Total s’épaissit
Avec cette transaction, Total fait d’une pierre deux coups. Il augmente massivement sa taille sur le marché français – il passe d’un portefeuille de sites clients de 1,5 million (Lampiris et Total Spring) auxquels s’ajoutent les 2,6 millions de Direct Energie – et absorbe le principal concurrent indépendant (pas détenu par l’Etat) devenant de fait le troisième fournisseur alternatif sur le marché français.
En termes de capacités de production, Total réalise une bonne affaire en récupérant un parc électrique de 1,35 GW, dont 800 MW de centrale à gaz et 550 MW d’électricité renouvelable (EnR). Il s’ajoute à la capacité installée de 900 MW du groupe dirigé par Patrick Pouyanné. Mais c’est surtout le portefeuille de projets de Direct Energie comprenant une centrale à gaz en construction de 400 MW et un pipeline de 2 GW d’EnR qui a dû attirer Total. Le duo gaz-EnR correspond en tout point à l’orientation formalisée en 2016 par la Major française de s’orienter vers les énergies décarbonées tout en maintenant le cœur de métier : l’Oil&Gas avec une préférence marquée pour le gaz, la moins polluante des énergies fossiles.
Total est déjà bien présent dans le secteur des EnR par des acquisitions ciblées. Il a ainsi renonmé Total Eren, une compagnie très actives lors des appels d’offres internationaux (650 MW installés ou en construction et 1,5 GW en développement). L’intérêt de la Major pour le photovoltaïque s’est concrétisé dès 2011 avec le rachat de Sunpower aux Etats-Unis. Elle anticipe une électrification accrue des usages et a décidé d’investir le marché de l’électricité, de l’amont (la production) à l’aval (la fourniture) à l’image de la chaîne de valeur pour les hydrocarbures. Total se fixe l’objectif de disposer d’un parc d’au moins 10 GW d’ici 5 ans.
Concurrence accrue
La montée en force de Total, qui n’est arrivé sur le marché des particuliers qu’en octobre dernier, secoue le secteur à commencer par EDF qui commence à voir poindre les ennuis. L’opérateur historique garde une position largement dominante (25 millions de clients), devant l’autre opérateur historique devenu Engie (entre 3-4 millions de clients) et Total. Mais ce dernier dispose d’une force marketing qui pourrait accélérer l’érosion du portefeuille d’EDF. Le groupe dirigé par Jean-Bernard Levy a perdu en 2017 près d’1 million d’abonnés.
Total est ambitieux et dit viser 6 millions de clients en France et plus de 1 million en Belgique à horizon 2022. Les petits acteurs (Ekwateur, Eni, Enercoop, etc) espèrent tirer profit d’une meilleure communication sur un marché encore peu connu des citoyens pour accroître leurs parts de marché. Mais à court terme, le rachat de Direct Energie signifie surtout que les deux opérateurs historiques vont devoir affronter un troisième grand groupe, tous trois issus des sociétés françaises historiques de l’énergie, toutes fondées au XXème siècle, du pétrole (SFP), du gaz (GDF) et de l’électricité (EDF).
Quelles conséquences au quotidien ?
L’électricité est une commodité et c’est l’une des raisons pour lesquelles il a été si difficile de libéraliser ce secteur. L’électricité étant la même, le seul facteur de différenciation était le prix, ce qui rendait les monopoles très dur à concurrencer sur ce domaine sur lequel ils bénéficiaient de nombreuses économies d’échelle. Mais depuis, l’électricité a une couleur (verte) si vous choisissez une offre d’électricité issue des EnR (mais généralement plus chère). C’est un facteur de différenciation même s’il s’estompe à mesure que ces offrent se multiplient sur le marché français.
Interrogée sur l’opération de Total, la patronne d’Engie, Isabelle Kocher, s’est voulue sereine estimant que la concurrence ne lui faisait pas peur. Elle présentait la dernière offre de son groupe sur l’autoconsommation dans la droite ligne de la stratégie d’Engie : devenir un groupe de services, non plus de commodités. Intégrant le fait que des citoyens veulent s’approprier l’énergie, Engie propose une offre consistant en l’installation de panneaux solaires, finançables à crédit, couplés à une ou des batteries.
Engie n’est pas le seul à proposer des services pour fidéliser ses clients . Même EDF s’y est mis avec sa filiale Sowee qui propose une application permettant de contrôler à distance de nombreux objets connectés dans la maison (lumière, hifi, machines à laver, etc) ainsi que le chauffage. De nombreuses start-up se sont mises sur ce créneau de la domotique et des services énergétiques. Ces services annexes liés à l’usage d’objets électriques sont devenus le nouveau marché des électriciens qui peuvent désormais s’appuyer sur une base de données beaucoup plus précise grâce aux compteurs communicants Linky, dont l’installation fait désormais débat. Ce sont les courbes de charge qu’ils génèrent qui permettent de créer les profils de consommation nécessaires à tous ces acteurs pour créer des services innovants en matière énergétique. Il y a fort à parier qu’ils deviendront les principaux arguments de vente des fournisseurs d’électricités et de gaz à l’avenir. Sans oublier le prix évidemment.
Romain Chicheportiche
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