Cet été, les entreprises de l’eau et d’assainissement sont sur le qui-vive pour assurer la continuité d’approvisionnement en eau potable. Comment se préparent-elles à la gestion de crise ? Comment planifient-elles l’adaptation au changement climatique ? Entretien avec Aurélie Colas, déléguée générale de la Fédération professionnelle des entreprises de l'eau.
Quand il fait chaud, l’eau se raréfie et peut manquer. 1 052 communes ont ainsi connu une rupture complète d’approvisionnement en eau potable en 2022 et environ 2 000 communes ont été en tension et sur le point d’être totalement en rupture. Actuellement, 16 départements sont en situation de crise. La vigilance est de mise dans ces départements où sévit le risque de manque d’eau potable et d’assainissement.
La Fédération professionnelle des entreprises de l’eau (FP2E) regroupe Veolia, Suez et Saur, ainsi que deux ETI : Sogedo et SEFO. Ces cinq entreprises assurent environ 60 % de la distribution et de la production d’eau potable française et gèrent les eaux usées pour la moitié de la population. Aurélie Colas est la nouvelle déléguée générale de la FP2E. Elle nous explique comment ces entreprises se sont préparées à la gestion de crise cet été et comment elles accompagnent l’adaptation au changement climatique.
Techniques de l’ingénieur : Quels sont vos dispositifs de gestion de crise pour maintenir l’alimentation en eau et le bon état des cours d’eau ?
Aurélie Colas : Nos entreprises sont en première ligne pour gérer les crises et assurer la continuité de service en eau potable et assainissement grâce à leur expertise en France et à l’international. Elles savent réagir face aux crises climatiques liées à la sécheresse, aux inondations, aux ouragans ou encore aux incendies. Elles peuvent réagir aussi face à une crise liée à une pollution, une épidémie, une cyberattaque, un conflit ou encore un acte de terrorisme.
Avec la crise climatique, nos entreprises vont être confrontées à des crises plus longues, qui vont se dérouler simultanément sur plusieurs points du territoire national. Cela exige d’intervenir en temps réel sur plusieurs sites avec le risque de « sur-crise ».
Nos entreprises anticipent grâce à la mise en œuvre de leurs cellules de crise. L’objectif est de prévenir la crise. La chaleur a par exemple des effets directs sur les équipements. Nos entreprises anticipent et préparent donc les services d’eau et d’assainissement, aux côtés des collectivités locales, en programmant en amont les opérations de maintenance et le renouvellement d’équipements pour éviter que les casses et les pannes interviennent à un moment où il pourrait y avoir une tension sur la ressource. Les réseaux font l’objet d’une surveillance permanente grâce à la digitalisation. Si une crise survient néanmoins, la cellule de crise intervient en soutien aux équipes locales et aux collectivités locales et réagit en temps réel.
Avec le changement climatique, quels sont les types de crises rencontrées par vos entreprises ?
D’ici 2050, un été sur deux sera aussi chaud que 2022. Nous avons le retour d’expérience de l’été dernier. Par exemple, chez Saur, six centres de pilotage opérationnels permettent de télésurveiller les réseaux qu’ils gèrent dans toute la France. En situation de crise sécheresse, il y a une « sur-mobilisation » des équipes, via des astreintes, pour pouvoir gérer en temps réel plusieurs crises simultanées et assurer la continuité de service.
L’été dernier, il y a eu des incendies records en Gironde. Dans la communauté d’agglomération d’Arcachon-sud, l’opérateur Veolia a mis en place une cellule de crise avec pour objectif de garantir la continuité de production d’eau potable et du service d’assainissement au niveau du bassin. En particulier, il a fallu mettre en sécurité des réservoirs et des stations de traitement des eaux usées exposés au risque d’incendie.
En Nouvelle-Aquitaine, dans une collectivité de 1 500 personnes dont Suez est délégataire, on a pu identifier un risque de crise à cause du remplissage insuffisant du réservoir principal grâce au centre de télécontrôle. En collaboration avec le syndicat intercommunal et les syndicats voisins, une interconnexion a été mise en place en moins de 24 heures pour réalimenter le réservoir sans aucune rupture de service.
Quelles solutions prônez-vous pour faire face au changement climatique et baisser la tension sur la ressource en eau ?
Il y a des solutions technologiques que les collectivités peuvent mettre en œuvre avec les entreprises de l’eau pour prévenir durablement les risques de tension sur la ressource. C’est par exemple le développement de la réutilisation des eaux usées traitées. Le fait de pouvoir retraiter l’eau pour des usages agricoles, pour l’irrigation d’espaces verts, pour le nettoyage de la voirie ou de mobilier urbain, est un moyen de diminuer la pression sur la ressource en eau. C’est aussi la recharge de nappes phréatiques, le déploiement d’interconnexions entre les différents réseaux, ou encore la lutte contre les fuites dans les réseaux d’eau.
Ces solutions technologiques ont pour corollaire le fait de déployer la sobriété des usages de tous : agriculteurs, industries, particuliers… Cela nécessite d’encourager une connaissance plus fine de l’ensemble des usagers de leur consommation, par exemple avec des compteurs intelligents.
Il y a aussi les solutions fondées sur la nature. Elles ont vocation à favoriser la préservation des milieux et la qualité de la ressource. C’est par exemple le déploiement des zones de rejet végétalisées, soit une zone humide en sortie de station d’épuration. Nous préconisons aussi la désimperméabilisation des sols et l’utilisation de revêtements qui permettent la perméabilité des eaux de pluie.
Combien coûtera l’adaptation des réseaux d’eau potable et d’assainissement au changement climatique ?
Environ 6 milliards d’euros en France sont investis chaque année en France dans les services publics d’eau et d’assainissement. La filière française de l’eau estime aujourd’hui à 3 milliards d’euros pendant 5 ans, soit 15 milliards d’euros, le besoin d’investissement supplémentaire pour adapter l’ensemble des services publics d’eau et d’assainissement à ce changement climatique.
Les 3 milliards d’euros annuels supplémentaires permettront l’adaptation des stations d’épuration, leur mise aux normes, le déploiement de la réutilisation des eaux usées traitées, la digitalisation des réseaux, la lutte contre les micropolluants et la lutte contre les réseaux fuyards. Ce sont des solutions qui permettent de répondre aux enjeux qui viennent télescoper le fonctionnement des services publics d’eau et d’assainissement du fait du changement climatique.
Réagissez à cet article
Vous avez déjà un compte ? Connectez-vous et retrouvez plus tard tous vos commentaires dans votre espace personnel.
Inscrivez-vous !
Vous n'avez pas encore de compte ?
CRÉER UN COMPTE