La réalisation en souterrain des 500 réacteurs mondiaux aurait entrainé il y a une trentaine d’années un surcoût de 100 à 200 milliards d’euros (valeur 2013) mais aurait minimisé l’impact de l’accident de Tchernobyl et permis ainsi la poursuite des grands investissements nucléaires après 1990. L’accident de Fukushima aurait été évité ou d’impact très réduit et le nucléaire fournirait actuellement la moitié de l’électricité mondiale à un coût attractif. Mais le choix de réacteurs en surface paraissait justifié il y a quarante ans par une très faible probabilité escomptée d’accident grave et les ouvrages souterrains de grand volume étaient très loin de leur utilisation courante actuelle.
On accepte maintenant le surcoût important des réacteurs de 3ème génération pour réduire la probabilité d’accident grave. Une solution plus attractive, réduisant probabilité et impact d’un accident pourrait être la réalisation en souterrain des réacteurs français de 2ème génération de 900 à 1 300 MW : cette option est analysée ci-dessous.
Faisabilité
On peut mettre en souterrain toute la partie nucléaire, piscine comprise : la partie classique, (turbine, alternateur et transformateurs) peut rester en surface ou être en souterrain mais séparée de la partie nucléaire.*
Un avantage de la forme rectangulaire, largement utilisée en hydroélectricité, est l’utilisation de ponts roulants de grande capacité facilitant les pré-assemblages et la rapidité du montage et du gros entretien.
Trois références de nucléaire en souterrain
- Le premier réacteur franco-belge de Chooz, PWR de 300 MW électriques à fourni très régulièrement 40 TWh entre 1960 et 1980. Le volume souterrain pour toute la partie nucléaire était de 100.000 m3 soit 330 m3 par MW ; la largeur maximale de caverne était de 18 m.
- Le réacteur expérimental de Lucens en Suisse (30 MW nucléaires) a subi en 1969 un accident grave de début de fusion du cœur classé parmi les plus graves accidents nucléaires mondiaux ; il est très peu connu car la sécurité due au souterrain a été efficace évitant tout impact extérieur important, l’impact essentiel étant la perte du réacteur.
- On peut enfin rappeler les nombreuses explosions militaires nucléaires souterraines, de très grande énergie, qui sont restées parfaitement confinées.
Impact sur le coût du kWh nucléaire
La réalisation du volume souterrain et de son revêtement demande environ 3 ans, un délai comparable à celui de mise à disposition d’une enceinte en surface : c’est maintenant une opération classique de génie civil dont le coût est peu aléatoire. Le montage des éléments nucléaires en est totalement indépendant et bénéficiera de ponts roulants efficaces et d’accès larges par galerie ou puits rebouchés à la mise en service par quelques dizaines de mètres cubes de béton. Les accès en service, de section très réduite, seront obturables très rapidement en cas d’alerte ou d’accident.
Dans les bases documentaires |
Le volume souterrain par MW sera inférieur à 500 m3, d’un coût unitaire inférieur à 1000 €/m3. Soit un coût très inférieur à 500 000 euros du MW (le coût des usines souterraines hydroélectriques est d’ailleurs très inférieur à ce chiffre). En admettant 8% par an pour amortissement et frais financiers pour 7 000 heures annuelles de production, le coût par MWh est inférieur à :
(500 x 1 000 x 0,08) / 7 000 = 5,7 €.
Le surcoût probable est donc de l’ordre de 5 euros par MWh, inférieur au surcoût d’un EPR de surface par rapport aux centrales existantes.
Les coûts de montage avec pont roulant ne devraient pas dépasser les coûts de montage en surface et le coût d’exploitation en souterrain des centrales hydroélectriques ne diffère pas du coût en surface.
