La réflexion développée dans cet article s’appuie sur un ouvrage intitulé La seconde chance d’Icare. Pour une éthique de l’espace (Cerf, 2001). Son auteur, Jacques Arnould, docteur en histoire des sciences, travaille depuis plusieurs années, en tant que chargé de mission au Centre national d’études spatiales (CNES), sur la dimension éthique sociale et culturelle de l’activité spatiale.
Les sources sur lesquelles repose son ouvrage sont nombreuses .Les références, tant philosophiques que sociologiques et historiques, ainsi que les témoignages et réflexions d’ingénieurs engagés dans l’activité spatiale y sont de grande valeur. Chaque question abordée est replacée de façon instructive dans son contexte historique et géopolitique.
Nécessité d’une réflexion critique
Le but de l’auteur n’est pas d’émettre des jugements moraux sur des réalisations passées ou des projets en cours, mais de s’interroger, avec les acteurs concernés par le sujet , sur « les valeurs, les politiques, les stratégies, les relations entre individus ou au sein de la société » qui en découlent. Quel est le fondement de leur action, et quelle est la justification de leurs savoirs et compétences et celle de leur pouvoir ? Son objectif est également de « préciser la nature des motivations le plus souvent avancées pour présenter, analyser ou justifier les activités spatiales », par ce qu’il appelle les « ressorts » de l’action.
Un espace bien encombré
Dans un premier temps, Jacques Arnould examine le problème de la pollution spatiale qui constitue, selon lui, une bonne entrée dans la question éthique. Les risques de la pollution spatiale ressemblent, en effet, sur bien des points, à ceux causés par la pollution terrestre. Il rappelle qu’en quarante ans d’activités spatiales, plus de 4000 engins ont été expédiés dans l’espace (satellites, sondes, vaisseaux spatiaux) et que chaque mission spatiale a généré des débris : les
étages supérieurs des fusées, vidangés ou non, des boulons explosifs, des colliers de serrage, les pièces libérées lors de la séparation des satellites et de leurs lanceurs, sans parler des objets « perdus » et des débris générés par la vie en orbite (sacs poubelles principalement). Sur 4800 satellites placés depuis 1957, 2400 y sont encore alors que les trois quarts d’entre eux ont terminé leur mission et ont été abandonnés. Environ 8500 objets ont plus de 10 centimètres, 100 000 entre 1 et 10 cm ;ils sont plusieurs millions de dimension inférieure au centimètre.
Des risques négligés
Cette présence d’objets induit des risques importants de collision en orbite basse. D’autres risques sont liés au fait que certains objets retombent sur terre. Mais l’impact sur l’environnement va au delà de la question des déchets. En effet, le lancement normal induit aussi une forte pollution terrestre du fait de la nature et de la quantité des carburants liquides et solides brûlés. Et, si on peut s’attendre à ce qu’une réflexion sur l’utilisation de carburants moins polluants voit le jour, les effets sur les populations vivant aux alentours des bases de lancement ne sont pas prêts d’être pris en compte ; ils ont été très peu étudiés à ce jour. Face aux risques dus à ces pollutions, plusieurs réponses peuvent être avancées, qui mettent en avant des stratégies d’action différentes : la première consiste à surveiller les objets en orbite, la seconde à s’en protéger, la troisième à limiter la production de nouveaux déchets.
L’activité spatiale pose aussi des questions humaines , notamment celle des risques encourus par les spationautes. Bien qu’ils soient souvent perçus par le public comme des risques choisis en pleine connaissance de cause, l’accident de la navette Challenger qui a provoqué la mort de sept personnes, dont des civils, a remis en question ce postulat.
Ressorts et finalités
Jacques Arnould s’interroge aussi et surtout sur les raisons invoquées pour aller dans l’espace. Quelle est la finalité de cette aventure humaine, quelle en est l’utilité, et pour qui ? C’est une question éthique essentielle que de se demander non seulement s’il y a adéquation des moyens aux fins mais aussi ce que valent les finalités de cette activité. Les réponses données relèvent de ce que l’auteur appelle des « ressorts ». Il y a d’abord le ressort « mythique », dû au fait que l’espace est un domaine où s’alimente et s’exprime l’imaginaire humain, qu’il s’agisse de l’exploration, de la conquête ou de la fuite. Même si les intérêts économiques et les rivalités politiques l’emportent, le poids de ce ressort mythique dans les décisions. est loin d’être négligeable.
Les autres ressorts, et motivations habituellement invoquées, sont d’abord « logiques » , pour reprendre la terminologie de Jacques Arnould : ce sont les besoins liés aux activités militaires et scientifiques. Il y a enfin des ressorts « pratiques », dont l’utilité tant mise en avant des satellites. Mais, il ne faut pas oublier que si l’intérêt social de cette activité paraît peu discutable, c’est parce qu’on n’en évoque pas la dimension économique ;l’accès à l’espace dit « utile » est en effet mal réparti. Jacques Arnould souligne que ceux qui auraient le plus besoin des apports scientifiques de l’espace sont ceux qui n’ont pas les moyens de se les donner.
Références : Arnould Jacques, 2001, La seconde chance d’Icare. Pour une éthique de l’espace, Paris: Cerf
Par Christelle Didier
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