocation. Il nous faut lutter contre le « ce n’est pas pour moi », notamment chez les jeunes filles que nous ciblons plus particulièrement.
Il y a également le sujet des frais de scolarité : beaucoup d’étudiants pensent que leurs parents n’ont pas les moyens de leur payer une Grande Ecole. En effet, beaucoup ignorent que les écoles d’ingénieurs sont pour la plupart des écoles publiques avec des frais de scolarité modiques comparés à ceux des écoles de commerce.
Nous rencontrons les élèves directement dans leurs classes, sur des forums mais aussi lors d’événements virtuels depuis quelques années. Ces actions sont menées sur tout le territoire national, incluant quelques actions outremer, grâce à notre réseau de délégations régionales.
L’objectif est bien d’alimenter l’envie de science dès le plus jeune âge car ce n’est pas au moment des spécialisations d’options, en classe de première, que cela se joue. A ce moment-là, même si le jeune n’a pas une vision très précise des métiers qu’il va exercer, il a déjà des préférences pour la science, la littérature, l’histoire où la psychologie.
Quel est le rapport aujourd’hui des jeunes avec le métier d’ingénieur ?
Comme je l’ai dit auparavant, les études d’ingénieurs véhiculent beaucoup de fantasmes collectifs chez les jeunes et chez leurs parents. Finalement, en plus de ceux qui y vont par goût de la science et de l’innovation, il y a aussi ceux qui y vont parce que les Grandes Ecoles sont le Graal des études en France, qu’ils sont bons élèves et meilleurs en mathématiques qu’en histoire ou en français.
Les études d’ingénieur sont celles qui ouvrent le plus de portes : directeur d’usine, commercial, spationaute, artiste, agriculteur, chercheur, entrepreneur, professeur, avocat … ne sont que quelques cas que j’ai personnellement rencontrés. Les exemples récents des quelques individus qui se sont révoltés contre le système au moment de la remise des diplômes ne doivent pas être mis en avant face à l’immense majorité de ceux qui sont fiers d’être allés jusqu’au but qu’ils s’étaient fixés. Dans tous les cas, ils pourront utiliser leurs compétences toutes fraîches pour améliorer le monde comme ils le souhaitent. Les uns en faisant évoluer les entreprises et les industries existantes pour qu’elles diminuent leur impact environnemental, les autres en inventant de nouveaux processus et outils pour les organisations qu’ils auront imaginées.
Propos recueillis par Pierre Thouverez
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