Comparaison des risques
Le coût des 2 accidents de Tchernobyl et Fukushima est très supérieur au surcoût qu’aurait entraîné la réalisation en souterrain de tous les réacteurs mondiaux. Pour la France, le coût total d’un accident majeur a été officiellement évalué à cinq cent milliards d’euros sans que cette évaluation soit beaucoup contestée. Le coût dans le cas d’un réacteur souterrain serait beaucoup plus faible, au minimum le coût de deux réacteurs, soit 10 milliards d’euros, et au maximum une cinquantaine de milliards (le dixième du coût d’un accident extérieur).
La fréquence annuelle mondiale d’accident majeur a été de 2 accidents pour 500 réacteurs pendant 30 ans soit 2/30×500 = 1/7 500. En France les alertes sérieuses de Saint-Laurent et du Blayais ont aussi inquiété mais on peut espérer cependant que les précautions prises y réduisent actuellement ce risque à 1/50 000 et que placer les mêmes réacteurs en souterrain réduirait cette probabilité à moins de 1/100 000. L’industrie nucléaire suggère par ailleurs que le passage à l’E.P.R. divise par 10 la probabilité du risque d’accident de la 2ème génération.
La valeur théorique du risque annuel d’un EPR en surface serait ainsi de 500 milliards/500.000 soit 1 million d’euros à comparer pour un réacteur traditionnel en souterrain de 10 à 50 milliards/100 000 = 100 000 à 500 000 €.
Mais l’intérêt majeur du souterrain est d’éviter la possibilité d’un risque catastrophique à l’échelle nationale et au-delà.
Perspectives de réalisation en France
La réalisation en souterrain de centrales bien connues de 2ème génération parait une option plus économique et plus acceptable que la construction en surface de nouvelles solutions. Et la construction de réacteurs en bordure de fleuve qui vient d’être officiellement abandonnée en Chine sera peut-être difficile en France si elle n’est pas souterraine. De même l’acceptation du surgénérateur Astrid peut être plus facile en souterrain.
De nombreuses implantations sont envisageables notamment près des centrales actuelles : une construction en série entre 2020 et 2040 serait une solution économique pour remplacer une partie des centrales actuelles.
Perspectives à l’exportation
Aucun réacteur français n’a été vendu à l’exportation depuis six ans. Trois options sont envisageables face à une forte compétition internationale.
- L’EPR, handicapé par les retards actuels par le manque de références d’exploitation et par le coût.
- De nouvelles solutions, éventuellement en association avec d’autres pays pour des puissances de l’ordre de 1 GW. Leur commercialisation parait éloignée.
- La vente de réacteurs de 2ème génération en souterrain. C’est la solution la moins chère au kWh ; la France a les meilleures références mondiales correspondantes et la formation des exploitants peut se faire dans les centrales françaises identiques existantes. Les propositions et succès peuvent être rapides et les aléas commerciaux sont réduits.
On doit agir avant l’arrivée d’offres similaires probables de la part de compétiteurs chinois ou coréens. Les spécialistes asiatiques du souterrain s’intéressent sérieusement à cette option et l’expertise chinoise du souterrain, faible il y a vingt ans, est maintenant tout à fait valable (la 3ème centrale hydroélectrique des Trois Gorges vient d’être réalisée en souterrain et produit 3 GW).
Les auteurs :
- Pierre Duffaut
Pierre Duffaut Ingénieur civil des mines. Ancien ingénieur-géologue à EDF et ancien président du comité français de mécanique des roches.60 ans d’expérience en géologie et ouvrages souterrains, des centrales d’EDF aux mines, aux stockages pétroliers et à l’urbanisme souterrain.
- François Lempérière
François Lempérière a participé à l’étude et/ou la réalisation de plus de 20 très grands ouvrages de Génie Civil : barrages (notamment pour le Rhône, le Rhin, le Nil et le Zambèze), centrales nucléaires, grands terrassements et ouvrages maritimes. Il a présidé pendant 15 ans les Comités Techniques sur le coût des barrages dans la Commission Internationale des Grands Barrages (C.I.G.B.).