Interview

Les centrales nucléaires doivent s’adapter aux températures de l’air extrêmes

Posté le 31 août 2020
par Nicolas LOUIS
dans Énergie

Les fortes chaleurs observées cet été ont encore perturbé la production d'électricité en France. Olivier Dubois, directeur adjoint de l'expertise de sûreté à l'IRSN, nous explique l'impact des conditions météorologiques sur les centrales nucléaires et comment elles doivent s'y adapter.

Cet été, une nouvelle fois, EDF a dû cesser la production d’électricité de certaines de ses centrales nucléaires en raison des fortes chaleurs. À Golfech, dans le Tarn-et-Garonne, le réacteur numéro 2 a été temporairement arrêté tandis que la production du site de Chooz dans les Ardennes est totalement interrompue pendant quelques jours. Les températures de l’air très chaudes ou très froides perturbent le fonctionnement des centrales nucléaires et notamment leur niveau de sûreté. Olivier Dubois, directeur adjoint de l’expertise de sûreté à l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) nous explique quel est l’impact des conditions météorologiques sur les centrales et comment elles doivent s’adapter pour y faire face.

Techniques de l’Ingénieur : Quel est l’impact de la canicule sur les centrales nucléaires ?

Olivier Dubois, directeur adjoint de l’expertise de sûreté à l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire). Crédit photo : IRSN

Olivier Dubois : Les réacteurs nucléaires doivent en permanence être refroidis grâce à de l’eau froide pompée dans un cours d’eau ou la mer. Le circuit de refroidissement peut être ouvert, dans ce cas, une fois pompée, l’eau est rejetée un peu plus chaude, entre 3 et 4 degrés de plus, dans le fleuve ou la mer. Les centrales équipées de tours aéroréfrigérantes fonctionnent en circuit fermé et les calories sont alors évacuées par l’évaporation de l’eau grâce aux panaches de vapeurs qui se dégagent au-dessus de ces grandes tours. Les deux systèmes peuvent cohabiter sur un même site, comme à Bugey dans l’Ain. Il s’agit d’un choix de construction qui dépend de son implantation. La réglementation, à travers des arrêtés, fixe des limites de température de l’eau à l’aval des centrales afin de préserver la faune et la flore aquatiques.  Quand ces températures s’approchent trop près de ces limites, EDF arrête certains de ses réacteurs comme à Golfech. Ce site est équipé de tours aéroréfrigérantes et même s’il contribue peu au réchauffement de la température de la Garonne, la réglementation l’oblige à arrêter la centrale.

L’arrêt de la centrale de Chooz dans les Ardennes n’est-il pas lié à un autre problème ?

Oui, son arrêt est lié au faible débit de la Meuse qui a atteint la limite inférieure fixée par des accords avec la Belgique. Si le débit descend en dessous de 22 m3/seconde, l’un des deux réacteurs est arrêté. En dessous de 20 m3/seconde : les deux réacteurs sont arrêtés. De manière générale, les réacteurs en circuit ouvert, c’est-à-dire sans tours aéroréfrigérantes, ont besoin de plusieurs dizaines de m3 par seconde pompés puis rejetés dans le fleuve ou la rivière pour leur refroidissement. Si le débit devient trop faible, il faut arrêter ou réduire la puissance des réacteurs du site. Les réacteurs en circuit fermé, comme la centrale de Chooz, ont besoin d’un débit beaucoup plus faible pour fonctionner (quelques m3/seconde) mais ce débit est prélevé et n’est pas rejeté dans le fleuve car l’eau s’évapore dans les tours aéroréfrigérantes.

En dehors de Chooz et du cas particulier de la Meuse qui traverse la Belgique, les réacteurs de Civaux sur la Vienne sont sensibles à ces problèmes. De même, il pourrait y avoir des tensions sur les réacteurs en bord de Loire en cas de très basses eaux du fleuve. Le débit du Rhône est par contre trop grand pour imaginer un problème d’étiage pour les réacteurs de ce fleuve.

La canicule peut-elle avoir un impact sur la sûreté de ces installations ?

Les réacteurs ont été conçus dans les années 70 et au début des années 80 avec des hypothèses de températures de l’eau et de l’air maximales. Lors de la canicule de 2003, ces hypothèses ont été dépassées et depuis, EDF a été obligé d’évaluer jusqu’à quelles températures les fonctions de sûreté de ses centrales pouvaient être assurées. Les hypothèses de températures maximales de l’air ont été relevées de 5 à 10 degrés avec, en fonction des sites, une température moyenne maximale sur une journée qui peut aller de 38 à 44 degrés. Des modifications ont dû être réalisées sur certains équipements, comme le dimensionnement des circuits de ventilation, le conditionnement thermique des locaux, les pompes de secours…

Les modifications apportées par l’exploitant sont-elles suffisantes ?

Nous avons demandé à EDF de réaliser des tests sur les diesels de secours utilisés pour alimenter en électricité les centrales en cas de panne du réseau. Dans un premier temps, seuls des modèles mathématiques pour tester des températures extérieures élevées avaient été effectués. Aujourd’hui, EDF profite des grandes chaleurs l’été pour tester ces diesels et vérifier qu’ils fournissent la bonne puissance électrique attendue. Une dizaine de moteurs sont testés chaque année en sachant que le parc français en possède 112, à raison de deux par réacteur. Ce travail se fait progressivement lorsqu’il fait très chaud l’été, tout en veillant à le réaliser dans des conditions de sûreté optimales.

Des procédures spécifiques ont-elles été mises en place ?

La canicule est une agression prévisible et, depuis 2003, des règles de conduite graduées ont été mises en place pour y faire face. Elles se divisent en quatre phases. La première, nommée « veille », consiste à préparer des matériels spécifiques pour lutter contre la chaleur et à surveiller les conditions météo. Lors de la phase de « vigilance », des rondes sont réalisées afin de mesurer la température dans les locaux sensibles. Dans la troisième phase dite de « pré-alerte », des appareils supplémentaires sont installés comme des climatiseurs mobiles et certains systèmes non essentiels à la sûreté mais produisant beaucoup de calories sont arrêtés. Enfin, la dernière phase, appelée « alerte », se déclenche lorsque la température du circuit qui sert à refroidir tous les circuits essentiels à la sûreté dépasse le seuil de 45 degrés ; dans ce cas, le réacteur est arrêté.

L’arrêt des centrales peut-il avoir un impact sur l’approvisionnement en électricité ?

Pour l’instant, cela ne met pas en difficulté l’équilibre entre la production et la demande car cela se produit l’été et durant de très courtes périodes. L’été, la consommation d’électricité en France est faible car l’industrie est en grande partie à l’arrêt à cause des congés et il n’y a pas de demande de chauffage. Comparés aux États-Unis, les besoins en électricité pour la climatisation en France sont faibles.

Inversement, le froid a-t-il un impact sur les centrales ?

Des températures minimales sont aussi à respecter en cas de grand froid. La source froide dans laquelle l’eau est prélevée ne doit pas geler sinon il n’est plus possible de pomper l’eau pour refroidir la centrale. Les hivers les plus rudes se sont produits au début des années 80, si je me souviens bien. À cette époque, certaines modifications ont aussi été réalisées sur des systèmes de sécurité afin de s’adapter à des températures très froides. Mais aujourd’hui, ce sujet n’est plus d’actualité car les hivers sont plus cléments.


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